Maurice BLANCHOT
Thomas l'obscur
Gallimard, Paris 1941, 14,5x21cm, broché.
Edition originale pour laquelle il n'a pas été tiré de grands papiers, un des exemplaires du service de presse.
Très précieux et émouvant envoi autographe signé de l'auteur à sa mère et à sa soeur : "Des voix disaient : l'univers est dans la nuit. / G. de Nerval. / A ma chère maman, à ma vieille Marg / avec toute mon affection."
Marguerite Blanchot, organiste de renom à la cathédrale de Chalon, demeura toute sa vie dans la maison familiale, avec sa mère et sa tante. "Elle deviendra peu à peu, pour la famille, comme la mémoire des origines." Très proche de Maurice, elle correspond régulièrement avec l'écrivain qui lui témoigne une grande reconnaissance pour son dévouement envers leur mère impotente. Si l'intense affection de Blanchot pour sa mère et sa soeur transparait dans les dédicaces de celui-ci, on ne sait presque rien de leur relations. Dans l'unique essai biographique sur Blanchot, Christophe Bident nous révèle cependant : "Marguerite Blanchot vénérait son frère Maurice. Très fière de lui, (…) elle attachait une grande importance à ses idées politiques (…). Elle lisait beaucoup (...) Ils se téléphonaient, correspondaient. A distance, ils partageaient la même autorité naturelle, le même souci de discrétion." Blanchot lui adresse en effet de nombreux ouvrages provenant de sa bibliothèque, maintenant avec elle un lien intellectuel continu. Quant à la passion de Blanchot pour sa mère, c'est au détour de son œuvre que l'on en découvre les plus beaux témoignages: "Peut-être la puissance de la figure maternelle emprunte-t-elle son éclat à la puissance même de la fascination, et l'on pourrait dire que si la Mère exerce cet attrait fascinant, c'est qu'apparaissant quand l'enfant vit tout entier sous le regard de la fascination, elle concentre en elle tous les pouvoirs de l'enchantement".
Cultivant une discrétion absolue, Blanchot poussait l'art de l'effacement jusque dans ses dédicaces manuscrites généralement succinctes et rédigées presque systématiquement sur des cartes jointes aux rares ouvrages qu'il offrait à ses proches amis. A l'opposé, dans ces précieux envois à sa mère et sa sœur, Blanchot s'offre dans toute sa fragilité et dévoile une intimité jusqu'alors inconnue. La citation de Nerval, sibylline en d'autres temps, prend, en cette année terrible où successivement Lévinas est arrété et Paul Lévy fuit la persécution, une valeur symbolique profonde. Blanchot la reprend d'ailleurs sur l'exemplaire de Xavier de Lignac et C. Bident y voit une référence directe à la rupture politique de Blanchot et à la perte de sa foi. Le jeune Blanchot fort de ses convictions extrémistes est mort, celui qui renaît est dans la nuit, guidé par "des voix" qui ne disent rien d'évident.
Infimes piqûres marginales sur les plats, dos très légèrement insolé, agréable exemplaire.