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Edition Originale

Albert CAMUS L'Etranger

Albert CAMUS

L'Etranger

Gallimard, Paris 1942, 11,5x18,5cm, relié sous étui.


Édition originale sans mention d'édition pour laquelle il n'a pas été tiré de grands papiers.
Reliure en plein maroquin noir, dos à cinq nerfs, date dorée en queue, gardes et contreplats de box brun taupe, couvertures et dos conservés, toutes tranches dorées, étui bordé de maroquin noir, intérieur de feutrine taupe, plats de papier marbré, reliure signée de Devauchelle.
Très bel exemplaire superbement établi dans une parfaite reliure triplée.
Provenance  : bibliothèque personnelle de Georges Pompidou avec son ex-libris encollé en tête d'une garde.
Il faut sans doute chercher dans le parcours politique et idéologique de Pompidou, l'explication de la présence dans sa bibliothèque de ce froid récit d'une condamnation à mort, assez éloigné de sa passion pour la poésie et les grands classiques français. Plus qu'une pièce majeure de la collection de ce bibliophile averti, ce bel et rare exemplaire de l'édition originale de L'Étranger de Camus révèle l'attention particulière pour ce texte de celui qui eut, à travers le droit de grâce, le pouvoir de vie et de mort.
On connait la position d'Albert Camus sur la peine capitale, dont il fut très tôt un des ardents contempteurs. Ce n'est pourtant pas le sujet principal de ce premier roman qui, s'il met en scène un procès se concluant sur la condamnation à mort de Meursault, ne traite pas, ici, de la légitimité de la peine. De son côté, Georges Pompidou, comme Albert Camus, manifesta très tôt son aversion pour cette justice définitive. Il n'hésita pas à menacer de démissionner de son poste de premier ministre, lorsque le Général de Gaulle voulut refuser la grâce présidentielle au général Jouhaud, un des quatre dirigeants du putsch d'Alger. Élu président, Pompidou utilisera largement cet « acte de clémence » présidentiel accordant plus de 8 000 grâces pendant son mandat, soit le nombre le plus important de la Vè République.
Ce recours systématique à la grâce dans une France encore hésitante devant la question de la peine de mort, contribua à faire évoluer les mentalités. Il connaîtra cependant un point d'arrêt en 1972 lorsque Georges Pompidou pris la décision de gracier Paul Touvier (non de la « peine de mort » – déjà prescrite – mais de « l'interdiction de séjour » du milicien qui sera à nouveau jugé en 1989 et deviendra le premier condamné à perpétuité pour « crime contre l'humanité »).
Cet excès de clémence valu au président de dures critiques et une forte incompréhension de l'opinion. Sans doute, Georges Pompidou ressentit alors plus qu'auparavant que l'acte de gracier, n'était pas une simple abrogation conjoncturelle de la peine capitale, mais une responsabilité inhumaine : « Le droit de grâce n'est pas un cadeau fait au chef de l'État pour lui permettre d'exercer ses fantaisies, déclara-t-il pour sa défense. C'est une responsabilité, parfois effrayante qu'on lui impose, mais qu'il prend, au vu des dossiers bien sûr, mais seul, avec sa conscience ».
Exactement un an plus tard, Pompidou refusera pour la première fois d'accorder la grâce présidentielle à Roger Bontems pourtant innocenté du double meurtre d'une infirmière et d'un gardien perpétré à la Centrale de Clairvaux par son codétenu, Claude Buffet, et dont il ne fut jugé que complice.
Entre le pardon accordé à un criminel contre l'humanité, au nom d'une France à réconcilier et la condamnation d'un « homme qui n'a pas tué », pour apaiser un peuple en colère, le président Pompidou, eut, à travers son impossible choix de la grâce, à juger seul de la vie et de la mort d'un homme. Comme le lecteur de L'Étranger, Pompidou a gracié Touvier malgré son crime horrible, mais, comme le tribunal de Meursault, il a condamné Bontems, non pour un meurtre qu'il n'a finalement pas commis, mais parce qu'il est, en tant que banni, étranger à la communauté.
L'exécution de Bontems fut une tragique défaite pour son avocat, le plus célèbre adversaire de la peine capitale, Robert Badinter, qui implora personnellement la grâce de Pompidou. Dans son ouvrage L'Exécution, Badinter reviendra sur cette terrible affaire et sur la responsabilité du président Pompidou, à l'heure de la demande de grâce de son client :
«  Le président de la République ne nous fit guère attendre. Pourquoi cette hâte s'il ne s'agissait que de gracier ? D'autres condamnés à mort attendaient depuis des mois que le président ait le temps de voir leur avocat. Sans doute se posait le problème de Buffet qui en appelait à la rigueur présidentielle et exigeait qu'on l'exécutât dans les plus brefs délais. Mais précisément cette hâte à décider me paraissait répondre trop bien aux vœux de Buffet. Les convictions abolitionnistes du président n'étaient-elles pas aussi absolues que je le croyais ? […] Allons, mon soupçon était absurde. Bontems serait gracié. Et le plus tôt serait le mieux. Le président avait raison. La presse recommençait, depuis le rejet du pourvoi en cassation, à s'intéresser aux assassins de Clairvaux, selon la formule dont le pluriel me mettait hors de moi. Une prompte décision s'imposait à tous égards. La hâte présidentielle n'exprimait que la conscience de cette nécessité. Rien de plus. […]
Je m'interrogeais sur le droit de grâce. Il me parut receler une ambiguïté sournoise, une de ces mystifications historiques pétries d'idées reçues, d'archétypes qui faussent nos sensibilités. Bien évidemment, le droit de grâce est à l'avantage du condamné. Il lui donne une chance de plus contre l'injustice ou la rigueur des juges. Mais pour le souverain qui l'exerce, qu'implique donc ce droit de vie ou de mort sur autrui ? […] Juges et jurés ne condamnent pas l'accusé à mourir effectivement sur la guillotine. Ils offrent simplement au prince la possibilité de cette exécution. Ils ouvrent au prince l'alternative : laisser vivre ou faire mourir. à lui de choisir. […] Le prince seul en définitive décide. C'est par là qu'il est responsable et totalement responsable puisqu'il peut tout, à son gré, à sa guise, sans rendre compte à quiconque, hormis à lui-même. Puisqu'il dispose souverainement, absolument de la vie de cet homme. Sans doute il n'en disposerait pas si on ne la lui offrait pas. Mais cet homme que l'on jette au prince, enchaîné, déjà rejeté par le peuple et ses juges, pour que le prince en fasse ce que bon lui semble, cette réalité-là, cette responsabilité-là, le prince ne peut la refuser. Il n'y a pas de condamnation à mort. Seulement un vœu de mort qui monte de la cour d'assises vers le prince. »
Peut-être à la lecture de L'Étranger, Pompidou ressentit, mieux qu'un autre, la terrible sollicitation de l'auteur. Confronté à l'étrangeté du narrateur, le lecteur ne peut s'identifier pleinement à lui et moins encore à la logique fatale de ses juges. Il est ce prince vers lequel monte le vœu de mort et qui doit assumer cette responsabilité que Camus lui impose, et qu'il prend, au vu du roman bien sûr, mais seul, avec sa conscience. Cependant, tandis que la responsabilité du lecteur de L'Étranger n'est qu'intellectuelle, celle du président est terriblement concrète et définitive.
Qu'en est-il de la grâce dans le roman de Camus ? Elle est justement en suspens. Pompidou, contrairement à un lecteur sans cette terrible responsabilité, n'a pas pu passer à côté de ce discret détail de la fin de L'Étranger. Meursault n'est en réalité pas encore définitivement condamné lorsque s'achève le roman et qu'il rejoint enfin la communauté dans la haine qu'il lui inspire. Il attend encore l'éventuelle grâce présidentielle.
« Je devais accepter le rejet de mon pourvoi. à ce moment, a ce moment seulement, j'avais pour ainsi dire le droit, je me donnais en quelque sorte la permission d'aborder la deuxième hypothèse : j'étais gracié. L'ennuyeux c'est qu'il fallait rendre moins fougueux cet élan du sang et du corps qui me piquait les yeux d'une joie insensée.  Il fallait que je m'applique à réduire ce cri à le raisonner. Il fallait que je sois naturel même dans cette hypothèse, pour rendre plus plausible ma résignation dans la première. Quand j'avais réussi, j'avais gagné une heure de calme. Cela tout de même était à considérer. »
L'abolition de la peine de mort fut l'un des grands combats de plusieurs intellectuels et hommes de pouvoir de la seconde partie du XXè siècle, au rang desquels Camus et Pompidou. Mais en 1942, le jeune écrivain ne plaide pas contre la peine capitale, il en expose la mécanique absurde confrontée à l'impénétrabilité humaine. Et, lorsque, dans les années 1960-1970, l'homme d'État Georges Pompidou acquiert cette édition originale, il est lui-même confronté à la terrible réalité de cette « responsabilité effrayante » qu'est la condamnation à mort d'un homme.
Tandis que Meursault, à la veille de sa probable exécution, s'ouvre, dans la colère, « à la tendre indifférence du monde », Camus convoque le jugement ultime du lecteur qui, comme le Président, demeure seul juge de la vie humaine, dans le silence qui suit les « cris de haine » qui achèvent le roman.
Très bel exemplaire sans mention, de la bibliothèque personnelle du président Georges Pompidou parfaitement établi dans une reliure en plein maroquin triplé.
 

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