Emmanuel KANT
Kritik der reinen Vernunft [Critique de la Raison pure]
Johann Friedrich Hartknoch, Riga 1787, in-8 (12,5x20,5cm), XLIV ; 884 pp., relié.
Seconde édition originale et définitive, remaniée et augmentée d'une nouvelle préface.
Reliure légèrement postérieure en demi-basane blonde à coins, dos à quatre faux nerfs ornés de pièces de titre et d'auteur de papier rouge et vert, plats de papier caillouté, toutes tranches mouchetées de rouge. En tête de l'exemplaire est relié un feuillet de notes bibliographiques du début du XIX
ème siècle.
Petits trous de vers en tête du mors supérieur, un petit manque en coiffe, frottements. Quelques travaux de vers sans perte de lettres en marge basse de quelques feuillets du début.
Première œuvre majeure de la philosophie kantienne, la
Critique de la raison pure paraît initialement en 1781. Pourtant, si la volonté de Kant est justement de libérer la philosophie de toute forme de subjectivité et de la rendre aussi précise et objective que les mathématiques, cette première version s'avère trop complexe et absconse pour la plupart de ses contemporains, comme le lui reprochera notamment Madame de Staël : « On ne saurait nier que le style de Kant, dans sa Critique de la raison pure, ne mérite presque tous les reproches que ses adversaires lui ont faits. Il s'est servi d'une terminologie très difficile à comprendre, et du néologisme le plus fatigant. ».
Or le projet de Kant est justement de proposer un outil de réflexion pour tous et non une théorie élitiste. Il remanie donc largement son ouvrage, mais ne pouvant réduire la complexité de ses concepts, il compose une nouvelle préface, véritable clé d'interprétation de sa pensée, devenue essentielle pour l'intelligence du texte. C'est dans cette nouvelle préface, que Kant introduit notamment la notion de « révolution copernicienne » qui définit son projet philosophique : « Il en est ici comme de l'idée que conçut Copernic : voyant qu'il ne pouvait venir à bout d'expliquer les mouvements du ciel en admettant que toute la multitude des astres tournait autour du spectateur, il chercha s'il ne serait pas mieux de supposer que c'est le spectateur qui tourne et que les astres demeurent immobiles. On peut faire un essai du même genre en métaphysique, au sujet de l'intuition des objets. Si l'intuition se réglait nécessairement sur la nature des objets, je ne vois pas comment on en pourrait savoir quelque chose à priori ; que si, au contraire, l'objet (comme objet des sens) se règle sur la nature de notre faculté intuitive, je puis très-bien alors m'expliquer cette possibilité. »
Cette analogie kantienne est depuis considérée comme un concept philosophique fondamental, au même titre que la plupart des idées développées dans cette préface historique, étudiée comme une œuvre à part entière. C'est encore dans cette seconde préface que Kant introduit pour la première fois les deux couples terminologiques les plus célèbres de sa philosophie : « jugement analytique et jugement synthétique » d'une part, « forme a priori et forme a posteriori du jugement », d'autre part.
Les modifications ne se limitent pas à cette nouvelle préface. Kant transforme son texte en profondeur pour le rendre intelligible et lever les malentendus suscités par la première version :
« C'est une question très controversée de savoir si les changements que présente cette seconde édition portent sur le fond ou seulement sur la forme. Rosenkranz, Schopenhauer, Kuno Fischer tiennent pour une modification profonde, tendant à rétablir la chose en soi qu'avait abolie, selon eux, la première édition. Selon le témoignage de Kant, la seconde édition fait simplement ressortir le coté réaliste de la doctrine, méconnu par certains lecteurs. » (in La grande encyclopédie, 1885)
C'est d'ailleurs à partir de cette seconde version que seront établies toutes les éditions et traductions ultérieures. C'est aussi grâce à celle-ci, que la philosophie de Kant rencontre ses premiers succès auprès de ses contemporains, bien que l'ouvrage ne sera traduit en anglais qu'en 1838 et en français en 1845.
Par cette Critique de la Raison pure, la révolution Kantienne permit d'affranchir la philosophie de toute allégeance politique, religieuse ou naturelle. A l'instar de Copernic, Kant déplace le centre de gravitation de la raison et, à l'aube de la Révolution française, offre à chaque individu son indépendance morale et intellectuelle. Lorsqu'à l'été 1789, il apprend la nouvelle d'un soulèvement populaire à Paris, Kant, au comble de l'enthousiasme, dérogera à sa sacro-sainte promenade pour se procurer le journal qui relate les événements.
A la fin du XVe siècle, Léonard de Vinci inaugurait l'aventure humaniste par son célèbre homme de Vitruve définissant les proportions humaines. Trois cents ans plus tard, Kant conclue cette formidable épopée du savoir par une analyse des proportions de la Raison qui deviendra l'une des œuvres les plus complexes et les plus importantes de la philosophie moderne.
Edition originale d'une insigne rareté de « l'un des chefs d'œuvres de l'esprit humain ».