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Stefan ZWEIG Lettre autographe signée adressée à Alfred Cortot et son épouse à propos du fonds de manuscrits de Richard Wagner : « J'avais la chance de pouvoir acquérir le lot entier un jour avant que Bayreuth envoyait une personne de confiance »

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Stefan ZWEIG

Lettre autographe signée adressée à Alfred Cortot et son épouse à propos du fonds de manuscrits de Richard Wagner : « J'avais la chance de pouvoir acquérir le lot entier un jour avant que Bayreuth envoyait une personne de confiance »

Londres 26 décembre 1937, 17,9x22,9cm, une feuille.


Lettre autographe signée de Stefan Zweig adressée à Alfred Cortot, deux pages sur un feuillet rédigées à l'encre violette. 
Superbe lettre autographe dans laquelle le fin collectionneur fait part de son acquisition de manuscrits inédits de Wagner à son ami Alfred Cortot qui lui-même doit à sa précoce découverte du compositeur allemand, sa carrière de chef d'orchestre. Cortot partageait en effet avec Zweig son « envoûtement quasi tyrannique [subi] avec autant d'ivresse que de ferveur » pour le compositeur. 
Zweig, qui parlait de sa collection comme « plus digne de me survivre que mes propres œuvres » (Le Monde d'hier, 1942) refait pour son ami le détail de cette incroyable découverte de centaines de feuillets oubliés, comprenant de la correspondance intime de Wagner, des partitions et extraits de livrets d'opéras de sa main dont Le Hollandais volant, La sublime fiancée, Les Fées, La défense d'aimer (ou La Novice de Palerme) ainsi qu'une version orchestrale perdue de Rule Britannia.

En ce mois de décembre 1937, alors qu'il est réfugié à Londres fuyant la terreur brune, Zweig s'enthousiasme pour des archives d'un temps où l'Europe intellectuelle vivait en parfait syncrétisme. L'écrivain pose un regard nostalgique sur les papiers de Richard Wagner, qui, comme lui, a passé sa jeunesse à parcourir les capitales européennes : « J'ai eu la chance extraordinaire de pouvoir mettre la main pendant un petit séjour à Vienne sur tout un lot de manuscrits musicaux et littéraires de Richard Wagner de sa première époque (Leipzig, Magdebourg, Riga et Paris) ». Parmi ces précieux manuscrits, se trouve entre autres le rarissime arrangement orchestral du chant patriotique anglais Rule Britannia, disparu pendant plus de soixante ans. Partageant sa passion de Wagner avec son ami le pianiste Cortot, il lui annonce sa découverte avec cet émerveillement si familier aux collectionneurs devant une trouvaille exceptionnelle :" [...] Il contient des choses qui vous intéresseront spécialement par exemple la traduction complète (60 pages) la version française (inédite (je crois) du texte du "Liebesverbot") entièrement de la main de Wagner, puis les manuscrits d'une chanson de vaudeville "Descendons la Courtille" (qu'il faisait dans sa misère la plus noire) [...] presque trente pièces du plus haut intérêt et justement de l'époque la plus rare. Tout cela était caché pendant 50 ans dans une collection privée et j'avais la chance de pouvoir acquérir le lot entier un jour avant que Bayreuth envoyait une personne de confiance".
La lettre constitue un fascinant témoignage de la vie parallèle de Zweig, qui s'était forgé une réputation de collectionneur éclairé. Sa collection lui a par ailleurs inspiré une de ses plus belles nouvelles, La collection invisible (die Unsichtbare Sammlung) ainsi qu'un essai pionnier dans le Deutscher Bibliophilen Kalender (De la collection d'autographes considérée comme un art). Ses centaines d'autographes historiques, musicaux et littéraires du Moyen-Age au XXe siècle, étaient soigneusement répertoriés dans des catalogues et rassemblés dans la bibliothèque-musée de sa maison du Kapuzinerberg : "Dans cette bibliothèque, "lieu de culte", il exerce aussi une véritable activité d'expert en autographes [...] La bibliothèque attirera un nombre de savants professeurs, parfois accompagnés de leurs assistants, qui n'hésiteront pas à revenir y travailler au calme des jours d'affilée, voire des semaines" (Stefan Zweig, le voyageur des mondes, Serge Niemetz).
Avec cette acquisition, Zweig voit se réaliser le rêve de tout collectionneur. Exilé depuis deux ans en Angleterre, et bravant la progressive fermeture des frontières de l'Europe, Zweig retourne à Vienne à temps et fait l'achat de ces documents exceptionnels, soustraits aux émissaires de Bayreuth qui rassemblaient déjà à l'époque une importante collection aujourd'hui gérée par le musée et la fondation Wagner. On reconnaît également dans cette lettre la curiosité insatiable de Zweig biographe, en recherche constante de matériaux inédits, de sources premières à intégrer dans ses études biographiques - la même année, il avait silloné l'Europe avec sa future femme Lotte en quête des portulans de l'époque de Magellan pour l'écriture de sa biographie. A Paris, entre deux visites à la Bibliothèque natonale, Zweig reste à l'affût des manuscrits les plus rares, s'arrêtant comme Marcel Proust avant lui chez le négociant en autographes Charavay. L'écrivain ne put malheureusement jouir de sa collection pendant très longtemps, contraint d'en vendre à son départ de Vienne au célèbre marchand Martin Bodmer, puis d'en laisser à nouveau à Londres avant son voyage sans retour pour le Brésil. 

La collection de manuscrits musicaux, historiques et littéraires de Stefan Zweig se trouve désormais partagée entre la British Library à Londres, la fondation Bodmer de Genève, et la bibliothèque nationale d'Israël.
Admirable témoignage de la plus grande et prestigieuse acquisition de l'écrivain. En cette veille de guerre mondiale, en proie à l'angoisse et la nostalgie du "monde d'hier", Stefan Zweig trouva le réconfort parmi les papiers noircis d'encre de Richard Wagner, alors que la menace des totalitarismes pesait sur les villes européennes de sa jeunesse.


"Mon cher ami et chère Madame, laissez vous envoyer les meilleurs voeux pour l'année nouvelle ; je suis tellement heureux de savoir que vous vous reposez maintenant après les semaines et les mois de travail. Je ne sais pas encore exactement quand je viendrai à Paris, mais certainement cela sera encore au printemps.
J'ai eu la chance extraordinaire de pouvoir mettre la main pendant un petit séjour à Vienne sur tout un lot de manuscrits musicaux et littéraires de Richard Wagner de sa première époque (Leipzig, Magdebourg, Riga et Paris). Il contient des choses qui vous intéresseront spécialement par exemple la traduction complète (60 pages) la version française (inédite (je crois) du texte du "Liebesverbot") entièrement de la main de Wagner, puis les manuscrits d'une chanson de vaudeville "Descendons la Courtille" (qu'il faisait dans sa misère la plus noire), des "Lieder" français, composés par lui ("Les aveux de Marie Stuart" par Béranger, deux Lieder, je crois inédites, de Victor Hugo) puis l'esquisse de la "Ballade de Senta" en Français. En outre la "Polonia ouverture" (version pour piano) des esquisses de la Ouverture pour le "Roi Enzio", ouverture et esquisses pour le "Liebesverbot", parties de sa première symphonie et la "Neujahrs Cantate", le libretto allemand presque entier du "Liebesverbot", des lettres à Meyerbeer, à Pillet, etc. etc* - presque trente pièces du plus haut intérêt et justement de l'époque la plus rare. Tout cela était caché pendant 50 ans dans une collection privée et j'avais la chance de pouvoir acquérir le lot entier un jour avant que Bayreuth envoyait une personne de confiance. Vous ne vous doutez pas, j'espère, du plaisir que j'aurai de pouvoir vous montrer bientôt ces manuscrits ! 
Et votre conférence ou votre essai pour mon éditeur ? Il me l'a déjà écrit, qu'il serait heureux de pouvoir faire une édition. Mille amitiés de vous deux de votre Stefan Zweig
* une partie du libretto de sa première opéra "die Feen", la musique pour une tragédie inconnue, un "entreacte" inconnu etc, etc."
 

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