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Plongée au cœur des Archives du Chevalier Louis de Sade

Plongée au cœur des Archives du Chevalier Louis de SadePlongée au cœur des Archives du Chevalier Louis de Sade
Plongée au cœur des Archives du Chevalier de Sade
 
 
Si l'on regarde la Révolution Française comme la naissance de l'expérimentation de l'idéologie laïque et politique, le chevalier de Sade en fut sans doute un des premiers et précoces déconstructeurs. Non de la Révolution elle-même qui connut pléthore de contempteurs, mais de l'idéologie en politique, phénomène qui devait profondément marquer les deux siècles à venir.

Ce qu'il nomme la « politique positive » est « fondée sur le calcul et sur l'expérience ». « La théorie a eu des charmes pour moi ; je l'ai étudiée avec soin, j'ai savouré ses principes. Maintenant je n'apprécie leur valeur que par les effets provenant de leur mise en pratique, qu'on leur a vu produire chez les peuples dont l'histoire est parvenue à ma connaissance. C'est ma méthode ; je sais qu'elle est, du tout au tout, l'opposée de celles que nos gouvernants et nos faiseurs de constitutions ont suivies jusqu'à présent sans s'en désister. Cette divergence continuelle entre ce qui s'est fait et ce qu'on n'aurait pas dû faire, en augmentant ma confiance dans ma manière de procéder a fortifié en même temps ma résolution à persister dans la vue que j'avais adopté, de juger les législations par les conséquences historiques qu'elles ont entraînée après elles, plutôt que par les beaux raisonnements métaphysiques et supposés concluants, dont les novateurs n'ont cessé et ne cessent tous les jours de nous accabler»

Le Chevalier de Sade, qui ne concevait le monde qu'au regard de ce qu'il fut, ne pouvait être autre que Royaliste. La démocratie n'avait pratiquement aucun exemple dans l'histoire connue du Chevalier, hormis les antiques sociétés grecques et romaines qui n'avaient expérimenté que des formes très élitistes de démocraties. Ces modèles sont d'ailleurs bien connus du politologue dont les archives contiennent plus de 7 000 pages consacrées à l'Histoire antique.

 

La République portée par la Révolution, plus qu'une adoption d'un modèle politique, fut la réalisation politique d'un idéal philosophique. Or, si la plupart des opposants à ce nouveau régime y voyaient surtout une atteinte à leur situation personnelle, à leurs convictions religieuses ou plus simplement à leurs habitudes, les écrits du Chevalier de Sade ne relèvent d'aucune influence dogmatique ou, du moins, ne se justifient jamais par celle-ci.

Louis de Sade, gentilhomme sans fortune et sans attache, est conservateur par conviction philosophique et historique, et non par intérêt. Et c'est avec une parfaite honnêteté intellectuelle qu'il étudie et commente les essais, mémoires et œuvres politiques ou théoriques de ses contemporains.

A contre-courant de la pensée des Lumières, le chevalier porte un regard très peu philosophique sur la société. Bien qu'il construise une véritable histoire théorique de l'évolution des hommes depuis l'état « sauvage » jusqu'aux constitutions des sociétés, il ne postule pas une nature idéale de l'homme, comme le font certains de ses contemporains (que ce soit pour justifier la politique ou pour la déplorer). Au contraire, le chevalier relève la césure entre l'être de nature et l'être de culture, sans porter de jugement moral ou philosophique sur celle-ci comme il était alors d'usage de le faire. « L'erreur politique qui a perdu l'Europe du XVIIIè a été de baser ses raisonnements et ses principes législatifs sur le droit de nature et d'oublier que l'ordre social des empires se fonde sur les propriétés territoriales. »
Cette retenue, le Chevalier l'applique à tous ses raisonnements. Ainsi de l'âge de l'industrie, le sien donc, qui selon lui, « a fait beaucoup de bien et beaucoup de mal, procuré beaucoup d'agréments et d'infortune ».
Cette volonté d'objectivité sert de fait une thèse conservatrice, mais contrairement à beaucoup d'idéologues de tous bords, le Chevalier ne développe pas un argumentaire à charge, dont tous les propos tendraient à prouver l'énoncé de départ. Louis de Sade, qui n'a pas d'objectif de publication et donc pas de lecteur à convaincre, n'articule pas son propos en fonction du moule de sa pensée, mais entreprend une démarche qui aspire à l'exhaustivité. Il explore ainsi toutes les voies, que celles-ci confortent ou non sa vision du monde.

En cela, les écrits du Chevalier constituent un ensemble sans équivalent de l'étendue de la pensée d'un aristocrate éclairé au cœur de la plus importante rupture politique et sociale de notre Histoire.
Contrairement à son cousin, le Divin Marquis, le Chevalier est clairement un homme de l'Ancien Régime. Mais il n'est pas un de ses rejetons caricaturaux qui symbolisent sa déchéance ou son immobilisme suicidaire, il est le représentant d'une monarchie ancestrale, un modèle politique assumé et éprouvé dans le temps et l'espace. Sans richesse ni pouvoir, le Chevalier ne défend pas, avec la Monarchie, ses propres privilèges, il expose une structure sociale et sa mise en péril non pas par la Révolution, qui n'est qu'une conséquence, mais par la déviance des élites et leur méconnaissance des fondements de la Royauté. On est frappé par le peu de cas qui est fait de la Foi, ou de la légitimité divine du Roi.
 

Le Chevalier fut un penseur objectif de son temps au même titre que le furent les encyclopédistes, mais au service d'un monde bientôt disparu et non de celui qui va naître.

A l'image de Chateaubriand, dont il est de quinze ans l'aîné, le Chevalier nous livre un discours volontairement posthume et ainsi détaché des contraintes de son rang social et politique. Pourtant à la différence des mémoires de son illustre cadet, les archives de Louis de Sade ne sont pas celles d'un célèbre écrivain et d'un Pair de France, marqué par une action politique et une autorité littéraire qui ont nécessairement influé sur l'écriture. La parution posthume des Mémoires d'Outre-Tombe est un acte politique et littéraire prémédité, elle témoigne d'une volonté de s'inscrire dans le monde en devenir. La publication post-mortem du chef d'œuvre de Chateaubriand était soigneusement prévue et organisée par l'auteur.
 
Les écrits de Louis de Sade sont d'un autre ordre. C'est son désir d'exhaustivité qui contraint le Chevalier à accepter l'inéluctable inachèvement de sa démarche. à soixante-quinze ans, rassemblant ses archives, il exprime d'ailleurs le souhait que son travail soit continué par d'autres et non publié en l'état.
Cette absence d'ego pour un travail qui semble l'avoir occupé une vie entière, confirmée par le nombre d'autres publications de son vivant – ce qui ne présentait donc pas pour lui une difficulté majeure – fonde la pensée du Chevalier et contribue au caractère unique de ses écrits dans une époque où l'édition, soumise à privilège, contrôle de moralité et risque de violents procès, porte généralement la marque d'une nécessaire autocensure, autant qu'une certaine considération aux attentes du lecteur.
Ce libre penseur était peu enclin à ces prudentes restrictions. Son premier ouvrage, écrit à la veille de la Révolution au fond de la cale du vaisseau amiral où il avait été placé aux arrêts par lettre de cachet pour rébellion contre l'autorité, fut immédiatement censuré et pilonné par le gouvernement monarchique. Il s'intitulait : « Mes loisirs sur le vaisseau amiral ou Lettres aux Etats Généraux sur une nouvelle constitution du gouvernement de la France ». Les autres ouvrages qu'il fit publier par la suite sont tous très engagés politiquement, et même son étude scientifique des marées, la Tydologie, qui comporte de nombreuses comparaisons avec les grands mouvements politiques et sociaux de la Révolution.
 
Esprit rebelle, donc, bien que fermement attaché aux principes monarchiques, le Chevalier est à la fois une figure iconique de la France aristocratique pré-révolutionnaire et un représentant d'une des classes les plus méconnues et pourtant considérable de l'Ancien Régime, les cadets des seigneurs, gentilshommes sans fief, « nobles par leur naissance, tiers-état par la nature de leur fortune », comme il se désigne lui-même.
Ce personnage se distingue également par sa formation et son parcours peu orthodoxes pour un écrivain et intellectuel du temps. Issu de la branche modeste de la famille Sade, les Eyguieres, contrairement au marquis qui descend de la branche noble des Saumane, Louis de Sade fut envoyé très jeune, après un séjour chez les jésuites, dans la dure pension de l'Abbé Choquart où il fréquenta Mirabeau et dont il ne garde pas un souvenir flamboyant :
« Si dans ma jeunesse au lieu d'être noyé dans la plus mauvaise des pensions, quoique fort chère, j'eusse eu des bons maîtres, j'aurais fait quelque chose (...) Élevé à la Jean-Jacques Rousseau, à la pureté des mœurs près de l'abbé Choquart, je ne savais rien, que me battre, jouer au barre, monter sur les toits, voler des pommes et quelques formules algébriques. »
La référence à son contemporain Jean-Jacques Rousseau est sans doute, pour ce fervent royaliste, la plus sévère critique adressée à cette maison de correction pour fils indisciplinés. Dès l'âge de quinze ans le Chevalier est incorporé dans la marine et c'est donc en parfait autodidacte que le chevalier acquiert la plupart de ses considérables connaissances. Ainsi ne connaît-il ni le grec ni le latin contrairement à nombre de ses contemporains éduqués, mais il possède un très vaste savoir dans tous les domaines des sciences physiques et humaines. En témoignent, non seulement ses manuscrits, mais également ses publications autant que les charges qui lui sont confiées : commandement d'escadre, installation sur tous les bâtiments civils de la marine de Brest de la nouvelle invention de Benjamin Franklin, le paratonnerre, nombreuses missions d'intercessions durant les premiers temps révolutionnaires et sollicitations d'articles dans plusieurs éphémères revues contre-révolutionnaires.
 
 
Le Chevalier de Sade eut une forte activité intellectuelle et activiste en interaction avec d'importants acteurs politiques. Il semble que cet autodidacte jouisse d'un réel crédit auprès des scientifiques, comme en témoigne par exemple cette traduction en anglais et publication dans The Journal of Natural Philosophy, Chemistry and the Arts de février 1804, de l'étude sur les volcans éteints de Coblentz réalisée par le Chevalier en 1792 et que le minéralogiste et cristallographe Jacques Louis de Bournon communiqua à son confrère anglais le célèbre chimiste William Nicholson, directeur de la revue scientifique.
 
Mais c'est lors de la publication de sa Tydologie que le Chevalier révèle l'ampleur de ses connaissances acquises durant ces années de marine puis d'exil et la particularité de sa pensée holistique.
Cet ouvrage, publié en 1810, représente parfaitement la tournure d'esprit du Chevalier et éclaire l'impressionnante variété des archives qu'il nous a légué.
Le Chevalier semble en effet appréhender le monde physique, sociologique et intellectuel comme un ensemble cohérent dans lequel chaque élément ou évènement peut s'appréhender selon un raisonnement scientifique commun. Très largement influencé par la pensée de Francis Bacon, le Chevalier cherche à composer son propre Novum organum scientiarum, dont la Tydologie est une première tentative. L'ambition de cette analyse holistique des sciences n'a pas échappé à ses contemporains comme en témoigne le rapport de A. L. Millin dans les Annales encyclopédiques de 1818 :
« La Tydologie est le noyau auquel l'auteur rapporte les diverses méthodes qui jusqu'à présent ont été usitées pour l'avancement des connaissances humaines. Il y examine les avantages et les inconvéniens que chacune d'elles a eus dans les diverses branches de nos connaissances où on les a employées. Cet ouvrage convient par conséquent à toutes les personnes qui s'intéressent aux sciences, même à celles de la politique et de la législation. Les botanistes, les astronomes, les anatomistes et les géomètres, y trouveront un grand nombre de problèmes et de solutions d'un nouveau genre, et qu'il leur est utile de connaitre pour les progrès ultérieurs de leur science favorite. [...] L'auteur indique des méthodes qui, dans les mains d'un homme de génie, pourront lui permettre, dit-il, avec le temps, de remonter des effets aux lois des causes qui les produisent. [...]
Aussi, on ose dire que les géologues, les anatomistes, les géomètres, les chronologistes, les chimistes, les grammairiens, les botanistes, les philosophes et les hommes d'État, ne liront pas cet ouvrage sans intérêt, et peut-être quelquefois aussi sans humeur; car l'auteur suit rarement les routes battues, et il est rare que ceux qui en devient aient raison. C'est aux savans à juger si les idées de l'auteur sont des innovations ou des écarts nuisibles à l'avancement des sciences. »
Mais la Tydologie, comme en convient lui-même le Chevalier, n'est qu'une ébauche de ce système qu'il cherche à mettre en place et dont il ne maitrise pas encore tous les tenants. Les années suivantes seront donc consacrées à l'étude de l'histoire, des sciences, de la politique, avec une visée exhaustive dont témoignent les archives.
Car Louis de Sade se distingue de la science méthodologique de Bacon en établissant non seulement un lien entre les sciences mais également entre celles-ci et la politique. Convaincu qu'un même principe sous-tend le monde dans tous ses aspects, il recherche par un travail d'érudition considérable, une logique historique et métaphysique. L'ensemble archivistique qu'il a constitué ne représente donc pas une distraction intellectuelle d'aristocrate mais une tentative de percer la raison commune qui commande aux sciences et à l'histoire.

Une étude approfondie de son travail historique permettrait ainsi de mettre à jour les choix d'historien du Chevalier de Sade, de même que ceux de ses travaux scientifiques.


Mais si la philosophie des sciences qui semble se dégager de ses travaux inachevés reste à étudier, l'ensemble des archives historiques et scientifiques rédigées par le Chevalier présente un autre intérêt majeur pour l'étude de la pensée de Louis de Sade et, au-delà, pour l'analyse de l'appréhension par un aristocrate du XVIIIè siècle du bouleversement révolutionnaire.

En effet, le Chevalier qui ne s'enorgueillit pas d'un savoir idéologique héréditaire transmis naturellement par l'éducation aristocrate, a été contraint de se forger seul la culture qui sied à son rang. Or ses archives font état non seulement de ses lectures – qui sont les précieux fondements de sa pensée – mais encore de sa propre compréhension et interprétation de celles-ci. Ainsi sait-on autant sur quels ouvrages de référence il appuie ses connaissances historiques que, par le rapport qu'il en fait, ce qu'il en retient et en déduit. Ses choix de lectures autant que ses impasses offrent au lecteur actuel un incroyable panorama presque exhaustif des arcanes intellectuelles de ce représentant symbolique d'une société appelée à disparaitre.

 
 
Toute l'intense réflexion politique du Chevalier est ainsi éclairée par la parfaite transparence de ses sources bibliographiques comme par ses expériences personnelles longuement décrites dans son autobiographie rédigée à la troisième personne et restée inédite. Au terme de sa vie, il retrace ses pérégrinations caractéristiques d'un aristocrate engagé, depuis les prémices de la révolution jusqu'à la seconde restauration. On découvre sa carrière militaire pré-révolutionnaire, ses premiers écrits politiques qui lui valent une lettre de cachet et une mise aux arrêts dans la cale d'un navire. Il évoque l'instabilité de l'autorité militaire conséquente aux premiers bouleversements révolutionnaires, son entrée dans la résistance contre-révolutionnaire d'abord officielle puis ses tentatives clandestines de renversement de la situation. Enfin, on le suit dans son émigration anglaise et on assiste à la lente prise de conscience de la transformation inéluctable de sa société, sans que jamais sa verve combative ne tarisse, contrairement à de nombreux aristocrates qui, à son grand dam, abandonnèrent bien plus aisément cet ancien monde auquel lui, le Chevalier, ne conçoit pas, jusqu'à la dernière ligne, d'alternative viable.

C'est sans doute l'impressionnante homogénéité de sa pensée, depuis ses premiers textes publiés jusqu'à l'ensemble manuscrit considérable de son Lexicon, resté en partie inédit, qui permet de considérer ces écrits du Chevalier comme une construction intellectuelle unique et sans équivalent dans les archives individuelles conservées de cette période clé de l'histoire de France et du monde occidental.

Plus qu'un simple témoignage de la vie individuelle d'un aristocrate dans la tourmente révolutionnaire, ces 12 000 pages sont l'œuvre d'un véritable penseur du régime monarchique et des concepts philosophiques et scientifiques qui sont intimement liés à cette lecture du monde.

 
Voir la fiche >> Exceptionnel ensemble des archives manuscrites inédites et complètes de Louis, Chevalier de Sade (1753-1832), auteur du Lexicon politique et cousin du Divin Marquis représentant environ 12 000 feuillets manuscrits dont plusieurs milliers inédits et écrits de sa main. Le Chevalier y expose un système de pensée de type « holistique », comprenant à la fois des réflexions historiques, politiques et scientifiques.
Précieuses archives géopolitiques, historiques et scientifiques d'un aristocrate érudit, témoin privilégié de la fin de l'Ancien Régime, de la Révolution française, du Consulat, de l'Empire et de la Restauration.
Fonds unique de recherches sur la mise en place d'une monarchie constitutionnelle.

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BIOGRAPHIE
 
Né le 8 mai 1753 à Antibes et mort à Paris le 26 décembre 1832, membre de l’ordre de Malte, le Chevalier Louis Philippe Henri Élisabeth de Sade fut le cousin du célèbre marquis Donatien Alphonse François de Sade et son cadet d’une dizaine d’années. Tous deux écrivains prolifiques, ils manifestèrent également dans leurs écrits comme dans leurs actes un franc mépris de l’autorité, qui valut au Divin Marquis d’être emprisonné de longues années et au Chevalier d’être mis aux fers d’un vaisseau de la marine royale. Louis de Sade poursuivit une carrière de capitaine de vaisseau jusqu’à la Révolution française puis intégra la réserve de l’artillerie navale anglaise. à travers les troubles politiques qui secouent la France au tournant du XIXe siècle, le chevalier demeura un fidèle royaliste et ardent défenseur de Louis XVI, qui déploya ses talents de polémiste dès les premiers soulèvements révolutionnaires, et déplora même la Restauration de la royauté par Louis XVIII dans des écrits inédits contenus dans le fonds d’archives.
 
Appartenant à l’éminente quoique désargentée branche d’Eyguières de la famille de Sade, le Chevalier Louis de Sade reçoit le titre de chevalier de l’Ordre de Malte dès la naissance. Il porte l’un des plus vieux noms de la noblesse provençale et fut le filleul de l’infant d’Espagne, dom Felip, et de Marie Louise Élisabeth de France, infante d’Espagne et fille aînée du roi de France Louis XV. Malgré sa titulature prestigieuse, le manque de moyens au sein de la branche provençale des Sade l’empêcha, au contraire de son illustre cousin, de suivre une éducation de gentilhomme ; il reçoit donc une formation sommaire à Aix en Provence puis dans une pension parisienne où il fut le camarade de Mirabeau et du futur vice-roi de Corse, le Lord Minto, avant d’intégrer la marine royale à l’âge de 15 ans. Sa vie durant, il compensera son manque de culture classique par une soif de connaissance débordante, qui se reflète notamment dans les milliers de feuillets de ses archives dédiés à l’histoire antique.
 
Après quatre ans d’escadres à Toulon, la charge de lieutenant de vaisseau échut au Chevalier de Sade le 4 mars 1780 de la main du roi Louis XVI, qui lui confia le commandement de la barque L’Éclair, un deux-mâts armé de 22 canons avec lequel il fait campagne sur les côtes d’Italie et de Provence. à la veille de la Révolution, ses différends avec la hiérarchie de la marine s’aggravent fortement. Afin de l’éloigner de France, il fut nommé sur la frégate du Tiercelet dont il abandonna le commandement. Sa carrière d’écrivain politique débute durant son emprisonnement sur le vaisseau amiral de Toulon à la suite de son insubordination, où il publie Mes loisirs sur le vaisseau amiral ou Lettres aux Etats Généraux sur une nouvelle constitution du gouvernement de la France. Intransigeant vis-à-vis de la monarchie constitutionnelle qu’il considère comme une destitution de la royauté, il est rayé des listes de la marine après avoir refusé d’adhérer au serment civique imposé par l’assemblée Constituante. Cosignataire d’un serment à la royauté et à l’Église catholique avec d’autres officiers de la marine en septembre 1791 à Nice, il quitte la France l’année suivante et rejoint les rangs des émigrés en Angleterre où il reprend du service au sein de la marine du roi George III. Avant son départ pour la Grande-Bretagne, le Chevalier signe un pamphlet « à mes compatriotes » dans la Gazette de Paris, exhortant les membres de la noblesse de Provence à rallier l’armée du comte d’Artois afin de renverser les forces révolutionnaires. En tant que capitaine d’artillerie de la marine britannique, il participe en 1794 aux négociations de l’éphémère royaume anglo-corse. Son ami le vice-roi Sir Gilbert Elliot, Lord Minto, à qui il dédia sa Tydologie ou science des marées, l’envoya à Malte afin d’obtenir des troupes supplémentaires du Grand Maître de l’Ordre, le chevalier de Rohan.
 
C’est au tournant du XIXe siècle, réfugié à Lisbonne puis à Londres pendant une dizaine d’années, que le Chevalier embrasse sa vocation d’écrivain et publie ses premiers ouvrages d’importance. Son émigration en Angleterre et ses nombreux séjours en mer lui donnèrent l’occasion de méditer sur la politique française et perfectionner ses connaissances scientifiques. Il réintégra la marine française en 1815 avant de démissionner un an plus tard, déçu par la monarchie de Louis XVIII. Entièrement dévoué à ses activités d’écriture, il passa les quinze dernières années de sa vie entre sa résidence à Château-Thierry et l’Hôtel d’Espagne rue du Colombier à Paris. Il multiplia sans succès les tentatives de publier son Lexicon, mais réussit néanmoins à faire éditer quelques ouvrages malgré sa faible pension d’officier de marine : il publie en 1820 L’art de faire les lois, et en 1822, Préceptes politiques à l’usage de la monarchie, et enfin en 1831 De la démocratie à l’occasion des élections populaires, son dernier ouvrage publié. Les éléments autobiographiques disséminés dans ses archives personnelles dévoilent le portrait d’un homme solitaire, qui voua son existence à faire entendre ses convictions politiques. Il s’éteint à Paris le 26 décembre 1832 à l’âge de 79 ans, laissant derrière lui une œuvre inédite de plusieurs milliers de pages.
 
Héritier des Lumières, capitaine de vaisseau et fervent royaliste, Louis de Sade fut un écrivain et scientifique autodidacte issu d’une des plus vieilles familles de la noblesse provençale. Digne successeur de Pierre-Simon La Place dont il poursuit les travaux sur l’influence des astres sur les marées, le Chevalier nourrit également une ambition à la mesure de d’Alembert avec son Lexicon, un grand projet d’Encyclopédie des « mots techniques de la science politique », qui est surtout prétexte à des réflexions sociologiques, philosophiques et politiquement engagées sur toutes les notions et valeurs de son temps. Il en est ainsi, par exemple, de sa longue définition du « mot et de la chose », à la fois analyse linguistique de la dichotomie entre le langage et sa désignation et violent pamphlet contre les conséquences d’un mauvais usage de la langue. Ce travail titanesque est resté inachevé et fut partiellement publié de manière posthume. Une grande majorité de ses écrits ne fut pas publiée, laissant à l’étude les milliers de pages de ses archives personnelles.
 
Le Chevalier laissa à la postérité un fonds d’un étonnant éclectisme, dont l’inventaire soigneux a permis de découvrir des dizaines de manuscrits d’ouvrages inédits et prêts à être publiés. Depuis l’Angleterre où il s’était réfugié de 1792 à 1815 puis à Paris, le Chevalier s’employa à identifier les causes de la rupture politique révolutionnaire ainsi qu’à désigner les coupables d’une telle ignominie.
Parmi les milliers de feuillets inédits, se distinguent quelques manuscrits de premier ordre illustrant son travail de théoricien de la Révolution française, notamment une histoire de 240 pages sur la révolte royaliste de Vendée offrent une passionnante et authentique analyse du point de vue d’un aristocrate émigré. Il signe également une diatribe sur le ministre de Louis XVI intitulée Histoire du mois de juillet 1789 ou L’Hégire de M. Necker, relatant les méfaits du ministre de Louis XVI, responsable selon lui de la prise de la Bastille. Son fonds d’archives contient également le manuscrit inédit, Parallèle entre les révolutions anglaise de 1688 et française de 1788, qui constitue un audacieux exercice de comparaison historique, fruit de son admiration pour la Grande-Bretagne. Le Chevalier y juge sans vergogne les erreurs historiques du roi Jacques II en les rapportant à celles de Louis XVI :
« Jacques II abusant de son pouvoir pour acquérir la puissance d’un roi de France et Louis XVI violant les lois fondamentales de son royaume pour rabaisser son pouvoir au niveau de ceux d’un roi d’Angleterre, ce fut une grande faute de part et d’autre. »
Il en tire cependant cette surprenante conclusion : « Louis XVI aurait fait un excellent roi d’Angleterre ».
La majorité de ses écrits portent sur Révolution française, qui précipita son devenir d’écrivain et de penseur politique. Les archives du Chevalier de Sade se composent d’écrits scientifiques, politiques et historiques ainsi qu’une part de correspondance familiale et d’écrits autobiographiques, constituant une unique et très précieuse source d’information éclairant les autres écrits. Le Chevalier employa les services d’un copiste, dont la main se retrouve distinctement dans certains feuillets.
Écrits politiques

Le fonds d’archives contient 2500 feuillets d’écrits politiques, dont 11 manuscrits inédits destinés à être inclus au Lexicon, offrant un regard critique sur la société française à l’âge de la Révolution (4 âges de l’ordre social, L’Hégire de M. Necker, L’Art de faire exécuter les lois, l’Innovatiomanie, La Guerre de Vendée, Le Mot & la chose, Les 3 âges des colonies, Les Bonnes Gens, Mon rêve, Le Paraguay). Louis de Sade demeura profondément affecté par l’effondrement de la royauté française, se tenant même à l’écart de la Restauration de la monarchie sous Louis XVIII. Il instille ces opinions dans le Lexicon, un dictionnaire sur le modèle de l’Encyclopédie, qu’il alimenta tout au long de sa vie :
« On ne cesse de me demander si cet ouvrage est fini. Ma réponse est toujours la même : Non, il ne l’est pas, il ne pourra jamais l’être. La POLITIQUE est une science comme l’astronomie, la chimie, la botanique, enfin comme chacune des branches des connaissances humaines, destinées et s’étendre et à se perfectionner ».
Outre plus de 90 définitions inédites du Lexicon, le fonds d’archives conserve en effet 1511 pages de manuscrits probablement écartés de la version publiée posthume du fait de leur volume trop conséquent.

La Vendée constitue le manuscrit inédit le plus important, offrant un récit détaillé et une analyse personnelle de la révolte sanglante des Chouans, « la résistance la plus juste et la plus légale qu’il y ait eu parmi les hommes », qu’il a suivie avec espoir depuis l’Angleterre. Le Chevalier brosse un tableau de la grandeur et la décadence de la Vendée, rempli de références antiques et historiques, faisant de cet ultime sursaut royaliste une véritable épopée homérique, où « on vit de nouvelles Camille, des Penthésilée affronter tous les dangers, porter l’effroi et la mort dans les rangs de l’armée républicaine ». Les plus beaux passages sont consacrés au chevalier de la Charrette, martyr des Vendéens, un « Céladon poitevin » qui fut « un homme d’État, semblable à Auguste, lorsqu’il devint possesseur de l’empire romain ».
 
Retraçant les faits d’armes de l’armée catholique et royale, il déplore les tumultes de son organisation politique et militaire tout en exaltant le rôle primordial qu’elle a tenu contre les révolutionnaires. Malgré son désir d’objectivité, il faut lire cet admirable récit à la lumière des convictions intimes du Chevalier, qui demeura un homme de l’Ancien Régime jusqu’à sa mort ? :
« Je devrais, en historien impartial, mettre en regard [les cruautés commises par les Vendéens] avec celles que, dans cette occasion, les révolutionnaires ont exercées de leur côté... Les royalistes vendéens ont beaucoup perdu dans ces débats et pas un ne s’en est enrichi ; les patriotes y ont beaucoup gagné et beaucoup s’y sont enrichis... ».
Il tire les conclusions des dissidences que connurent les soulèvements vendéens en jetant le blâme sur le commandement de la révolte :
« Le malheur de la Vendée et de la France par contre coup, a voulu que malgré leur bonne volonté et leurs qualités brillantes aucun des chefs de cette sainte insurrection n’a su montrer son esprit à la hauteur de la situation politique où les circonstances l’avaient porté. »
 
On trouve également parmi les manuscrits inédits du Lexicon une intéressante diatribe de 208 pages contre Necker, ministre soutenu par les révolutionnaires et considéré par le Chevalier comme seul responsable de la Révolution par le bouleversement des institutions gouvernementales qu’il entreprit dès 1788. L’Hégire de M. Necker relate l’histoire du fatidique mois de juillet 1789, marqué la disgrâce puis le retour de Necker comme premier ministre des finances le 16 juillet, rappelé par le roi afin d’apaiser les révolutionnaires qui avaient pris la Bastille deux jours plus tôt. Le Chevalier le décrit comme un faux prophète qui abusa de la confiance de Louis XVI et ose une audacieuse comparaison avec Mahomet :
« Tous deux se mirent à la tête d’une secte de nombreux zélés partisans... tous deux les employèrent à régénérer le gouvernement respectif qui les protégeait et travaillèrent à détruire les doctrines, les institutions existantes et se déclarer chef suprême... tous deux furent chassés par la police des états où ils mettaient le trouble... Leur hégire, leur fuite du principal théâtre de leurs exploits donna le signal de commencer soulèvements, querelles, massacres... en un mot tous deux furent des révolutionnaires ».
Cependant, on note un véritable respect pour le prophète de l’Islam qui s’oppose à l’opprobre jetée sur le ministre : « Le premier créa un grand empire et légitima la juste admiration que la postérité lui a vouée tandis que le second renversa un grand empire et légitima la juste indignation que l’histoire ne justifia que trop. »
Jour après jour, L’Hégire détaille les événements, qui, depuis le départ de Necker le 12 juillet ont scellé l’histoire de France et signé la mort de la monarchie :
« La France, indécise à quel principe se vouer, ni à quelle espèce de gouvernement il fallait dorénavant se soumettre, attendait dans la perplexité de son cœur et les angoisses de l’incertitude, celle qui l’emporterait des trois puissances suivantes : le roi, l’assemblée nationale ou la commune de Paris ? C’était à qui des trois aurait le trône de St Louis ».
Il passe en revue les insurrections parisiennes et le rôle néfaste de Necker qui rassembla dans son giron tous les partisans de la révolution :
« L’assemblée nationale, la Commune de Paris, les niais, les peureux et tous les mauvais sujets de France n’eurent qu’une voix et qu’une action pour hâter le retour de Necker ».
Le Chevalier déconstruit au passage le mythe de la prise de la Bastille : « On s’attendait à voir sortir des centaines de prisonniers. Il ne s’en trouva que 7 et pas un d’eux n’avait été enfermé pour crime d’état : 4 pour fausses lettres de change et les 3 autres à cause de désordre qui les auraient condamnés à des peines infamantes, si bonne justice leur avait été rendue… ». Cette longue diatribe est également émaillée de piques et de bons mots ; le Chevalier s’attaque joyeusement à « cette loterie qu’on appelle révolution, la pire de toutes celles inventées à ce jour » et à un des symboles les plus célèbres, la guillotine « cette panacée universelle, qui, dans un instant, tranche tous les maux d’un seul coup et sans crainte de rechute ».

Écrits scientifiques

La seconde partie des archives du Chevalier est constituée d’un ensemble de 2000 feuillets de notes et d’ébauches d’ouvrages scientifiques portant sur une variété incroyable de sujets, tels l’algèbre, la géologie, l’électricité, l’architecture, l’acoustique, l’anatomie, la science des jeux et la finance. Ces sciences sont notamment mises à l’usage de la navigation ou de la science historique. Le fonds d’archives conserve en effet les éléments d’un futur ouvrage réunis en 270 feuillets, resté inédit, intitulé Notes et extraits sur la chronologie ancienne, comparant les différents modes de calcul et de sériation temporelle. Le Chevalier y fait notamment référence aux calendriers mexicains, égyptiens, chinois, bibliques, faisant appel tour à tour à la chronographie, l’astronomie et la cosmogonie.
Notre méconnaissance de ces sujets scientifiques nous a empêché d’étudier plus précisément ce fonds passionnant.

Écrits historiques

La part la plus importante des papiers du Chevalier est dévolue à l’histoire, représentant 7500 feuillets, partagés entre des réflexions originales et des sources qui alimentent ses recherches de science politique. Le fonds contient notamment un imposant manuscrit inédit, Le Parallèle entre les révolutions anglaise de 1688 et française de 1788. Ce manuscrit s’appuie sur une impressionnante somme de connaissance et de réflexions de centaines de feuillets sur l’Histoire d’Angleterre, allant de la conquête par l’empereur Claude de la Bretagne en l’an 43 après J.-C. jusqu’à 1701.

Parmi les civilisations les plus étudiées par le Chevalier figurent la Grèce et de la Rome antique, occupant plusieurs milliers de feuillets et auxquelles il fait régulièrement allusion dans ses écrits politiques. Durant ses nombreux voyages à travers la Méditerranée entre 1791 et 1794, il décide de livrer ses réflexions sur l’histoire politique antique sous la forme de lettres restées inédites, s’appuyant sur les écrits de nombreux historiens romains. Il complète sa culture classique par la lecture des poètes antiques, dont il possède des centaines de feuillets copiés de l’Iliade et l’Odyssée, des Odes de Pindare ainsi que de l’énéide de Virgile.
 
BIBLIOGRAPHIE PUBLIÉE
 
Mémoires sur l’administration des Fonderies, à Paris chez Gattey Libraire, sous les Arcades du Palais Royal, 1er juin 1787
Mes loisirs sur le vaisseau amiral ou Lettres aux Etats Généraux sur une nouvelle constitution du gouvernement de la France, à Toulon de l’Imprimerie du Vaisseau amiral, Paris, T. Barrois, 1789
Lettre à Mr. de Fleurieu ministre et secrétaire d’Etat ayant le Département de la Marine sur le serment civique exigé par tous les fonctionaires publics de l’État Par Mr. le Chevalier de Sade, [1791]
Détails historiques sur l’arrestation d’Albert de Rioms, commandant d’artillerie à Toulon, 1791
« à mes compatriotes », Gazette de Paris, 9 décembre 1791
De la Tydologie, ou de la Science des marées... par le Chevalier de Sade, Londres, B. Dulau, 1810-1813
Dialogues politiques sur les principales observations du gouvernement français depuis la restauration et sur leurs conséquences nécessaires par l’auteur de la Tydologie, Londres, Deboffe, 1815
L’Art de faire des lois, Paris, Chez Pinard, 1820
Les Préceptes politiques ou les moyens de s’avancer dans une monarchie, Paris, Treuttel & Wurtz, 1822
Des orateurs et des écrivains politiques dans un gouvernement représentatif, Paris, Lamy, Opigez & Mongie, 1823
Causes de la grandeur et de la décadence de l’autorité des Européens en Amérique par M. le chevalier de Sade [prospectus], Paris, Imp. De Tastu, [1827 ?]
De la démocratie à l’occasion des élections populaires, Paris, G-A Dentu, 1831
 
Extraits du Lexicon politique publiés du vivant du chevalier de Sade
[1] Corps représentatifs à Bourges. Mauvais ministres. - « Impr. de Everat »
[2] Présages. Centuries de Nostradamus. Fables de La Fontaine. Des 88. - « Impr. de A. Barbier »
[3] Attroupemens. Réveillon. - « Impr. de A. Barbier »
[4] Corps politiques. Monumens. - « Impr. de A. Barbier »
[5] Royalistes. Ultras. Parti des ultras. Apathie des royalistes. Des ventrus, ou des royalistes à la mode en 1824. - « Impr. de A. Barbier »
[6] Origine des constitutions politiques. - « Impr. de A. Barbier »
 
Ouvrage posthume

Lexicon politique ou Définition des mots techniques de la science de la politique, Paris, A. Pougin, 1837-1838

 
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