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Swann a cent ans - Catalogue Marcel Proust

Le 14 novembre 1913, jour de la parution du premier volume de la Recherche du temps
perdu, est une date importante dans l’histoire de la bibliophilie.
En effet, quelle que soit l’affection que l’on porte à l’écriture de Marcel Proust, les
treize volumes de la Recherche du temps perdu méritent une place particulière dans la
bibliothèque idéale du bibliophile.
A l’instar de Gide à la réception du manuscrit, on peut être rebuté par l’univers
singulier de ce mondain reclus, on peut également s’amuser de l’intervention de
Descaves au sortir de la délibération du Goncourt de 1919 : « Proust a le Goncourt,
Dorgelès le talent, on ne peut pas tout avoir. » On ne s’étonne guère cependant du
mea culpa du directeur de la prestigieuse NRF, ni du soin avec lequel l’éminent
membre du Goncourt a conservé son exemplaire de Du côté de chez Swann que lui avait
dédicacé Proust six ans plus tôt. (Voir notre catalogue)
Mais l’attachement des bibliophiles à la Recherche se résume-t-il au talent unanimement
célébré de son auteur?
Il tient sans doute aussi au thème et à la forme de l’oeuvre qui font écho à la démarche
bibliophilique, à cet art complexe et intime qu’est la composition d’une bibliothèque.
L’édition originale numérotée, l’exemplaire d’auteur dédicacé à un proche, le
manuscrit corrigé, sont autant de madeleines qui projettent celui qui ressent leur goût
particulier dans le contexte de la création. Plus qu’une recomposition du passé, la
bibliothèque du bibliophile est, comme le travail de mémoire de Proust, une
résurgence physique et symbolique du texte vivant, avant l’effacement de son « aura
originelle » par la reproductibilité infinie de la lettre (pour emprunter le concept de
Walter Benjamin, grand lecteur et traducteur de Proust).
Retrouver le corps premier de l’oeuvre n’est-il pas, comme le phrasé proustien, une
recherche de l’âme du livre dans la nature parfois bancale de sa genèse, avant son
éventuel succès ?
« L’achevé d’imprimer de la p. 528 », et à sa suite « la coquille à Grasset », « la
couverture à la date de 1913 », « le catalogue de l’éditeur », « l’absence de table des
matières »… ce cortège d’expressions absconses pour le néophyte mais naturelles
aux amateurs se révèle alors aussi constitutif de l’oeuvre de Proust que la grossière
abside de Combray « si dénuée de beauté artistique et même d’élan religieux »
symbolise, pour Marcel, « l’église ».
Car ce que le bibliophile doit à Proust, ce dont il lui est reconnaissant avant tout, c’est
justement d’avoir fait de la publication de son oeuvre une aventure éditoriale riche de
tous ces petits éléments qui pimentent la recherche du chineur : un premier volume
à compte d’auteur presque confidentiel, composé de tirages successifs tous différents,
avec à sa tête, quelques insignes grand papiers à enrichir des inénarrables « placards »
autographes ; un second tome tout aussi recherché avec son premier tirage divisé en
mentions fictives et son second après l’obtention du Goncourt ; enfin les onze tomes
suivants que l’on peut plus aisément acquérir en grand papier. A cela, Proust ajoute
le charme de quelques rares dédicaces souvent prestigieuses dont libraires et
bibliophiles tentent de retracer l’histoire : ainsi, cet envoi à Descaves sur le service
de presse de Du côté de chez Swann qui témoigne d’un espoir de prix Goncourt dès son
premier tome ; ces deux dédicaces à André Salmon soulignant son attention
bienveillante pour ce représentant d’un autre versant de la modernité ; ou, plus tôt,
ce volume de sa traduction de Ruskin offert à son jeune ami et confrère Max Daireaux
avec qui il entretint une correspondance littéraire.
Grâce à cette profusion de particularités, Proust, dont le manuscrit des premières
pages de Swann a atteint en salle un prix record, reste toutefois accessible à tous les
bibliophiles. Entre une Recherche reliée en maroquin ou brochée telle que parue, avec
le « bon » Swann, ou parue entièrement chez Gallimard, l’acquisition d’un ensemble
homogène ou la reconstitution volume par volume, chacun peut composer sa Recherche
et l’enrichir des publications antérieures de Proust, de ses nombreuses contributions
aux revues littéraires ou des témoignages de ses proches comme des études qui lui
sont consacrées.
C’est pour toutes ces raisons qu’en cette fin d’année 2013, après les 100 ans de la
naissance de Camus, la Librairie Le Feu Follet a souhaité rendre un hommage
bibliophilique à Swann à l’occasion des 100 ans de sa parution.
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