Marcel PROUST & Lucien DAUDET
Autour de soixante lettres de Marcel Proust
Gallimard, Paris 1929, 15x19,5cm, relié.
Edition originale, un des exemplaires du service de presse.
Reliure en demi maroquin noir, dos à cinq nerfs, mention « Exemplaire Jean Cocteau » estampée à l’or en pied du dos, plats de papier jaspé, contreplats et gardes doublés de papier peigné, couvertures et dos conservés, tête dorée, reliure signée de P. Goy & C. Vilaine.
Précieux et bel envoi autographe signé de Lucien Daudet à Jean Cocteau :« … souvenirs, souvenirs… »Au sein du trio – presque un triolisme – Proust-Daudet-Cocteau, se mêlent inextricablement les histoires d’amour, d’amitié et d’émulation littéraire. Au rythme des passions et des jalousies dont elle s’inspire, l’œuvre naissante des trois artistes se confronte et s’affirme.
Le premier roman de Lucien Daudet évoque ainsi sa passion interdite pour Marcel, Proust s’inspire de Cocteau pour son
Jean Santeuil, tout en s’interdisant de croquer Daudet : « vous êtes absent de ce livre, vous faites trop partie de mon cœur pour que je puisse vous peindre objectivement » lui inscrit-il en dédicace sur le premier des cinq exemplaires sur Japon de
Du côté de chez Swann.
Amants jaloux et amis fidèles, à l’image de cet avertissement de Daudet à Cocteau : « Marcel est génial, mais c’est un insecte atroce. Vous le comprendrez un jour », les trois écrivains s’éprennent et se déprennent les uns des autres.
Au fil d’une riche correspondance, ils se séduisent : « si je t’aime/si tu m’aimes/si on s’aime » (Proust à Cocteau, juillet 1910), se reprochent leurs affinités extérieures : « vous êtes un être admirable mais vous n’êtes pas un ami véritable » (Proust à Cocteau, juillet 1913) mais surtout se soutiennent et encouragent l’épanouissement de leur génie respectif dont ils assistent aux prémisses.
Ainsi est-ce dans l’alcôve haussmannienne de Proust, tandis qu’ils n’ont encore pratiquement rien publié, que Cocteau soumet ses premiers poèmes, Lucien Daudet ses timides tentatives picturales ou romanesques et Proust les extraits épars de son interminable œuvre en cours, chacun vouant aux autres une admiration profonde.
La première œuvre de Lucien Daudet,
Le Chemin mort, audacieux récit d’un jeune éphèbe envoûté par un riche fils d’industriel « élégant comme une gravure de mode », dénommé Marcel, est encensée publiquement par Proust pour le « sens de l’observation pathétique » de son protégé.
De même le jeune Cocteau se voit-il gratifié d’un très intime hommage pour sa
Danse de Sophocle : « C’est émouvant de penser que de cette seule fleur si belle et douce, si innocente et si penchée que vous êtes, a pu s’élever et se construire, sans que la tige fléchît et cessât de plaire et d’être flexible, cette immense et solide et dense colonne de pensée et de parfum. » (Proust,
Correspondance, tome XI, p.148)
Proust, pour sa part, doit en partie à ses deux amis la publication du
Swann et l’écho fait à son œuvre : « miniature géante, pleine de mirages, de jardins superposés, de jeux entre l’espace et le temps, de larges touches fraîches à la Manet » (Cocteau in
L’Excelsior), « Jamais, je crois, l’analyse de tout ce dont est composée notre existence ne fut poussée aussi loin ». (Daudet in
Le Figaro).
La relation exclusive qu’entretinrent Proust Daudet et Cocteau entre 1896 et 1913 eut sans doute en partie raison de l’épanouissement artistique de Lucien Daudet, et Cocteau dut s’affranchir de ses étouffants modèles pour se réaliser complètement.
Une indéfectible amitié et des « souvenirs » sont tout ce qu’il restera des années d’intimité amoureuse entre trois artistes libérés qui par leur talent et par leur vie annonçaient l’entrée dans la modernité.
Exceptionnel exemplaire réunissant une dernière fois, dans une dédicace complice, les trois amis particuliers.