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Maurice BLANCHOT Manuscrit et tapuscrit de Thomas le Solitaire

Maurice BLANCHOT

Manuscrit et tapuscrit de Thomas le Solitaire

1940, en feuilles.


Exceptionnel manuscrit inédit et jusqu’alors inconnu du premier livre de Maurice Blanchot, Thomas le Solitaire. On joint le tapuscrit original.
 
352 feuillets manuscrits au recto de 14 x 21 cm, nombreuses corrections et ratures autographes, et 366 feuillets tapuscrits au recto de 21 x 27 cm comprenant de nombreuses corrections manuscrites et tapuscrites à l’encre rouge.
 
Ce roman précède l’écriture du premier ouvrage imprimé de Maurice Blanchot : Thomas l’Obscur. Il constitue une première version de l’histoire de Thomas plus longue et narrativement très différente de celle qui paraîtra en 1941 chez Gallimard.
Non daté, ce manuscrit comporte cependant plusieurs références aux événements contemporains qui permettent de situer sa rédaction autour de 1934. Ainsi correspond-il au roman qu’évoquent ses amis à l’époque : « Nous savons qu’il  écrit un premier livre. Kléber Haedens qui a pu en entrevoir des bribes me dit que Thomas l’Obscur sera un chef-d’œuvre » (à l’ombre des têtes molles, Pierre Monnier).
En réalité ce roman, sur lequel Maurice Blanchot travaille depuis 1932, n’est pas encore Thomas l’Obscur, mais bien cette première version, dont le milieu blanchotien soupçonnait depuis longtemps l’existence sans jamais en avoir eu confirmation. Nul ne sachant s’il entretenait un lien avec Thomas l’Obscur, ce premier roman mythique était ainsi évoqué sous le titre presque exact de « Le Solitaire ».
« Il y a, pour tout ouvrage, une infinité de variantes possibles. » C’est ainsi que Maurice Blanchot introduit en 1950 la nouvelle version de son roman Thomas l’Obscur.
Thomas le Solitaire est, pour sa part, bien plus qu’une « version longue » de Thomas l’Obscur. Ces « pages […] écrites à partir de 1932 » ont en effet connu un premier état d’achèvement qui, si elles présentent une composition générale et une intention semblable au roman de 1941, diffèrent cependant profondément narrativement et structurellement.
Thomas le Solitaire est une œuvre aboutie, comme en témoignent les nombreuses corrections sur le manuscrit et l’existence d’un tapuscrit marquant, chez Blanchot, l’achèvement de la création. Ce premier roman reste cependant engagé dans des recherches d’affabulation, de mode narratif et de style où les tâtonnements  et les ballons d’essai se multiplient, mettant en balance divers procédés qui seront appliqués dans Thomas l’Obscur ou définitivement abandonnés par l’écrivain.
Si Thomas l’Obscur frappe ses lecteurs par son caractère insolite – Claude Roy le compare à un ovni – Thomas le Solitaire se présente dans un premier temps comme un roman très réaliste.
à l’opposé de la sobriété narrative caractérisant les romans ultérieurs de Blanchot, ce premier Thomas se distingue par les nombreux événements et personnages, dont Antoine, l’hôtelier – auquel est consacré un chapitre entier supprimé dans Thomas l’Obscur.
L’action se situe d’abord sur la Côte d’Azur en été, Blanchot emmène le lecteur passer du temps sur la plage, jouer au tennis, manger à l’hôtel, jouer au casino de Monte-Carle. Thomas observe les jeunes femmes qui se baignent, tente d’entrer en relation avec certaines d’entre elles. On rencontre Geneviève, Éveline, Louise, Mme Taillegloire et Mme Renetour, on apprend l’histoire des Ruffeteau dont le domaine est abandonné et où Thomas voudrait aller se promener. On croise Desrousseaux et son échec électoral, les Guilleminet et les Métadier, familles de la région, Antoinette, Jeannette, Françoise et Angéline les domestiques. Par la suite, l’action se déplace vers Paris dont les rues, les monuments et les lieux chics sont évoqués de manière à situer le roman dans un monde familier. Tandis que dans Thomas l’Obscur Thomas ne rencontre dans la foule où Anne l’entraîne que « tous ceux qui ont une passion, une manie… », dans Thomas le Solitaire ces gens sortent « de l’Opéra, du Paramount, de la Comédie française ».  On s’arrête devant « les devantures de Nicolas et de Guerlain » ; « le Gaîté-Cinéma » « une publicité d’une gaine "Scandale" » et des « femmes qui s’habillent chez Patou ».
Plus important encore pour cet écrivain marqué par un profond renversement de ses convictions politiques, le roman s’inscrit dans une actualité parfaitement identifiable et ses personnages se définissent par des références historiques et des opinions politiques claires, remplacées dans Thomas l’Obscur par des abstractions et des généralités intemporelles. « Ses illusions de jeunesse, c’était la vertu de M. Thiers, la probité de Fouquet » apprend-on de Thomas dont on sait également qu’il considère « M. Lebrun, Président de la République » comme « l’homme le plus inoffensif ». L’émeute du chapitre XII (qui deviendra le chapitre XI), dont les détails sont gommés dans Thomas l’Obscur est ici clairement identifiée comme étant celle du 6 février 1934.  « L’émeute approchait de l’Élysée » lit-on. « Si la République était renversée ce soir, […] il était possible qu’Irène parvînt avenue Marigny […]. Mais l’émeute fut vaincue. […] On n’entendit à l’instant décisif, crié par les chefs, que merde, parole de vaincu […]. Irène descendit de voiture. La garde mobile, refoulant les manifestants, la livrait brusquement au  froid, […] déjà défigurée comme l’émeute, devant l’histoire ».
Tout aussi capitales sont les nombreuses références littéraires dont le jeune Blanchot parsème son Thomas le Solitaire. Anne lit « des romans des veillées des chaumières qu’elle dissimulait dans sa chambre comme d’autres Paris-Flirt ou L’Initiation sexuelle ». Thomas avait conduit Anne « dans un roman de Zenaïde Fleuriot ». Irène est habituée à vivre « parmi des gens qui se faisaient présenter Cocteau avant de lire Les Enfants terribles, et nommaient Christian Bérard Bébé ».
Paradoxalement, cette abondance de marqueurs réalistes procède déjà de la recherche d’une écriture du désastre que Blanchot réalisera pleinement dans la version de 1950. Ainsi est-ce par l’excès que le jeune écrivain conduit dans ce premier roman la narration à l’impasse.
La multiplicité de personnages et d’aventures – ménage à trois formé par Thomas, Anne et Irène, amants de passage tels que Paul, Gabriel ou Li – n’oriente le roman vers aucun dénouement et dévoile en négatif l’absence d’intrigue d’une histoire qui reste prise dans un perpétuel présent, répété à travers les combinatoires créées par les trois personnages, en attendant de trouver la faille qui videra le temps de sa substance chronologique en précipitant le roman vers sa fin.
Plus encore, la surreprésentation des métaphores, qui constituent une partie importante de la substance narrative du roman, révèle non seulement un lyrisme inconnu de l’auteur mais participe paradoxalement par leur incongruité ou leur discordance interne à la déconstruction narrative du récit :
« Thomas se trouvait soudain jeté dans une énorme cuve de radium, où bombardé de coups de coude, de coups de tête […] il recevait tous les atomes d’une grande vie » ;
« À ses pieds venaient mourir toutes les puissances qui font qu’Œdipe épouse sa mère, que le failli se suicide le jour même où il gagne à la loterie nationale » ; 
« Seuls restaient pour se battre des bouchers et des normaliens qui parlent de poésie » ;
« Cette nuit […] où il y avait une recrudescence ridicule de cancer, d’artério-sclérose dans l’organisme, de fêlures dans les vases »…
Roman sentimental par la forme, Thomas le Solitaire est en réalité déjà une œuvre pleinement blanchotienne. Telle une tour de Babel, l’histoire s’épuise par la multiplicité des langages, échec qui en définitive se révèle être le véritable sens de l’œuvre.
Cette comparaison biblique pourrait sembler audacieuse au regard de l’athéisme radical auquel Blanchot consacrera toute son activité d’écrivain et de penseur.
Pourtant, c’est autour de cette question de la spiritualité que ce premier roman révèle sa divergence la plus radicale.
En 1934, la fin de Thomas le Solitaire est entièrement différente de ce qu’elle deviendra dans la version imprimée. Si la conclusion de Thomas l’Obscur emprunte le schéma du Cantique spirituel de Saint Jean de la Croix, celle de Thomas le Solitaire, abondamment corrigée, est inspirée du livre de l’Apocalypse. Et c’est dans une sorte d’hymne dont les tonalités font penser à Péguy ou à Claudel que le monde et les hommes trouvent leur fin :
« Ô avalanche d’images grossières dont ils profitent dans un plaisir suprême qui les abouche avec la pure joie. Ô fleuve irrésistible de Dieu qui s’engouffre jusque dans leurs intestins et roule dans leur cavité de suaves sensations. […] C’est qu’ils ont découvert que la mer, immense fadeur, cette mer, cristal vivant, fond sous leur corps de sel. Ô vendange saccagé maintenant tarie, affreuse vendange qui se boit. L’abîme lui-même se confond. Le néant prépare sa fin. L’univers est perdu.  Il est temps, ô Thomas, de faire comme les hommes qui arrachent leur tête de leurs épaules et dispersent leurs membres, d’entrer avec eux dans la mort seconde. »
Cette fin, qui nécessiterait un long travail d’exégèse pour en épuiser le sens énigmatique, suffirait à elle-seule à différencier ce solitaire de son obscur successeur. Pourtant, si Thomas le Solitaire ne peut être considéré comme une simple version du roman à venir, il existe un lien textuel fondamental entre lui et le Thomas de 1941.
Ainsi découvre-t-on que l’histoire que lit Thomas au début du chapitre IV de Thomas l’Obscur : « Thomas demeura à lire dans sa chambre. […] Ceux qui entraient se penchaient sur son épaule et lisaient ces phrases : "Il descendit sur la plage, il voulait marcher…" » se révèle en fait être un extrait d’un passage inédit de Thomas le Solitaire. Par un jeu de citation secrète, Blanchot fait lire à l’obscur le roman de son alter ego solitaire.
La lecture du roman publié en 1941 passe ainsi par une lecture induite de cette œuvre « jumelle » (« toma » en araméen) et Blanchot intègre implicitement à l’œuvre achevée et publiée sa genèse non dévoilée.

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Réf : 52054

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