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Éloge de la bibliophilie

Eloge de la bibliophilieEloge de la bibliophilie
A l’heure de la dématérialisation informatique, quelle pertinence accorder au concept fondateur de la bibliophilie : celui de la relation symbolique qu’entretiennent l’œuvre écrite et son support ?

Aux premières heures de son histoire, le livre n’est pas un simple support de la pensée, il en est le vecteur unique. De la qualité de cet objet dépend l'impact de l'œuvre et par là-même son devenir.
Or, en ces fertiles années de Renaissance, c’est toute la jeune pensée humaniste qui doit s’inventer une forme. Police de caractère, qualité du papier, format de l’ouvrage, illustrations, tirage… les stratégies éditoriales diffèrent entre une édition destinée à l’aristocratie et un opuscule contestataire diffusé sous le manteau.
 Aujourd’hui encore la « forme » de ces livres nous renseigne sur la relation qu’entretenaient les œuvres avec leur époque. Car il n’est pas de pensée pure ; toute formalisation est une interprétation et l’édition en est la forme la plus noble et pérenne. Forme luxueuse du Théâtre de Pierre Corneille richement commentée par Voltaire, forme monumentale des Œuvres complètes de Voltaire dont la majestueuse édition en 76 volumes ruina Beaumarchais et, bien entendu, forme « originale » conçue par Rimbaud pour sa Saison en enfer.
à ce lien naturel entre l’œuvre et son édition se greffe un second élément fondamental pour le bibliophile : l’histoire de l’exemplaire.
D’objet multiple par son essence, le livre devient, par son existence, un objet unique.
Chaque exemplaire porte ainsi les marques de son histoire singulière :
  • dédicace de Dubuffet sur Ler dla canpane offert à Hans Bellmer
  • reliure à décor de Miguet sur un tirage de tête du Mur 
  • dernier exemplaire en main privée de l’édition princeps du Dialogus creaturarum
  • premier tirage des Fleurs du Mal avant son amputation pour indécence.


 

La plupart du temps, l’histoire du livre est une simple anecdote. Toutefois, lorsqu’un vieux dandy publie à compte d’auteur un roman sur sa vie mondaine et offre un des premiers exemplaires fautifs, mais enrichi d’une dédicace autographe pleine de reconnaissance à une présidente de Salon littéraire qui fut à la fois un mentor pour l’écrivain et le modèle d’un personnage central, l’anecdote de Marcel et de son Du côté de chez Swann rencontre alors l’histoire de la Recherche du temps perdu de Proust. Et son modeste exemplaire de première émission devient une trace unique et précieuse de l’histoire littéraire du XXème siècle.

 Ainsi la bibliophilie consiste-t-elle à mettre en exergue l’exemplaire qui, parmi tous les livres, entretient avec le texte qu’il véhicule un lien historique autant que symbolique. Valeur dévoilée plutôt que valeur ajoutée, le livre, objet d’infinie reproductibilité, se voit ainsi restituer sa singularité d’œuvre d’art.

Archéologue du savoir, le bibliophile extrait de la multiplicité un objet signifiant et réintroduit ainsi dans le patrimoine culturel physique la pensée immatérielle dont procède le livre.

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