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Charles BAUDELAIRE & Victor HUGO Théophile Gautier. Notice littéraire précédée d'une lettre de Victor Hugo

75 000 €

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Charles BAUDELAIRE & Victor HUGO

Théophile Gautier. Notice littéraire précédée d'une lettre de Victor Hugo

Poulet-Malassis et de Broise, Paris 1859, 11,5x18cm, relié.


| Envois de Baudelaire & Hugo : la tempétueuse rencontre littéraire de l'Albatros et de l'Homme Océan |


*

Édition originale, dont il n'a été tiré que 500 exemplaires. Portrait de Théophile Gautier gravé à l'eau forte par Emile Thérond en frontisipice.
Importante lettre préface de Victor Hugo.
Reliure en plein maroquin rouge, dos à cinq nerfs sertis de filets noirs, date dorée en queue, gardes et contreplats de papier à la cuve, ex-libris baudelairien de Renée Cortot encollé sur la première garde, couvertures conservées, tête dorée.
Pâles rousseurs affectant les premiers et derniers feuillets, bel exemplaire parfaitement établi.
Rare envoi autographe signé de Charles Baudelaire : « à mon ami Paul Meurice. Ch. Baudelaire. »
Un billet d'ex-dono autographe de Victor Hugo adressé à Paul Meurice à été joint à cet exemplaire par nos soins et monté sur onglet. Ce billet, qui ne fut sans doute jamais utilisé, avait été cependant préparé, avec quelques autres, par Victor Hugo pour offrir à son ami un exemplaire de ses œuvres publiées à Paris, pendant son exil. Si l'histoire ne permit pas à Hugo d'adresser cet ouvrage à Meurice, ce billet d'envoi, jusqu'à lors non utilisé, ne pouvait être, selon nous, plus justement associé.
Cette exceptionnelle dédicace manuscrite de Charles Baudelaire à Paul Meurice, véritable frère de substitution de Victor Hugo, porte le témoignage d'une rencontre littéraire unique entre deux des plus importants poètes français, Hugo et Baudelaire.
Paul Meurice fut en effet l'intermédiaire indispensable entre le poète condamné et son illustre pair exilé, car demander à Victor Hugo d'associer leurs noms à cette élégie de Théophile Gautier fut une des grandes audaces de Charles Baudelaire et n'aurait sans doute eu aucune chance de se réaliser sans le précieux concours de Paul Meurice.
Nègre de Dumas, auteur de Fanfan la Tulipe et des adaptations théâtrales de Victor Hugo, George Sand, Alexandre Dumas ou Théophile Gautier, Paul Meurice fut un écrivain de talent qui se tint dans l'ombre des grands artistes de son temps. Sa relation unique avec Victor Hugo lui conféra cependant un rôle déterminant dans l'histoire littéraire. Plus qu'un ami, Paul se substitua, avec Auguste Vacquerie, aux frères décédés de Victor Hugo : « j'ai perdu mes deux frères ; lui et vous, vous et lui, vous les remplacez ; seulement j'étais le cadet ; je suis devenu l'aîné, voilà toute la différence. » C'est à ce frère de cœur (dont il fut le témoin de mariage au côté d'Ingres et Dumas) que le poète en exil confia ses intérêts littéraires et financiers et c'est lui qu'il désignera, avec Auguste Vacquerie, comme exécuteur testamentaire. Après la mort du poète, Meurice fondera la maison Victor Hugo qui est, aujourd'hui encore, une des plus célèbres demeures-musées d'écrivain.
En 1859, la maison de Paul est devenue l'antichambre parisienne du rocher anglo-normand de Victor Hugo, et Baudelaire s'adresse donc naturellement à cet ambassadeur officiel. Les deux hommes se connaissent assez peu mais partagent un ami commun, Théophile Gautier, avec lequel Meurice travailla dès 1842 à une adaptation de Falstaff. Il est donc l'intermédiaire idéal pour s'assurer la bienveillance de l'inaccessible Hugo.
Baudelaire avait pourtant déjà brièvement rencontré Victor Hugo. à dix-neuf ans, il sollicita une entrevue avec le plus grand poète moderne, auquel il vouait un culte depuis l'enfance : « Je vous aime comme on aime un héros, un livre, comme on aime purement et sans intérêt toute belle chose. ». Déjà, il se rêvait en digne successeur, comme il lui avoue à demi-mot : « à dix-neuf ans eussiez-vous hésité à en écrire autant à [...] Chateaubriand par exemple ». Pour le jeune apprenti poète, Victor Hugo appartient au passé, et Baudelaire souhaitera rapidement s'affranchir de ce pesant modèle.
Dès son premier ouvrage, Le Salon de 1845, l'iconoclaste Baudelaire éreinte son ancienne idole en déclarant la fin du Romantisme dont Hugo est le représentant absolu : « Voilà les dernières ruines de l'ancien romantisme [...] C'est M. Victor Hugo qui a perdu Boulanger – après en avoir perdu tant d'autres – C'est le poète qui a fait tomber le peintre dans la fosse. »
Un an plus tard, dans le Salon de 1846 il réitère son attaque plus férocement encore, destituant le maître Romantique de son trône : « car si ma définition du romantisme (intimité, spiritualité, etc.) place Delacroix à la tête du romantisme, elle en exclut naturellement M. Victor Hugo. [...] M. Victor Hugo, dont je ne veux certainement pas diminuer la noblesse et la majesté, est un ouvrier beaucoup plus adroit qu'inventif, un travailleur bien plus correct que créateur. [...] Trop matériel, trop attentif aux superficies de la nature, M. Victor Hugo est devenu un peintre en poésie ».
Ce meurtre du père ne pouvait se réaliser pleinement sans une figure de substitution. C'est Théophile Gautier qui servira de nouveau modèle à la jeune génération, tandis que Victor Hugo, bientôt exilé, ne devait plus publier d'autres écrits que politique pendant près de dix années. Ainsi, lorsque Baudelaire adresse un exemplaire de ses Fleurs du mal à Victor Hugo, il sait qu'il lui inflige cette terrible dédicace imprimée en tête « Au poète impeccable au parfait magicien ès Lettres françaises à mon très cher et très vénéré maître et ami Théophile Gautier ». L'animosité du jeune poète ne pouvait échapper à Victor Hugo. Et sans doute, Baudelaire ne s'attendait-il pas à la lumineuse réponse d'Hugo : « Vos Fleurs du mal rayonnent et éblouissent comme des étoiles ».
Avec son article sur Théophile Gautier paru dans L'Artiste du 13 mars 1859, Baudelaire poursuit toujours le même but : refermer la page « Victor Hugo » de l'histoire de la littérature française.
Plus adroite et plus respectueuse que ses écrits précédents : « Nos voisins disent Shakespeare et Gœthe, nous pouvons leur répondre Victor Hugo et Théophile Gautier ! », la prose de Baudelaire se veut pourtant claire et définitive : Hugo est mort, vive Gautier, « cet écrivain que l'univers nous enviera, comme il nous envie Chateaubriand, Victor Hugo et Balzac. »
Les critiques ne s'y trompèrent pas et l'accueil de l'article fut glacial. Baudelaire eut alors l'idée folle d'associer Victor Hugo lui-même à sa propre destitution et de faire ainsi publier sous leur deux noms l'avènement d'une nouvelle ère poétique dont ce fascicule est le manifeste.
De son propre aveu, l'impertinent poète avait déjà « commis cette prodigieuse inconvenance [d'envoyer son article à Victor Hugo sur] papier imprimé sans joindre une lettre, un hommage quelconque, un témoignage de respect et de fidélité. » Nul doute que le désir de Baudelaire fut alors d'adresser un soufflet à son aîné. L'affaire en serait sans doute restée là sans l'intervention de Paul Meurice. Il informa le fougueux poète de l'appréciation bienveillante du maître qui se serait fendu d'une lettre sans aucun doute aimable mais définitivement perdue.
Apprenant cela, Baudelaire rédige à son tour une lettre à Victor Hugo d'une incroyable audace et sincérité :
« Monsieur, J'ai le plus grand besoin de vous, et j'invoque votre bonté. Il y a quelques mois, j'ai fait sur mon ami Théophile Gautier un assez long article qui a soulevé un tel éclat de rire parmi les imbéciles, que j'ai jugé bon d'en faire une petite brochure, ne fût-ce que pour prouver que je ne me repens jamais. — J'avais prié les gens du journal de vous expédier un numéro. J'ignore si vous l'avez reçu ; mais j'ai appris par notre ami commun, M. Paul Meurice, que vous aviez eu la bonté de m'écrire une lettre, laquelle n'a pas encore pu être retrouvée ». Sans fard, il expose ses intentions, ne niant ni l'impertinence de son article, ni la raison profonde de sa demande : « J'ai voulu surtout ramener la pensée du lecteur vers cette merveilleuse époque littéraire dont vous fûtes le véritable roi et qui vit dans mon esprit comme un délicieux souvenir d'enfance. [...] J'ai besoin de vous. J'ai besoin d'une voix plus haute que la mienne et que celle de Théophile Gautier, — de votre voix dictatoriale. Je veux être protégé. J'imprimerai humblement ce que vous daignerez m'écrire. Ne vous gênez pas, je vous en supplie. Si vous trouvez, dans ces épreuves, quelque chose à blâmer, sachez que je montrerai votre blâme docilement, mais sans trop de honte. Une critique de vous, n'est-ce pas encore une caresse, puisque c'est un honneur ? »
Il n'épargne pas même Gautier, « dont le nom a servi de prétexte à mes considérations critiques, je puis vous avouer confidentiellement que je connais les lacunes de son étonnant esprit ».
C'est naturellement à Paul Meurice qu'il confie sa « lourde missive ». Ne doutant pas d'une réponse positive, « la lettre de Hugo viendra sans doute mardi, et magnifique je le crois » (lettre à Poulet-Malassis, le 25 septembre 1859), Baudelaire apporte un soin particulier à la mise en valeur du prestigieux préfacier dont le nom sera imprimé dans la même taille de police que le sien.
Pourtant la lettre tarde à arriver et c'est encore auprès de Meurice que se plaint Baudelaire : « Il est évident que si une raison quelconque empêchait M. Hugo de répondre à mon désir, il me l'aurait fait savoir. Je dois donc supposer un accident. » (Lettre à Paul Meurice du 5 octobre 1859). En effet, Victor Hugo a bien envoyé sa réponse-préface, elle arrive peu après et Baudelaire la fait intégralement imprimer en tête de son Théophile Gautier.
Il ne s'agit pourtant pas d'une simple préface, mais d'une véritable riposte, rédigée avec toute l'élégance du maître. Hugo ne se contente pas des lourds attributs que lui prête Baudelaire qui, dans ce même ouvrage, qualifie ainsi le poète des Contemplations : « Victor Hugo, grand, terrible, immense comme une création mythique, cyclopéen, pour ainsi dire, représente les forces énormes de la nature et leur lutte harmonieuse. »
Au manifeste de Baudelaire :
« Ainsi le principe de la poésie est, strictement et simplement, l'aspiration humaine vers une Beauté supérieure. [...] Si le poète a poursuivi un but moral, il a diminué sa force poétique (..) La poésie ne peut pas, sous peine de mort ou de déchéance, s'assimiler à la science ou à la morale ; elle n'a pas la Vérité pour objet, elle n'a qu'Elle-même. »
Hugo oppose ses propres préceptes :
« Vous ne vous trompez pas en prévoyant quelque dissidence entre vous et moi. [...] Je n'ai jamais dit l'Art pour l'Art ; j'ai toujours dit l'Art pour le Progrès. [...] Le poète ne peut aller seul, il faut que l'homme aussi se déplace. Les pas de l'Humanité sont donc les pas même de l'Art. »
N'en déplaise à Baudelaire, l'écrivain qu'il rangeait dans les « délicieux souvenirs d'enfance » est loin d'avoir achevé son œuvre immense. C'est dans ce petit fascicule de l'un de ses féroces adversaires, qu'il annonce la voie de son écriture à venir : La Légende des siècles, qui doit paraître ce même mois, et surtout trois ans plus tard, Les Misérables, la plus importante fresque sociale et humaniste de la littérature mondiale.
Baudelaire adressa des exemplaires dédicacés de son Gautier aux artistes qu'il admirait dont Flaubert, Manet ou Leconte de Lisle, preuve de l'importance qu'il accordait à cette profession de foi esthétique. Malgré sa si précieuse collaboration, Victor Hugo reçut une lettre de remerciements mais aucun exemplaire dédicacé de « leur » opuscule. Cependant, une récente étude à la lumière noire a permis de déceler un envoi à son intention « en témoignage d'admiration » gratté puis recouvert d'une dédicace palimpseste à M. Gélis. Ce repentir est symbolique de la relation d'amour-haine qu'entretiendront les deux poètes leurs vies durant.
C'est donc à travers cet exemplaire offert à « [s]on ami Paul Meurice » que Baudelaire choisit de remercier le clan Hugo de cette exceptionnelle rencontre littéraire.
Le Théophile Gautier de Baudelaire et Hugo est donc, sous son apparente modestie, un double manifeste des deux grands courants de la poésie : « L'Albatros » de Baudelaire, contre l'« Ultima verba » de Hugo. Tandis que « les ailes de géants [du premier] l'empêchent de marcher », le second « reste proscrit, voulant rester debout ».
Et s'il n'en reste que deux, ce seront ces deux-là !
Provenance : Paul Meurice, puis Alfred et Renée Cortot.

 


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