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Max ERNST L'Aigle, collage original de Max Ernst - Ensemble : le dernier Album de Cartes Postales conçu par Paul Eluard encore en mains privées

Max ERNST

Paul ELUARD

L'Aigle, collage original de Max Ernst - Ensemble : le dernier Album de Cartes Postales conçu par Paul Eluard encore en mains privées

S.n., S.l. S.d. (Circa 1930), Cadre : 34x31,4cm / collage : 14x9cm, relié.


Collage original de Max Ernst conçu à partir de différents timbres colorés, formant un rapace aux ailes déployées dont les griffes ont été dessinées par l'artiste au crayon de papier. Le collage, aujourd'hui encadré sous passe-partout vert et au format carte postale, se trouvait à l'origine sur la douzième planche de l'album joint ayant appartenu à Paul Eluard. Les timbres qu'il nous a été possible d'identifier ont été produits entre 1906 et 1913. Le collage a vraisemblablement été réalisé à la fin des années 1920 ou au tout début des années 1930. C'est, à notre connaissance, le seul oiseau de ce genre réalisé par Ernst à partir de timbres, et il a très probablement été créé spécialement par l'artiste pour rendre hommage à la passion cartophilique de son ami poète. Werner Spies (Max Ernst – Loplop, 1997) souligne par ailleurs la présence, dans d'autres albums de cartes postales ayant appartenu à Eluard, de papillons réalisés grâce à la même technique : « avec leurs corps et leurs ailes découpés dans des timbres, leurs pattes et leurs antennes ajoutées à l'encre ».
Le motif choisi, l'aigle, fait écho à un très beau poème d'Eluard intitulé « La Malédiction » :
 

« Un aigle, sur un rocher, contemple l'horizon béat. Un aigle défend le mouvement des sphères. Couleurs douces de la charité, tristesse, lueurs sur les arbres décharnés, lyre en étoile d'araignée, les hommes qui sous tous les cieux se ressemblent sont aussi bêtes sur la terre qu'au ciel. Et celui qui traîne un couteau dans les herbes hautes, dans les herbes de mes yeux, de mes cheveux et de mes rêves, celui qui porte dans ses bras tous les signes de l'ombre, est tombé, tacheté d'azur, sur les fleurs à quatre couleurs. » (Mourir de ne pas mourir – 1924 avec un portrait d'Eluard par Ernst en frontispice)



 
Si le rapace dominant ces vers symbolise le poète, celui du collage pourrait s'avérer être un autoportrait de Max Ernst. En effet, nombre de ses amis prêtaient à l'artiste des similitudes physiques avec les oiseaux. Le choix du motif de l'aigle pourrait également s'avérer une plaisanterie politique, une référence aux origines allemandes de Max Ernst. Quoi qu'il en soit, la création de ce collage coïncide avec la création de la figure de Loplop « le supérieur des oiseaux », alter ego de l'artiste baptisé ainsi en l'hommage du fantasque Ferdinand Lop :
 

« Tel un mannequin, Loplop « essaie » successivement divers sujets qu'il importe de replacer dans le contexte général d'une création protéiforme. Ce personnage de premier plan incarne tous les genres en abolissant les frontières entre les mêmes genres. Personnages, paysages, fleurs-coquillages, décors et éléments dramatiques surgissent souvent de manière simultanée. La série Loplop est vouée au mélange : combiner et associer des motifs disparates est un des buts essentiels du surréalisme, qui tend à élargir le champ de la représentation en troublant l'esprit et les sens. […] L'identification à Loplop a beau ne concerner que Max Ernst et faire partie de sa mythologie personnelle, ses amis surréalistes voient très rapidement dans cet oiseau un alter ego de Max Ernst. Plusieurs sources en témoignent, dont un poème de Paul Eluard datant de 1926 intitulé Max Ernst : « Dévoré par les plumes et soumis à la mer / Il a laissé passer son ombre en vol / Des oiseaux de la liberté. » » (W. Spies, op. cit.)



 
On sait en outre que Max Ernst connaissait parfaitement l'ensemble cartophilique de son ami poète et se servait des cartes postales en relief de ses albums afin de réaliser ses fameux frottages (W. Spies, op. cit., pp. 71-72). Werner Spies va plus loin et affirme que Max Ernst contribua à la constitution des albums d'Eluard (ibid, p. 32). Le très beau collage aviaire qu'il lui offrit et la présence initiale de celui-ci dans notre album prennent donc ici tout leur sens. Il s'agit non seulement d'un hommage à la collection d'Eluard (l'utilisation de timbres, éléments constitutifs de l'art épistolaire est un clin d'œil), mais surtout d'un témoignage de l'amitié fraternelle qui unit ces deux grandes figures surréalistes.
 
Ensemble :

Exceptionnel album constitué par Paul Eluard, comprenant 498 cartes postales artistiquement ordonnancées sur 83 pages. Il s'agit de l'unique album en mains privées de la célèbre collection du poète, les autres ayant été acquis par le Musée de la Poste. Exposée au Musée du Jeu de Paume en 2008 avec le collage de Max Ernst, la collection d'Eluard fut pour lui, bien plus qu'une lubie cartophilique, le moyen d'une véritable expression artistique, politique et sociale.
 
Dans le numéro 3-4 (décembre 1933) de la revue Le Minotaure, Eluard érige sa collection en manifeste surréaliste, dénonçant l'asservissement des masses par le prosaïsme de l'image :


« Trésors de rien du tout, dont le goût était donné aux enfants par les chromos, les timbres, les images de chicorée, de catéchisme, de chocolat ou par celles, en séries, que l'on distribuait dans les Grands Magasins, les cartes postales plurent rapidement aux grandes personnes par leur naïveté et plus encore, hélas ! par l'espèce d'égalité par en bas qu'elles établissaient entre l'envoyeur et le destinataire. Parmi les milliards de cartes postales […] qui circulèrent en Europe de 1891 à 1914, il en est peu qui soient belles, touchantes ou curieuses. Nous les avons recherchées avec acharnement, en essayant de réduire autant que possible la part énorme que le découragement pouvait faire à l'excès d'imbécillité, au plus bas comique, à l'horreur, en sublimisant les raisons d'un pessimisme profond, inévitable. » (P. Eluard, « Les plus belles cartes postales »)



 
Les différents types de cartes postales listés par Eluard dans le Minotaure apparaissent tous dans notre album où cohabitent les fleurs pailletées, les papillons criards, les nus féminins explicites, les petits Napoléons et autres blagues potaches révélées par des cartes à systèmes. De nombreuses images témoignent également des stéréotypes racistes et sexistes de l'époque, mettant en scène les « types » des colonies ou raillant la prétendue ignorance féminine pour la chose sexuelle.
Le poète recrée ainsi un véritable microcosme par lequel il dénonce l'absurdité du monde et les inégalités sociales :
 

« Commandées par les exploiteurs pour distraire les exploités, les cartes postales ne constituent pas un art populaire. Tout au plus la petite monnaie de l'art tout court et de la poésie. Mais cette petite monnaie donne parfois idée de l'or. » (ibid.)



 
« L'or » c'est justement le résultat de cette minutieuse collection et surtout de l'agencement très étudié de ces images « toutes faites » formant un langage poétique unique. La construction visuelle de l'album, alternant entre contrastes et analogies, n'est en effet pas sans rappeler les romans-collages de Max Ernst et plus largement les cadavres exquis surréalistes.

Provenance : Collection Paul Eluard - Collection Gala Eluard Dali - Collection Cécile Eluard - Collection Roger Dérieux 
 

VENDU

Réf : 82109

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