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Victor HUGO & Adèle HUGO Lettre autographe signée à la veuve du sculpteur David d'Angers : "Mon exil est comme voisin de son tombeau, et je vois distinctement sa grande âme hors de ce monde"

7 500 €

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Victor HUGO & Adèle HUGO

Lettre autographe signée à la veuve du sculpteur David d'Angers : "Mon exil est comme voisin de son tombeau, et je vois distinctement sa grande âme hors de ce monde"

Hauteville House 11 et 13 mai 1856, 14x21,5cm, une feuille.


Lettre autographe signée de Victor Hugo datée du 13 mai 1856 à la suite d'une lettre inédite de Madame Victor Hugo à Madame David d'Angers datée du 11 mai. 4 pages sur un feuillet remplié à filigrane "Barbet Smith Street Guernesey".
Publiée dans Correspondance de Victor Hugo, Paris, année 1856, p. 246
Dans cette lettre imprégnée des apparitions et spectres qui hantent les Contemplations récemment publiées, Victor Hugo s'adresse à la veuve de son grand ami le sculpteur David d'Angers, fervent républicain et artiste particulièrement admiré des romantiques. En pleine crise mystique, Hugo parle à l'ombre du sculpteur à qui il dédia de sublimes poèmes dans Les feuilles d'automne ainsi que Les rayons et les ombres et réclame auprès de sa veuve son portrait favori, un buste en marbre jadis sculpté par David d'Angers.

Après l'expulsion des proscrits de l'île de Jersey, Victor Hugo fait l'achat d'Hauteville House grâce au succès des Contemplations et apprend avec tristesse la disparition d'un ami cher. Il écrit à la veuve du sculpteur sur le même feuillet que sa femme Adèle, également liée avec la famille de David d'Angers, créateur d'un médaillon à son effigie : « Vous êtes la veuve de notre grand David d'Angers, et vous êtes sa digne veuve comme vous avez été sa digne femme ».
Le sculpteur de renom s'était déjà lié au premier salon romantique de Nodier à l'Arsenal et fréquentait presque quotidiennement Hugo à la fin des années 1820 dans l'ambiance bonapartiste et bon enfant de la rue Notre-Dame des Champs, en compagnie des frères Devéria, Sainte-Beuve, Balzac, Nanteuil et Delacroix. En 1828, l'écrivain avait posé avec bonheur dans l'atelier de David d'Angers rue de Fleurus, pour un médaillon puis un buste qui avaient été suivis de deux sublimes poèmes célébrant le talent du sculpteur dans Les Feuilles d'Automne et Les rayons et les ombres. De tous ses portraits pourtant nombreux, il chérissait plus que tout autre son buste de marbre signé David d'Angers et n'hésite pas à le réclamer à sa veuve : « Avant peu, peut-être, madame, ma famille vous demandera de lui rendre ce buste qui est ma figure, ce qui est peu de chose, mais qui est un chef-d'œuvre de David, ce qui est tout. C'est lui encore plus que moi, et c'est pour cela que nous voulons l'avoir parmi nous ».  
De ces séances de pose avec le sculpteur naquirent de fructueuses conversations esthétiques et politiques où s'était affirmée leur aversion commune pour la peine de mort. Ils assistèrent au ferrement des galériens qui rejoignaient Toulon depuis Paris, décrit par Hugo dans deux chapitres du Dernier jour d'un condamné.  Victime de l'exil comme Hugo, David d'Angers était rentré à Paris avant de rejoindre le monde des morts : « Mon exil est comme voisin de son tombeau, et je vois distinctement sa grande âme hors de ce monde, comme je vois sa grande vie dans l'histoire sévère de notre temps ». La « grande vie » de David d'Angers fut consacrée à façonner les effigies des hommes illustres, par un subtil équilibre de ressemblance et d'idéalisation. Le sculpteur prend finalement place dans le panthéon personnel de Victor Hugo, lui qui avait orné le fronton du véritable Panthéon des grands hommes où repose aujourd'hui l'écrivain : « David est aujourd'hui une figure de mémoire, une renommée de marbre, un habitant du piédestal après en avoir été l'ouvrier. Aujourd'hui, la mort a sacré l'homme et le statuaire est statue. L'ombre qu'il jette sur vous, madame, donne à votre vie la forme de la gloire ».
C'était en effet à l'ombre des grands hommes qu'Hugo vécut son exil à Jersey, loin du tumulte de la capitale et dans le silence ponctué par les embruns frappant les carreaux. Hugo s'était plongé dans l'occulte et parlait aux disparus : « David est une des ombres auxquelles je parle le plus souvent, ombre moi-même », déclare-t-il, rappelant le poème final des Contemplations, « Ce que dit la bouche d'ombre », dicté au poète grâce au procédé spirite des « tables tournantes ». Alors au sommet de leur popularité, les tables se pratiquaient dans tous les salons de Paris, jusque chez l'empereur aux Tuileries et à Compiègne. Trois ans auparavant, il s'était ému de pouvoir converser avec sa fille disparue, Léopoldine, et lui avait érigé un monument poétique, les Contemplations, dont les Hugo profitaient du triomphe : « Je suis heureux que le livre des Contemplations ait été lu par vous. Vous y avez retrouvé nos chers souvenirs et nos aspirations communes. L'exil a cela de bon, qu'il met le sceau sur l'homme et qu'il conserve l'âme telle qu'elle est ». Ses conversations nocturnes s'étendirent bientôt à une cohorte d'illustres personnages, qui communiquaient avec la famille Hugo par les craquements d'un guéridon. Lors de séances quasi-quotidiennes, Hugo avait invoqué l'âme de Chateaubriand, Dante, Racine, Annibal, André Chénier, Shakespeare, Molière, Aristote, Lord Byron, Louis XVI, Napoléon 1er, ou encore Jésus-Christ : « c'est seulement vers les ombres que je me tourne, car c'est là qu'est la gloire, la fierté, la grandeur des âmes, la lumière ; et il y a maintenant plus de vie dans les morts que dans les vivants » confie-t-il à la veuve du sculpteur. David d'Angers avait atteint l'éternité à laquelle ils aspiraient tous deux à travers les mots et la matière, demeurant à jamais présent dans ses souvenirs et les portraits marmoréens qu'il sculpta pour lui. 
 
Au travers des lignes, se dévoile le poète des Contemplations, l'homme endeuillé et toujours meurtri par la disparition de sa fille Léopoldine et de son cher ami. Hugo se livre ici à un magnifique mouvement de lyrisme épistolaire, le sculpteur angevin ayant laissé à la postérité les plus beaux portraits de l'écrivain. Bien des années plus tard, Victor Hugo lui-même fut placé en grande pompe au Panthéon des grands hommes, dont son ami David d'Angers avait orné le fronton.


"Guernesey, 13 mai [1856].
Je ne veux pas, madame, que cette lettre parte sans vous porter mon remerciement, mon respect et mon souvenir. Vous êtes la veuve de notre grand David d'Angers, et vous êtes sa digne veuve comme vous avez été sa digne femme.
À cette heure, toutes les fois que je me tourne vers la patrie, c'est seulement vers les ombres que je me tourne, car c'est là qu'est la gloire, la fierté, la grandeur des âmes, la lumière ; et il y a maintenant plus de vie dans les morts que dans les vivants.
David est une des ombres auxquelles je parle le plus souvent, ombre moi-même. Mon exil est comme voisin de son tombeau, et je vois distinctement sa grande âme hors de ce monde, comme je vois sa grande vie dans l'histoire sévère de notre temps. Soyez fière, madame, du nom grave et illustre que vous portez. David est aujourd'hui une figure de mémoire, une renommée de marbre, un habitant du piédestal après en avoir été l'ouvrier. Aujourd'hui, la mort a sacré l'homme et le statuaire est statue. L'ombre qu'il jette sur vous, madame, donne à votre vie la forme de la gloire.
Je suis heureux que le livre des Contemplations ait été lu par vous. Vous y avez retrouvé nos chers souvenirs et nos aspirations communes. L'exil a cela de bon, qu'il met le sceau sur l'homme et qu'il conserve l'âme telle qu'elle est.
Avant peu, peut-être, madame, ma famille vous demandera de lui rendre ce buste qui est ma figure, ce qui est peu de chose, mais qui est un chef-d'œuvre de David, ce qui est tout. C'est lui encore plus que moi, et c'est pour cela que nous voulons l'avoir parmi nous.
Je mets à vos pieds ma tendre et respectueuse amitié.
post scriptum inédit : est-ce que vous seriez être assez bonne pour faire jeter cette lettre à la poste. Mille remerciements, espérons, Madame. V.H."


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