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Renée VIVIEN Poème d'amour autographe à Kérimé "Je cacherai ma flûte"

6 000 €

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Renée VIVIEN

Poème d'amour autographe à Kérimé "Je cacherai ma flûte"

s.l. s.d. (1907), 15,7x23,1cm, 1 page 1/2 sur 2 feuillets.


Poème autographe intitulé  "Je cacherai ma flûte", dédié et offert à Kérimé ("Pour le petit faune"). Une page et demie rédigée à l'encre violette sur deux feuillets bordés d'un liseret de violettes, soit un total de 32 vers en alexandrins.
Le poème a été publié sous ce même titre dans Flambeaux éteints (Edward Sansot & Cie, 1907). Cette première version manuscrite comporte quelques variantes avec le texte imprimé.

Je m'écoute, avec des frissons ardents,
Moi, le petit faune au regard farouche…
L'âme des forêts vit entre mes dents
Et le Dieu du rythme habite ma bouche.
 
Dans ce bois, loin des aegipans rôdeurs
Mon cœur est plus doux qu'une rose ouverte ;
Les rayons, chargés d'heureuses odeurs,
Dansent au son frais de ma flûte verte.
 
Mêlez vos cheveux et joignez vos bras
Sur l'herbe humide où le bélier s'ébroue,
Nymphes des halliers ! – ne m'approchez pas,
Allez rire ailleurs pendant que je joue.
 
Car j'ai la pudeur de mon art sacré,
Et, pour honorer la muse hautaine
Je chercherai l'ombre et je cacherai
Mes pipeaux vibrants dans le creux d'un chêne.
 
Parmi la tiédeur, parmi les parfums,
Je jouerai le long du jour, jusqu'à l'heure
Des chœurs turbulents et des jeux communs
Et des seins offerts que la brise effleure.
 
Je tairai mon chant pieux et loyal
Aux amants de vin, aux chercheurs de proie 
Seul le vent du soir apprendra mon mal
Et les arbres seuls apprendront ma joie.
 
Je défends ainsi mes instants meilleurs…
Vous qui m'épiez de vos yeux de chèvres,
Ô mes compagnons ! allez rire ailleurs
Pendant que le chant fleurit sur mes lèvres.
 
Sinon, — je suis faune après tout, si beau
Que soit mon chant, — et, bouc qui se rebiffe,
Je me vengerai d'un coup de sabot
Et d'un coup de corne et d'un coup de griffe.



Considérée comme une oeuvre littéraire à part entière, l'importante correspondance de Renée Vivien à Kérimé est parsemée de très rares poèmes qui subliment toute la passion amoureuse de la poétesse pour sa muse orientale. 

« Au printemps 1904, Vivien reçut une lettre inattendue. Une mystérieuse jeune femme turque, habitant Constantinople et qui signait Kérimé Turkhan-Pacha, lui parlait avec enthousiasme d'un livre d'elle qu'elle venait de lire. […] Intriguée en même temps que flattée, Vivien répondit à l'inconnue […] Cette lettre allait être suivie de plus d'une centaine d'autres et de dizaines de cartes postales à Kérimé Turkhan-Pacha. […] Lorsque, pendant l'été 1905, Vivien fera en compagnie de Natalie Barney un pèlerinage à Lesbos, elle tiendra absolument à s'arrêter à Constantinople pour faire la connaissance de la romanesque (ainsi se l'imaginait-elle) Kérimé. Elle la reverra à plusieurs reprises, toujours à Constantinople, et leur correspondance se poursuivra jusqu'en 1908. Née en 1876, Kérimé Turkhan-Pacha appartenait à la haute société de Constantinople. Très cultivée, élevée à la française, elle brillait dans les salons de la capitale ottomane. Elle s'y distinguait par une réelle beauté […]. Cette séduisante créature, que Vivien devait s'imaginer alanguie sur des coussins dans l'ombre d'un harem du Bosphore, avait épousé vers 1900 un Turc bien plus âgé qu'elle, Turkhan-Pacha. […] Devenue veuve, Kérimé vécut à Paris, où elle aura l'occasion de fréquenter Natalie Barney, puis mourut à Athènes en 1948. Mondaine et fort belle, [...] Kérimé appartenait à l'élite turque [...] dont les femmes commençaient à changer de mentalité. Tout comme les Désenchantées de Loti [...] Kérimé supportait difficilement les anciens usages de son pays. « J'étais très jeune et j'étais cloîtrée et n'aspirais qu'à mordre à tous les fruits défendus », avouera-t-elle à Le Dantec. […] Kérimé représentait pour Vivien le mirage de l'Orient, qui avait déjà fasciné tout le XIXe siècle : Chateaubriand, Delacroix, Nerval, Flaubert, Loti, Barrès… [Le] romantisme turc imprégnait alors la littérature française. Jean Lorrain avait publié en 1898 La Dame turque (autre femme de pacha…) et Loti allait, en 1906, publier son fameux roman Les Désenchantées. » (J.-P. Goujon, Tes blessures sont plus douces que leurs caresses)
Cette superbe élégie à sa "sultane du Bosphore" reprend tous les éléments de cette mythologie esthétique dans une superbe réappropriation sapphique des langueurs et de la sensualité de l'Orient fantasmé.

D'une insigne rareté, les manuscrits à ses amantes de cette icone du lesbianisme moderne sont absents de la plupart des collections publiques, à l'exception notable du fonds Jacques Doucet, qui possède neuf poèmes de Vivien à Natalie Clifford Barney. 
Seuls quatre poèmes manuscrits à Kérimé sont connus à ce jour.

Provenance : Kérimé Turkhan-Pacha.

6 000 €

Réf : 78724

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