Jean COCTEAU
Carte blanche
Editions de la Sirène, Paris 1920, 10,5x18cm, broché.
Édition originale, un des 1945 exemplaires numérotés sur alfa d’Écosse, seul tirage avec cinq Japon et 50 Corée. Précieux et émouvant envoi autographe signé de Jean Cocteau à Raymond Radiguet : « À mon cher Raymond, en échange des “Joues en feu”/ son ami Jean/Juillet 1920. »
Nombreux soulignements et annotations au crayon de Raymond Radiguet qui projetait une réponse aux réflexions artistiques de son ainé ainsi qu’il l’a noté sur le vestige du signet comportant le numéro de l’exemplaire.
Dos légèrement passé comme habituellement, quelques rousseurs marginales. Ex-libris Georges Crès encollé en tête de la garde.
Notre exemplaire est présenté sous chemise en demi-maroquin marine, dos carré, gardes de feutre menthe, étui de cartonnage gris, ensemble signé de Devauchelle.
En juin 1919, Raymond Radiguet se présente pour la première fois au 10, rue d’Anjou à Paris pour rencontrer, sur les conseils de Max Jacob, la figure littéraire qu’est Jean Cocteau. Ce dernier est alors rédacteur d’une chronique « Carte blanche » dans Paris-Midi. Quelques jours après cette rencontre, dans cette même chronique,Cocteau publie une tribune à propos de Raymond Radiguet, « le plus jeune de nos jeunes poètes » (30 juin 1919). Plus que son dernier ouvrage, c’est cette introduction officielle dans le monde des Lettres, que Cocteau offre à celui qui, tragiquement, demeurera « le plus jeune de nos jeunes poètes ».
Cette précieuse dédicace marque ainsi le début d’une relation qui durera les quelques années qui restent à vivre à Radiguet. Amitié littéraire, complexe de Pygmalion ou liaison amoureuse, il est difficile de qualifier le lien qui a uni les deux poètes.
Il est en revanche certain qu’une admiration artistique réciproque mène Jean Cocteau et Raymond Radiguet à s’émuler dans leur production littéraire. Sous l’aile du Prince des poètes, le jeune Radiguet est introduit dans les milieux littéraires et mondains parisiens. Jean Cocteau l’encourage à toujours écrire et à publier. À l’époque de l’envoi, ils ont déjà créé en collaboration une revue littéraire : Le Coq.
L’échange d’ouvrages entre Jean Cocteau et Raymond Radiguet est une part importante de leur relation personnelle comme littéraire. Quelques exemplaires en mains privées en attestent mais peu font état de l’intimité réelle entre les deux poètes comme ce premier envoi réalisé à peine un an après leur rencontre. Daté « Juillet 1920 », l’envoi coïncide avec la sortie du premier recueil de Raymond Radiguet Les Joues en Feu (Bernouard, Paris, 1920).
Difficile de ne pas voir un jeu de mots dans le fait d’offrir une Carte blanche à Raymond Radiguet « en échange des “Joues en Feu” ». Il ajoute au mystère qui entoure les rapports des deux auteurs.
Cet envoi de Cocteau et les nombreuses annotations de Radiguet révèle la relation complexe et fructueuse entre les deux hommes. Ils se fournissent à tour de rôle inspiration littéraire mais entretiennent également une tendre intimité qui se comprend à demi-mots.
Ils ont ainsi partagé le motif littéraire des joues en feu, lié à la jeunesse et à ses passions. Il apparaît notamment dans l’Ange Heurtebise (Stock, Paris, 1925), titre intimement lié à Radiguet car il est l’ange en question. Il est cette image de la vivacité des premières années et d’un être exceptionnel, uniquement de passage : « J’avais tout de suite vu que Radiguet était prêté, qu’il faudrait le rendre. Mais je voulais faire la bête, coûte que coûte le détourner de sa vocation de mort. » (Cocteau, Lettre à Jacques Maritain, Stock, Paris, 1926).
Exceptionnel et émouvant exemplaire, témoignage de la relation intime et littéraire de Jean Cocteau et Raymond Radiguet.