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Fernand LEGER L'une des plus sublimes lettres de Fernand Léger

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Réf : 64417

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Fernand LEGER

L'une des plus sublimes lettres de Fernand Léger

La Maison-Forestière (Argonne) 28 mai 1915, 13,4x21,3cm, 4 pp. sur un feuillet double.


Fabuleuse lettre autographe du peintre Fernand Léger rédigée en première ligne durant la bataille d'Argonne, adressée au marchand d'art parisien Adolphe Basler.
92 lignes à l'encre noire, quatre pages sur un feuillet double, daté par Léger du 28 mai 1915.
La lettre autographe est présentée sous une chemise en demi maroquin vert sapin, plats de papier vert à motif stylisé, contreplats doublés d'agneau vert, étui bordé du même maroquin, ensemble signé Goy & Vilaine.
La lettre a été choisie pour l'anthologie de Cécile Guilbert, Les plus belles lettres manuscrites de Voltaire à Édith Piaf, Robert Laffont, 2014.
Véritable chef-d'œuvre de la correspondance, cette exceptionnelle missive de Fernand Léger révèle l'importance fondamentale de l'expérience des tranchées sur son œuvre à venir. Mobilisé dans les troupes du Génie en 1914, Léger reste deux ans en poste sur le front d'Argonne, dans le secteur de la Maison-Forestière, d'où il écrit cette lettre le 28 mai 1915, « pendant que les obus [lui] passent au-dessus de la tête ». En toute liberté de ton et de forme, la lettre surprend par le charme célinien de son style et annonce la période « mécanique » de sa peinture d'après-guerre. On assiste entre les lignes à l'éveil de sa conscience politique au contact des hommes rencontrés sur le front, dont le mérite et la bravoure marquèrent durablement le peintre. Son analyse particulièrement lucide de l'inhumanité de la guerre place cette missive parmi les plus belles lettres de combattant de la première Guerre Mondiale.
Fernand Léger répond à Adolphe Basler, critique d'art polonais, qui fut le secrétaire de Guillaume Apollinaire et négociant de tableaux. Basler fit probablement la rencontre de Léger autour de 1910, alors que celui-ci fréquentait la « bande à Picasso » et subissait fortement l'influence du cubisme aux côtés de Derain, Maurice de Vlaminck et Max Jacob. S'essayant au monochrome puis à l'abstraction, Léger applique les préceptes de décomposition des formes et de distorsions de perspectives. Son travail auprès des cubistes devient prémonitoire de l'apocalypse à venir. Quelques années plus tard, ce vocabulaire cubiste devient en effet pour Léger la parfaite illustration de la guerre, qu'il décrit ainsi à Basler : « C'est linéaire et sec comme un problème de géométrie. Tant d'obus en tant de temps sur une telle surface, tant d'hommes par mètre et à l'heure fixe en ordre. » Plus que jamais, l'innovation cubiste permet de traduire le monde contemporain oscillant entre rationalisme et chaos.
Le contact des tranchées opère chez le peintre un véritable bouleversement tant intellectuel qu'artistique. Comme le remarque Blaise Cendrars « cest à la guerre que Fernand Léger a eu la révélation soudaine de la profondeur d'aujourd'hui... ». Léger confie à Basler sa vision d'une guerre industrielle, inhumaine et dépersonnalisée : « Le flottement c'est fini. C'est une guerre sans «déchet», une guerre moderne. Tout vaut. Tout s'organise pour un maximum de rendement. Cette guerre-là, c'est l'orchestration parfaite de tous les moyens de tuer, anciens et modernes. C'est intelligent jusqu'au bout des ongles. C'en est même emmerdant, il n'y a plus d'imprévu». Cette pertinente analyse de Léger se traduisit dans ses toiles d'après-guerre par une véritable esthétique du calcul et de l'équilibre, un « rendement pictural », à l'image de la guerre moderne à laquelle il prit part. Chez Léger en effet, la leçon cubiste s'accompagne d'une profonde réflexion sur la modernité et « les hommes modernes » qu'il désire représenter dans sa peinture.
La lettre révèle la gestation de son style pictural d'après-guerre, gardant la fragmentation cubiste tout en faisant vibrer ses toiles de couleurs et de motifs saisis au contact des tranchées. En effet, Léger donne à Adolphe Basler un aperçu de sa célèbre « période mécanique » des années 1920, dont on peut voir une préfiguration dans la prophétique sentence : « Tout cela se déclenche mécaniquement ». Les armes de destruction massive hantent le quotidien de l'artiste-soldat autant qu'elles l'inspirent : « C'est terrible une attaque, quand des bonhommes qui pendant des heures ont subi une préparation d'artillerie infernale aplatis dans des trous, réduits à l'état de pauvres petites choses, quand on donne l'ordre à ces hommes-là de sortir de leur abris, de franchir un parapet et d'aller sur des mitrailleuses avec leur baïonnette». à la suite de cette expérience, les structures tubulaires et circulaires des obus, mitrailleuses et baïonnettes furent élevées au rang de langage pictural. Léger avait compris que la peinture devait entrer en compétition avec l'objet manufacturé, et prendre en marche le train de la modernité. Entre droites et courbes, il les emploie en tant que sujet propre (Eléments mécaniques, 1920, Metropolitan museum of Art, Les Hélices, 1918, Museum of Modern Art) ou matériau pour ses portraits (Le Mécanicien, 1919, Montreal Museum of Fine arts). Ses camarades soldats « réduits à l'état de pauvres petites choses » donnent naissance à une anatomie nouvelle, composée de formes géométriques restreintes : cubes pour la tête et le tronc, tubes circulaires pour les bras, cercles pour les articulations.
Léger dévoile une nouvelle fois ses talents de visionnaire par un passage d'une clairvoyance saisissante sur les enjeux véritables de la guerre, qu'il devine dans cette lettre dès le début de l'année 1915. Il anticipe la défaite allemande dans la course aux armes de pointe, effectivement battue sur le plan technique deux ans plus tard avec l'arrivée des chars d'assaut américains : « Les Boches ont cela d'épatant qu'ils font la guerre avec des moyens les plus modernes possibles. Ils ont parfaitement raison. Mais où ils ont eu tort c'est de ne pas avoir su les employer assez supérieurement dès le début et assez vite pour empêcher les autres de juger leurs trucs et de leur retourner la balle ». Après cette démonstration pleine d'ironie de la supériorité du camp français, Léger achève sa lettre à Basler, lui-même engagé volontaire, sur l'assurance de la victoire : « En septembre [1914] on faisait une guerre de primaire ridicule, mais maintenant c'est autre chose on les a pillé et supérieurement à notre tour, on a décidément plus de talent qu'eux et comme ils n'ont pas le génie, on les aura ».
Par ailleurs, la guerre a éveillé en lui une conscience politique qui guidera toute son œuvre à venir, jusqu'à son illustration du poème Liberté d'Eluard. Ses frères d'armes, qu'il prend pour modèle durant ses années de guerre, lui inspirent de célèbres toiles et l'orientent après-guerre vers un art résolument populaire, né de la camaraderie qu'il mentionne au début de la lettre : « Je suis tranquille les artilleurs m'ont appris que j'étais dans une «position d'angle» c'est-à-dire inviolable pour les obus boches. J'ai confiance en ces gens-là ils connaissent bien leur métier ». Ce fut pendant ces deux ans de combats qu'il découvre la fonction sociale de l'art, délaissant sa brève période d'abstraction pour un art figuratif servant la cause communiste. Bien qu'il n'adhère officiellement au Parti communiste français qu'en 1945, il déclare déjà dans sa lettre de 1915 : « il n'y a que des hommes modernes pour pouvoir encore un pareil effort. Une armée de métier ne tiendrait pas, mais un peuple qui a vécu la vie tendue et dure de ces 50 dernières années, peut le fournir. » Se considérant lui-même comme un peintre-ouvrier, parfois qualifié de « paysan de l'avant-garde », il manifeste dans la lettre et dans son œuvre son profond respect pour le travailleur moderne. Sous couvert de célébrer l'invincibilité de l'homme contemporain, Léger dénonce ici son asservissement : « Une guerre comme celle-ci n'est possible que par les gens qui la font. C'est aussi vache que la lutte économique. Les temps de paix aussi à cette seule différence qu'on tue du monde. Ça ne suffit pas pour renverser les facteurs. C'est la même chose. Ces gens là qui la font, nous autres, nous sommes dressés à cette momerie-là. ». Son engagement politique et artistique commence dès 1917, avec sa célèbre toile « La Partie de cartes » (Kröller-Müller Museum, Otterlo), qui confond formes organiques et mécaniques des hommes meurtris par les combats.
Privé de la peinture pendant les trois années de sa mobilisation, Léger entretient sur le front une riche correspondance avec ses proches restés à l'arrière. Notre lettre constitue un exemple exceptionnel de la beauté et de l'aisance du style épistolaire du peintre – sa réponse à Basler est ponctuée de passages dignes de la gouaille de Céline ou de son ami Cendrars, avec la même violence sinistre et perverse : « Il n'y a qu'à l'arrière où on est assez mou pour pleurnicher sur des histoires de cathédrale de Reims bombardée ou de femmes enfilées par les Boches. Ici ça ne mord pas du tout. Et monsieur Barrès n'a aucun succès. On n'a pas idée de demander à des gens qui s'octroient le droit de tuer de respecter des monuments plus ou moins historiques ou des femmes qui souvent n'ont sans doute pas demandé mieux. ». La guerre a produit chez Léger un langage singulier, celui des Poilus, populaire et argotique, dont le dénuement, l'aridité et le cynisme rejaillit sur le lecteur. Doté d'un véritable talent d'écriture, il sera par la suite l'auteur de conférences, d'articles de théorie picturale, de récits de voyages et de textes poétiques.
C'est par sa correspondance avec Basler qu'il renoue avec les cénacles de la peinture parisienne, et s'échappe des combats pour quelques instants. Il pousse un véritable cri du cœur à la fin de sa lettre (« Mon cher Monsieur Basler, parlez-moi de la peinture ») – lui qui ne retrouvera l'occasion de peindre qu'en 1917, après avoir frôlé la mort à Verdun. Ses dernières lignes évoquent probablement un projet d'exposition de son œuvre aux Etats-Unis : « Je pense bien à l'Amérique aussi mais quand tout cela sera fini». Sa première rétrospective américaine fut réalisée à New York dès 1925, et marque le début d'une longue série de voyages et de toiles célébrant la vie moderne américaine.
Prodigieuse et terrifiante lettre de Fernand Léger, artiste combattant exilé de sa peinture, qui a su déceler la beauté du monde moderne dans le spectacle du chaos. Le peintre nous livre un saisissant témoignage de son éveil politique et pictural, façonné et imprégné par son expérience du feu.
 

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