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Donatien Alphonse François, Marquis de SADE Lettre à Henri Grandjean, chirurgien oculiste du roi

3 800 €

Réf : 85697

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Donatien Alphonse François, Marquis de SADE

Lettre à Henri Grandjean, chirurgien oculiste du roi

Prison de Vincennes 1783, 19x23,5cm, une feuille.


Lettre autographe intitulée : Mémoire pour Monsieur Grandjean oculiste, sur un feuillet plié en deux. Provenance : famille de Sade. Document inédit.
Une feuille de papier vergé, pouvant se plier par deux fois et laissant apparaître au dos l'adresse. Cette adresse n'est pas dans le sens de l'écriture de la lettre mais inversée.
Incarcéré depuis 1778 à la prison de Vincennes, c'est dans une première lettre à son épouse Renée-Pélagie du 4 février 1783 que le Marquis évoque les maux dont il souffre : Je vous prie de m'envoyer un médecin oculiste, et le meilleur de Paris. Sade se trouve en effet atteint depuis cette année 1783 de violentes ophtalmies, lesquels lui causent des symptômes secondaires insupportables. Ce médecin qui lui sera envoyé et dont témoigne cette lettre est en effet le plus renommé de Paris, occuliste du roi et de la famille royale.
La première particularité exemplaire qui distingue cette lettre est son écriture à la troisième personne et qui commence ainsi : La personne que Monsieur Grandjean est venu voir à Vincennes [...]. Cette façon que Sade réitère dans de nombreuses lettres de ne pas se nommer, notamment dans des lettres à son épouse peut bien évidemment se comprendre de la manière la plus simple par son enfermement et la nécessité qui lui est faite d'être le plus invisible possible pour la censure exercée par ses geoliers sur sa personne. Il est cependant aisé de constater qu'en fonction des personnes à qui il s'adresse, sa correspondance porte sa signature. L'anonymat ou la volontaire oblitération de son nom est tout d'abord commandé par son emprisonnement qui l'a privé précisément de son nom et de son rang, non seulement symboliquement mais également réellement, il est seulement nommé à Vincennes Monsieur 6, du numéro de sa cellule. Cette impersonnalisation prend cependant dans ce billet un éclairage qui se distingue tant par son adresse à un médecin que par le regard que porte ce même médecin sur son propre corps, ce regard opérant une dissociation entre l'esprit et le corps. Dans la présente lettre, cette dissociation est singulièrement patente dans l'usage que fait à présent Sade d'un seul oeil : [...] il commence à s'apercevoir même d'un affaiblissement terrible depuis que cet autre oeil travaille seul (un mot biffé, le terme travaille ayant été ajouté au-dessus). La lettre témoigne ainsi dans son observance des médications imposées à Sade par Grandjean (et respectées à la lettre, Sade en témoignant justement par une lettre) d'un corps et de symptômes qui ne lui appartiennent pas, qui lui sont comme extérieurs à lui-même. 
Remarquons que cette ophtalmie dont Sade se plaint à juste titre, n'a jamais pu être guéri du point de vue médical, mais qu'elle ne l'a jamais empêché d'écrire. Il semble même paradoxalement que ce symtôme qui fait suite à de nombreux autres l'ait engagé d'une manière décisive dans l'écriture et la littérature. C'est à l'apogée de ses douleurs ophtalmiques qui apparaissent inguérissables que Sade s'engage sur la voie d'une certaine volupté et d'une réappropiation de son corps. Condamné par ses douleurs à une forme d'inactivité, il commence à penser, c'est-à-dire à transformer en mots ses propres maux, ainsi confesse t-il dans une lettre d'avril 1783 : Mon œil est toujours le même, et on est très éloigné de penser même à me le guérir [...]. Au reste, je m'en occupe moins, je lis moins, je travaille moins, et ma tête erre sur autre chose avec une force si prodigieusement plus vive, qu'en réalité, à l'inconvénient près qu'il est fort grand, je serais presque tenté de n'en être pas fâché ! Je l'avais toujours bien entendu dire, qu'un sens affecté triplait la force de l'imagination, et je l'éprouve. Ça m'a fait inventer une singulière règle de volupté. C'est que je suis très persuadé que l'on parviendrait à rendre les plaisirs de l'amour au dernier degré de force possible, en amortissant un ou deux sens, et même plus, chaque fois qu'on veut jouir.
La privation d'un sens, ici la vue, devient la condition nécessaire à l'élaboration d'une plus grande jouissance, c'est là le commencement de l'oeuvre du Marquis de Sade. Et s'il s'agit uniquement dans cette lettre de la privation de la vue, il est clair que l'essentielle privation dont est victime Sade est celle de sa liberté et de son nom. La reconquête de ces derniers commencera par une symbolisation première, des pensées, qui conduiront le divin Marquis à la réalisation de son oeuvre littéraire.
Cette lettre, où viennent s'incrire et s'écrire l'impersonnalisation et la dissociation, rend compte d'un passage, celui du Sade à venir mais pas encore advenu, prisonnier encore de lui-même et de son incarcération.

 

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