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Léon Walras, les archives retrouvées du père du marginalisme

Cet ensemble de 42 documents d’importance, comprenant des manuscrits autographes complets, des épreuves corrigées, des tirés à part abondamment annotés, et des ouvrages imprimés enrichis, fut adressés par Aline Walras puis Gaston Leduc à William Jaffé qui ajouta sur certain ses notes autographes et établit grâce à eux la première traduction des Eléments d’Economie politique Pure. 
Léon Walras, inventeur de la théorie de l’équilibre économique, a en effet bouleversé la conception classique en imposant des équations mathématiques pour expliquer et influencer l’économie. Concomitamment avec Jevons et Menger, il fonde la théorie marginaliste, qui deviendra un pilier de la Science économique du XXeme siècle, comme le notait déjà à Milton Friedman, dans son essai consacré à Léon Walras à l’occasion de la traduction par Jaffé des Elements of Pure Economics : « it belongs on [any student’s] "five foot shelf." [...] A person is not likely to be a good economist who does not have a firm command of Walrasian economics » (Milton Friedman)

 
 
Provenance et Histoire des archives Walras
 
Malgré l’importance de la production manuscrite de Léon Walras et ses nombreuses contributions à plusieurs revues économiques, les documents originaux, autographes ou imprimés de l’un des plus importants économistes de la fin du XIXème et du début du XXème siècle sont d’une extrême rareté, tant en mains privées, qu’en ventes publiques ou en institutions.
Fondateur de la Science économique avec Stanley Jevons et Carl Menger, on lui attribue la paternité du Libéralisme, omettant généralement son engagement social et humaniste. La théorie de l’équilibre économique élaborée par Walras a en effet bouleversé la conception classique de l’Economie qui, depuis Smith, Riccardo et Marx fonde la valeur sur le travail nécessaire à la production et sur l’opposition des classes sociales.
Les œuvres originales de Walras, contrairement à celles de ses confrères, sont pourtant parmi les plus rares pièces bibliophiliques. Nous avons pu répertorier moins d’une dizaine d’œuvres originales passées en salle des ventes depuis plus de 20 ans (sur la plus ancienne référence de vente en 2002, Christie’s indiquait déjà : “Only one other copy of this work is recorded at auction by ABPC since 1975 ») et autant proposées sur le marché actuel (dont seulement cinq titres différents). La seule référence comportant une partie autographe fut un exceptionnel ensemble des trois premières éditions des Eléments d’Economie Politique Pure, corrigées Par Léon Walras avec une mention d’Aline Walras : « Notes de mon père”, vendues chez Alde en 2010.
Cette extrême rareté a contribué à une méconnaissance du nom de Walras, cependant que les co-fondateurs de la théorie marginale, sont souvent présentés comme ses prédécesseurs. Or comme l’écrit l’historien de la pensée économique Mark Blaug :

« La Théorie de l'économie politique de Jevons (1871) n'a pas été bien accueillie lors de sa parution, mais elle a été lue. Les Principes d'économie de Menger (1871) furent à la fois lus et bien accueillis, du moins dans son propre pays. Mais l'ouvrage en deux parties de Walras, Éléments d'économie pure (1844-1877), fut monstrueusement négligé partout, malgré ses efforts infatigables pour faire remarquer le livre. Cela s’explique en partie par le fait que Walras s’est fixé une tâche qui allait au-delà de Jevons et Menger, ses co-découvreurs de la théorie de l’utilité marginale, à savoir écrire et résoudre le premier modèle multi-équationnel d’équilibre général sur tous les marchés. De plus, Walras allait bien au-delà de Jevons en employant un mode d'exposition mathématique, ce qui suffisait à effrayer la plupart de ses lecteurs contemporains. Mais alors que Jevons et Menger sont désormais considérés comme des monuments historiques, rarement lus uniquement pour eux-mêmes, l'appréciation posthume de l'œuvre monumentale de Walras s'est si nettement développée depuis les années 1930 qu'il est peut-être aujourd'hui l'économiste du XIXe siècle le plus lu après Ricardo et Marx, notamment depuis la traduction des Éléments en anglais en 1954. »[1]

 


Ce n’est en effet que grâce à cette première traduction de William Jaffé, près de 80 ans après l’originale, que les théories de L éon Walras connaitront une diffusion internationales et deviendront un pilier de la Science économique du XXeme siècle, comme le notait déjà à Milton Friedman, dans son essai consacré à Léon Walras à l’occasion de la parution des Elements of Pure Economics :

« Though I regard as somewhat extravagant Schumpeter's judgment that, "so far as pure theory is concerned, Walras is . . . the greatest of all economists," there can be no doubt that the Elements is a great work which marked an important step forward in the development of economics as a science, and which still plays an important role in economic thinking. It is well worth having a translation even at this late date in order to make it more readily accessible both to the profession at large and particularly to students learning to become economists: it belongs on their "five foot shelf." |...] A person is not likely to be a good economist who does not have a firm command of Walrasian economics; equally, he is not likely to be a good economist if he knows nothing else. »[2]

La renommée tardive de Léon Walras sera donc le fruit du travail d’un américain, tandis que l’histoire européenne du père de l'assise scientifique du libéralisme économique et de ses travaux (près de 400 titres sont référencés dans la bibliographie établie à l’occasion de la publication de ses Œuvres Economiques complètes en 2004) fut des plus chaotiques et risqua à mainte reprise de disparaitre.
Dès ses premiers écrits en 1860, Léon Walras se heurte en effet à une hostilité générale de la communauté intellectuelle française. Alors que l’Economie politique vient juste de conquérir l’enseignement supérieur et que l’industrialisation crée un grand déséquilibre social, Walras s’oppose à l’idéologie dominante d’une société naturellement divisée en castes sociales qui induit une économie fondée sur un rapport de forces politique. En remplaçant le pouvoir par la mathématique, ce pur théoricien, accusé de « vouloir mettre la liberté en équation », tente d’éclairer et d’influencer les relations économiques par une science objective. Or cette conception implique la possible perte d’influence des élites par l’instauration de règles égalitaires et universelles, et, à l’inverse, une délégitimation supposée des luttes de classes par l’objectivation mathématique du partage des richesses.
Walras est lui-même conscient de l’enjeu social de sa révolution scientifique, et son travail s’inscrit dans une conscience politique et une volonté réformatrice :

« Pour Léon Walras, l'économie se scinde en trois blocs : l'économie pure où l'économiste, à partir des concepts essentiels qu'il tire de la réalité, établit des lois mathématiquement formalisées ; l'économie appliquée, qui tire de la précédente des préceptes à mettre en œuvre pour la gestion de la politique économique, ce que Walras appelle la gestion des choses ; l'économie sociale, qui rassemble les mesures permettant d'éviter la pauvreté et l'injustice, comme par exemple la création d'un salaire minimum. L'histoire a surtout retenu de lui la première partie de sa démarche, la formulation de sa pensée théorique qu'il publie en 1874 sous le titre Eléments de politique économique pure. Il ne cessera de préciser et de clarifier sa doctrine au travers des quatre éditions de cet ouvrage qui vont se succéder jusqu'en 1900 » (Jean-Marc Daniel, in Le monde du 16 janvier 2001)

           

Ce profond engagement humaniste mais non partisan (il débute sa carrière par un ouvrage réfutant les thèses de Proudhon), lui vaudront les foudres de la plupart de ses contemporains, et contribuera au refus de ses théories et à son exclusion :

« Le père de l'assise scientifique du libéralisme économique, se considérait lui-même comme un "socialiste scientifique" ! . Et ses contemporains ne s'y sont pas trompés : considéré par les libéraux comme un socialiste (Joseph Garnier l'étrille de belle manière dans le Journal des Economistes après son intervention au Congrès de l'impôt de Lausanne, le traitant précisément de "socialiste", accusation extrêmement grave a l'époque), objet de méfiance pour les socialistes eux-mêmes (les lecteurs de la Revue Socialiste protestent contre la publication de son article sur le problème fiscal qui va directement a rencontré des thèses défendues par la Revue), Walras est perpétuellement en porte-à-faux vis-à-vis des idées de son temps, quelles qu'elles soient »3

Rejeté par les institutions françaises, Léon Walras est obligé de s’exiler en Suisse où l’Université de Lausanne lui offre la première chaire d d'Economie Politique créée en 1870 grâce à l’intérêt que lui témoigne Louis Ruchonnet, futur président de la Confédération helvétique :

« Il faut que la science aborde résolument le problème de l'avenir et qu'elle parle avec cette liberté entière dont la science a le privilège. Cette étude...où se fera-t-elle ? Sera-ce dans ces grandes villes ? Je ne le pense pas, et je me permets de demander si notre petite patrie ne serait peut-être pas un sol propice pour la science sociale. »(Louis Ruchonnet, discours donné à l'occasion de l'installation de Walras au poste de professeur)

Cette seule consécration helvétique et ses rares disciples français n’offrent à Walras qu’une très mince diffusion de son œuvre publiée à tout petit tirage et de ses théories, qu’il fait paraitre dans des revues économiques confidentielles, cependant que les organes plus importants sont rebutés par ses équations absconses et ses idées « socialistes ». Conscient de la trop importante précocité de son œuvre, Léon Walras cherchera très tôt à s’assurer une consécration posthume : « Il a toujours eu la conscience secrète qu'il avait fait, plus que tout autre, une grande œuvre. Ce n'était pas parce qu'elle était incomprise qu'elle n'était pas, a ses yeux, une grande œuvre. C'est pourquoi le problème qui hante la fin de sa vie est la conservation de tous ses dossiers, pour qu'ils passent à la postérité. »
Ainsi, sera-t-il le premier conservateur de sa propre œuvre (et celle de son père), organisant l’archivage de ses écrits, le tri de sa documentation et la réalisation de plusieurs auto-bibliographies, et autobiographies.

« Pour être bien sûr de la conservation de son fonds, Walras négocie avec l'Université de Lausanne. Ces négociations n'aboutissent pas dans l'immédiat, c'est l'une des raisons qui le poussent à se présenter au prix Nobel : le montant du prix lui permettrait de s'offrir une petite maison dont le toit pourrait abriter en toute sécurité sa correspondance et ses œuvres, sans oublier celles de son père. »[3]


Conservation et diffusion de la pensée des Walras occupera ensuite la vie de sa fille, entièrement consacrée à l’œuvre de son père et de son grand-père. Elle rassembla l’ensemble considérable de documents, lettres, notes, manuscrits et imprimés de son père, puis tentera vainement de faire éditer sa correspondance scientifique, fournira la matière du premier essai biographique et publiera la dernière édition des Eléments d’Economie Politique Pure.
L’animosité de ses contemporains conjuguée au soin que Walras mit à rassembler son travail et à en assurer la disponibilité pour les générations futures, contribua à une très faible dispersion de son patrimoine écrit, aujourd’hui presqu’exhaustivement rassemblées au sein de trois institutions Suisse et française et d’une université Canadienne. L’histoire et le recensement des fonds d’archives walrassien occupent ainsi un volume entier des Œuvres Economiques Complètes qui nous a permis de reconstituer l’origine de notre ensemble, présumées uniques archives en main privées du « plus grand de tous les économistes »[4].
 
Les archives walrassiennes furent très tôt réparties successivement en Suisse puis en France dans trois institutions :

. Les archives cantonales vaudoises à Lausanne, à laquelle fut d’abord cédé par Aline, la fille de Léon Walras « la totalité des manuscrits, des documents, de la correspondance et la bibliothèque personnelle de [son] père, pour être mis à la disposition de la Faculté de Droit de Lausanne en contrepartie d’un engagement moral à publier les œuvres et la correspondance […] sous les auspices du comité international [constitué par Aline Walras et Albert Aupetit] »[5].

Cependant, en l’absence de toute publication, la fille de Walras obtient la restitution de plusieurs documents dont elle confie une partie aux soins d’Étienne Antonelli, professeur à la Faculté de Lyon et second disciple français de Walras après A. Aupetit.

. La collection Walras de la Faculté de Droit de Lyon est créé en 1924 « pour partie d’éléments [initialement] déposés à Lausanne (manuscrits d’Auguste Walras, lettres d’Auguste à son fils, papiers de la Caisse d’escompte et quelques exemplaires des ouvrages de Leon Walras…) et pour partie d’archives Auguste Walras reçues de son cousin Yves Delaporte »[6].

A nouveau aucune publication ne verra le jour à la suite de ce nouveau don, et les ambitions politiques d’Antonelli auront raison de son engagement intellectuel. Toutefois, il n’abandonne pas son projet et quand sa santé le contraint à quitter Lyon et ses fonctions politiques en 1935, il emporte certaines archives de Léon Walras avec lui pour les confier à la faculté de Droit de Montpellier.

. La Bibliothèque de Droit, Sciences Economiques et Gestion de Montpellier qui conserve le Fonds Etienne Antonelli précise cependant que : « Les écrits d'Auguste et de Léon Walras, ainsi que les analyses de leur pensée ne constituent pas l'essentiel du fonds Antonelli. »

Avant d’être proprement inventoriés et préservés puis de servir à réaliser entre 1985 et 2005 la première édition, près de 100 ans après sa mort, des Œuvres Économiques Complètes de Léon Walras, ces trois fonds connurent une conservation chaotique et manquèrent de disparaitre à plusieurs reprises, illustrant la difficile et lente reconnaissance du travail de Léon Walras.
Ainsi lorsque l’économiste américain, William Jaffé, obtient l’autorisation de consulter les archives suisses, il découvre un placard avec tous les écrits du Maitre de Lausanne « dans un désordre complet et couverts d’une épaisse couche de poussière » et déclare même à Aline que même le professeur d’Economie de l’Université de Lausanne « ne se doutait pas de l’existence de ces documents [et l’a] même remercié de les lui avoir signalés ! Quelle négligence ! ». le premier inventaire des archives « très sommaire et partiel » (OEC vol. XIV p.126) fut réalisé en 1969, et ce n’est qu’en 1897 que “fut entrepris l’exhumation des livres de Léon Walras” (OEC vol. XIV p.134).
Le fonds de Lyon, déplacé pendant la guerre de 1939-45, fut d’abord réputé perdu, puis retrouvé peu à peu. Un premier inventaire en 1969, ne recense qu’une « masse assez peu considérable, (qui) se trouve fort à l'aise dans un seul cartonnier »[7]. Ce n’est qu’en en 1983, que des chercheurs retrouvent dans les caves inondées de la bibliothèque universitaire, les autres documents walrassiens « conservés dans des boîtes à chaussures » et dans un « état […] alarmant »[8].
Les inventaires précis des différents fonds ne seront ainsi réalisés qu’à la fin du XXème siècle, presque 100 ans après leur acquisition.
Or malgré la masse très importante d’archives (80 cartons à Lausanne, 40 boites à pour Lyon et 82 liasses à Montpellier), l’étude de ces inventaires détaillés dans le volume XIV des Œuvres Économiques Complètes, révèle la profusion de ses archives de professeur et des documents annexes conservés par Walras ainsi que son immense correspondance et les nombreuses archives de son père. Les autres œuvres originales et manuscrits de l’économistes sont ainsi aisément quantifiables :

LES ARCHIVES CANTONALES VAUDOISE À LAUSANNE

De loin les plus importantes, elles rassemblent la quasi-totalité des œuvres manuscrites de Léon Walras. Cependant, ceux-ci ne représentent qu’une petite partie du fonds qui est essentiellement constitué des documents administratifs relatifs à sa fonction de professeur, de ses cours d’économies, des imprimés recueillis et conservés pour ses recherches, de documents administratifs, et des archives du journal Le Travail... Mais également et en premier lieu, la bibliothèque de Lausanne est riche de la monumentale correspondance émise (2718 brouillons, copies et originaux) et reçue (2674 lettres) par Léon Walras, qui servira à la publication par Jaffé de Correspondence of Leon Walras and related papers. L’importante bibliothèque de Léon Walras a été, pour sa part, en partie disséminée dans les différentes bibliothèques suisse et en partie conservée dans le fonds.
L’ensemble des autres œuvres manuscrites et épreuves corrigées de Léon Walras est détaillé par le second inventaire de 1989 (avec quelques précisions issues de la recension personnelle de Georges-Henri Bousquet :

Manuscrits des œuvres et articles de Léon Walras (épreuves annotées, brouillons, notes) :
. Économie politique et la justice
. Associations populaires coopératives
. Mélanges d'économie politique et sociale
. Éléments d'économie politique pure (1' éd. 1877)
. Éléments d'économie politique pure (2° éd. 1889)
. Éléments d'économie politique pure (3° éd. 1896)
. Études d'économie sociale (1896)
. Études d'économie politique appliquée (1898)
. Théorie mathématique de la richesse sociale (1883 et 1886)
. Cours d'économie politique appliquée
. Cours d'économie sociale
. Cours élémentaire pour l'École industrielle
. Œuvres diverses
. Pièces biographiques (autographes et copies)
 
 
LA COLLECTION WALRAS DE LA FACULTÉ DE DROIT DE LYON

Bien plus modeste, elle conserve surtout les archives du père de Léon Walras, Auguste Walras et une grande partie de la correspondance familiale. D’après l’inventaire de 1983, les documents originaux de Léon Walras (essentiellement des imprimés annotés), hors correspondance, sont ainsi détaillés (OEC vol. XIV) :

Œuvres manuscrites. Œuvres annotées. Plans d'œuvres de Léon Walras :
. Économie politique et justice
. Associations populaires coopératives
. Mélanges d'économie politique et sociale
. Éléments d'économie pure
. Études d'économie sociale
. Études d'économie politique appliquée
. Littérature (œuvres)
. Œuvres diverses
. Traduction du livre de H. H. Gossen (1854) par Léon Walras
 
Il n’est malheureusement pas fait dans cette recension de différence entre les manuscrits et les œuvres imprimées. Cependant, sur l’inventaire bibliographique réalisé dans les OEC, nous n’avons pu relever de manuscrit que la traduction de Gossen.
Les œuvres imprimées non annotées de Léon Walras conservées à Lyon ne sont pas détaillés dans l’inventaire.


 
LA BIBLIOTHÈQUE DE DROIT, SCIENCES ECONOMIQUES ET GESTION DE MONTPELLIER

Parmi les documents d’Antonelli sont recensés plusieurs manuscrits et ouvrages d’Auguste Walras. Les quelques archives originales de Léon Walras sont :

Manuscrits divers de Léon Walras :
. Notes de cours, dissertations, notices biographiques et nécrologiques de son père, notices autobiographiques et bibliographiques. (12 liasses)
Deux ensembles de manuscrits et imprimés d’ouvrages inédits (une partie étant à Lausanne) :
. Les Associations populaires coopératives
. Mélanges d'économie politique et sociale
 
Plusieurs ouvrages écrits par Léon Walras. (sans précision)
Deux brochures publiées par Léon Walras (sans précision)
Auguste WALRAS, De la Nature de la richesse, et de l'origine de la valeur (Paris : A. Johanneau, 1831). Exemplaire annoté par Jean-Baptiste Say puis par Léon Walras.
Léon WALRAS, De l'Impôt dans le canton de Vaud (Lausanne : L. Vincent, 1861). Exemplaire annoté par Léon Walras en vue d'une réédition au sein de ses œuvres économiques.
Papiers et objets personnels (agenda, photographies…)
 
 
La relative dispersion des archives de Walras aurait pu s’arrêter à cette inégale distribution entre les trois universités d’où il ressort une quasi-absence de manuscrits d’œuvres de Walras hors de l’Université de Lausanne.
Pourtant, ces trois fonds essentiels ne regroupent pas la totalité des archives de Léon Walras. Un autre ensemble d’archives originales va être constitué outre-Atlantique.
 
LES ARCHIVES DE WILLIAM JAFFÉ
 
En l’absence de respect des engagements des différentes universités Suisse et française, Aline Walras, entièrement dévouée à la préservation et à la diffusion de l’œuvre de son père, se lie d’amitié avec un nouveau disciple de son père, l’économiste américain William Jaffé. Celui-ci qui en 1930, entreprend un colossal travail de recensement de la correspondance du Maitre de Lausanne deviendra le premier et principal promoteur de sa pensée à l’international.
Si Walras eut quelques disciples européens de son vivant, il reste cependant fort peu connu de son temps et moins encore à l’international.

« Les ouvrages de Léon Walras étaient inconnus de la plupart des économistes anglophones. On pensait généralement qu’il était un économiste mineur, et on l’associait vaguement et à tort aux économistes autrichiens. Le fait que Walras reçoive la qualité de membre honoraire de l’American Economic Association en 1892 pour « reconnaître les services éminents qu'il a donnés à la cause de l'économie politique » n’a pas eu beaucoup d’influence dans le monde anglophone. En France pendant ce temps, l’Establishment académique rejette sa méthode et sa doctrine. »[9]


Dans sa correspondance avec Jaffé, Aline souligne à plusieurs reprise cette incompréhension :

« Si M. Antonelli pouvait vous prêter les copies des notes de mon père, notes qu'ils jetait au hasard sur des bouts de papiers, vous pénétreriez à fond dans l'âme ulcérée du grand savant qui se rendait si bien compte de l'animosité qu'éprouvaient contre lui, par jalousie, les Académiciens, les Membres de l'institut, en un mot, tous les économistes officiels. » (Lettre du 17 juillet 1931)

William Jaffé, plus qu’aucun autre disciple de Walras lui offrira une véritable reconnaissance internationale.  Ses nombreux articles sur l’œuvre de Walras, à laquelle il consacre sa vie, exerceront une influence décisive sur la réception et la compréhension d’une des plus complexes et ambitieuses révolutions théoriques de la science Economique.
C’est au cours de son long travail avec Aline Walras pour reconstituer la correspondance de son père et réaliser ainsi la traduction des Eléments en anglais, que la fille de Walras lui offre personnellement de nombreux documents autographes et ouvrages annotés de la main de son père, comme cet exemplaire du dernier ouvrage de Walras présenté dans notre ensemble :

« Je joins à mon envoi un exemplaire de "Economique et Mécanique"' que je vous offre avec grand plaisir. Les corrections mathématiques sont de la main de mon père. C'est son dernier travail et il lui a donné beaucoup de peine. On sentait que son pauvre cerveau était bien fatigué. » (Lettre du 1er juillet 1932).


Il se fait également envoyer directement par le recteur de la Faculté, à la demande d’Aline Walras, (cf lettres 34 et 36) plusieurs ouvrages présentés aujourd’hui dans notre ensemble :
Les associations populaires
Francis Sauveur
The geometrical Theory of the Determination of prices
Equations de la Circulation
Deux autres ouvrages sont mentionnés dans les lettres 34 et 36 qui sont absents de notre ensemble :
Théorie critique de l’Impôt
Jubilé de Walras.
A son tour, Gaston Leduc, héritier des Walras, lui remettra, au décès d’Aline, d’autres archives conservées par celle-ci (le reste de l’héritage rejoindra, à la mort de Gaston Leduc, les archives de Lausanne). Dans sa Correspondence of Léon Walras, W. Jaffé décrit ainsi ces dernières archives en mains privées : « Private collection in my possession in Evanston, Illinois, U.S.A. (a gift of Professor Gaston Leduc of the Faculté de Droit in Paris, who inherited the collection from Aline Walras), containing
. autographs of business letters;
. copies of sundry economic letters in Aline Walras's hand;
. family wills, marriage contracts, and certificates;
. miscellaneous publications,
. newspapers carrying Léon Walras's articles, etc.;
. family photograph albums;
. some personal effects, including Léon Walras's skull-cap. »[10]
 
A la mort de William Jaffé, en 1980, sa veuve, Olive caroline Jaffé offre à Donald A. Walker, le continuateur du travail de recherche de son mari, une partie de ces archives privées. Parmi celles-ci, la correspondance entre Aline Walras et William Jaffé « ainsi que quelques autres lettres importantes » permettront à ce professeur de sciences économiques émérite de l’Université d’Indiana de publier cette correspondance capitale pour la compréhension de la circulation des archives.
 
Le reste des archives de William Jaffé rejoindra en 1983 La collection de l’Université de York, Canada qui dans son inventaire, annonce : « In addition, the fonds hold a good deal of material from Leon Walras, including correspondence with members of his family, an unpublished autobiography, family photographs, essays and other writings, and financial records, 1860-1910. »
Cependant le détail de l’inventaire réalisé et publié sur le site de l’Université mêle sans distinction les documents originaux avec les copies réalisées par Aline ou par Jaffé lui-même à partir des fonds de Lausanne et de Lyon et ne permet donc pas une recension des archives autographes. Donald Walker fournira cependant un inventaire plus précis reporté dans les Œuvres Économiques Complètes de Léon Walras. Il en résulte une quasi-absence de documents originaux de Léon Walras dans ce fonds à l’exception de :

. Une correspondance et comptes financiers de Léon Walras
. 240 Photographies de Léon Walras et de sa famille
. 25 cartes postales
. 5 lettres originales
 
Les exceptionnelles et sans doute ultimes archives en mains privées que nous présentons aujourd’hui sont issues de la collection privée de Donald Walker, conservées par le chercheur et miraculeusement sauvées de la destruction, par une amatrice avertie qui les acquit en Louisiane en 2023.
Ce nouveau sauvetage in extremis d’archives du grand penseur économique, dont même les œuvres imprimés sont d’une insigne rareté, clot le dernier chapitre d’une histoire de sauvegarde inaugurée par Léon Walras lui-même, continuée par sa fille Aline Walras, puis par son disciple français Etienne Antonelli, reprise enfin par le premier expert de son œuvre, l’américain William Jaffé, et son continuateur, Donald Walker.
 
 
Vers une économie mondiale


L’ensemble des documents proposés ici présente donc la particularité de provenir à la fois des archives personnelles de Léon Walras et de celles de son principal hérault, William Jaffé.
Ainsi, la plupart des documents imprimés sont corrigés et annotés et signés par l’un ou/et l’autre.
Mais la véritable cohérence de cet ensemble tient surtout à la diffusion internationale et plus particulièrement outre-Atlantique des idées de Léon Walras.
En effet, les documents conservés par Jaffé puis Walker semble liés à cette volonté très novatrice d’internationalisation de la science économique, favorisée tant par la mathématisation établie par Walras que par sa tentative précoce de diffusion internationale de ses idées.
En France, la rigidité de la séparation entre formation littéraire et formation scientifique incompatibles avec la mathématisation prônée par Walras, et le manque d’ambition des élites politiques et scientifiques conduisent à « l’effondrement de la théorie économique française. Le meilleur théoricien français se trouve a Lausanne, assez isolé, malgré un disciple des plus brillants : Pareto. Les anglo-saxons, a la suite de Marshall, s'imposent sur l'échiquier international et font de l'Anglais la langue officielle de la science économique. »[11]
Un probant exemple de ce mépris sous-jacent de la communauté des économistes français pour leur compatriote exilé est cette note du rédacteur en chef du journal des économistes d’avril 1885 qui accompagne l’article de Walras sur Hermann-Henri Gossen : « en publiant cet article d'un de nos anciens et savants collaborateurs, nous devons faire nos réserves […] sur l'utilité, selon nous fort exagérée, qu'il attribue à l'application de la méthode mathématique à une science d'observation telle que la nôtre. »

UN ECONOMISTE INCONNU : HERMANN-HENRI GOSSEN (corrections manuscrites de Leon Walras)

Sur son exemplaire, conservé dans notre ensemble, Léon Walras a rageusement barré à l’encre noire la note impie, paraphant son geste en marge. Il ajoute également au crayon deux commentaires plus spécifiques dont l’un renvoie à la page 81 enrichie d’une longue note manuscrite qui recouvre la totalité des marges.

Désespérant de vaincre le hiératisme intellectuel de son pays natal, Léon Walras cherche à constituer une langue économique qui ne soit pas limitée par les frontières linguistiques, comme l’écrit Hervé Dumez dans L’Economiste, la science et le pouvoir : le cas Walras :

« Walras fut en relation, c'était nouveau pour l'époque, avec tous les économistes de la période qui laissèrent un nom dans l'histoire de la théorie économique : en Allemagne, Auspitz et Lieben; en Suède, Wicksell; en Angleterre, Jevons, Edgeworth, Marshall; aux Etats-Unis, Fisher, Clark, Moore; en Italie, Pantaleoni, Barone; etc. Cette constitution progressive d'un milieu international d'économistes doit sans doute beaucoup au processus de mathématisation : Sakharov faisait remarquer récemment que les équations sont justes sur tous les continents.

Or, avant la génération de Walras (et le mouvement continue par la suite), l'économie connaît une école anglaise opposée à une école allemande. Ce n'est là qu'un exemple, parmi les plus frappants. Walras est bien conscient de cette caractéristique des mathématiques : "je ne m'occupe absolument pas des non-mathématiciens. Je ne tends qu'à une seule chose : amener un certain accord entre mathématiciens sur des points fondamentaux". […] En 1890 déjà existe un débat international entre économistes mathématiciens. Ce débat va aller en s'amplifiant au cours des années, et Walras est l'un des moteurs de cette dynamique. »[12]

Cette contribution essentielle de Walras à l’établissement d’une véritable communauté internationale de chercheurs en science économiques, ne se limite pas à un nouveau langage. Il va également tenter de diffuser ses écrits auprès d’économistes choisis en pratiquant un système de listes :

« Profitant du caractère largement international de Lausanne, il se procure pour chaque pays, Angleterre, Allemagne, Italie, Hollande, etc., la liste des principaux économistes et il leur envoie le plus souvent des tirés à part de ses articles et communications (la Société vaudoise des Sciences naturelles, en tirant à plusieurs centaines d'exemplaires ses communications, lui rendra un important service, même si son prestige n'est pas celui de l'Institut de France). C'est en grande partie au moyen de ces listes que les liens se tisseront entre économistes mathématiciens : un des noms de la toute première liste anglaise est Jevons. »

C’est ainsi qu’il diffusera les 100 exemplaires de ses Eléments acquis à l’éditeur par le Canton de Vaud pour payer les frais d’impression grâce Louis Ruchonnet.
Comme le notent Jan Van Daal et Donald Walker, « beaucoup des articles de Léon sont parus dans des revues ou des journaux à faible tirage et peu connus, donc difficiles à trouver. »[13]. Les tirés à part des articles de Walras sont ainsi les meilleurs et presque les seuls ambassadeurs de la pensée en élaboration de Walras et son réel moyen de communication savante avec ses pairs (l’internet naitra d’ailleurs de cette même volonté de partage entre scientifiques). Notre ensemble qui est constitué de nombreux tirés à part, témoigne donc de cette démarche spécifique.
La maitrise de la langue anglaise devenant, au détriment du français, la langue scientifique officielle est également pour Walras lui-même un enjeu que reflètent les documents conservés par Jaffé et Walker :

NOTE ON THE SOLUTION OF THE ANGLO-INDIAN MONETARY PROBLEM

Ainsi les deux jeux d’épreuves de Note on the solution of the Anglo-indian monetary problem enrichies de nombreuses corrections mathématiques, biffures, ajouts et notes de Walras montrent l’importance accordé à ces traductions. « Be so kind as to sent a second proof. LW » demande-t-il à son éditeur américain malgré la distance et le temps des échanges. Mais c’est surtout une correction en apparence anecdotique qui constitue l’indice le plus probant de la particulière attention de Walras à la réception de sa pensée outre-Atlantique. Il barre ainsi "University of Lausanne" et demande un remplacement par "Academy of Lausanne" afin sans doute d’assurer la légitimité de sa signature auprès de ses confrères. Sur la seconde épreuve, également jointe à notre ensemble, Léon Walras, parmi les nouvelles corrections apportées, change la place de son patronyme qu’il raye en fin et réécrit en tête de l’article.
 
THE GEOMETRICAL THEORY OF THE DETERMINATION OF PRICES (annoté par Jaffé)

De même The Geometrical theory of the Determination of Prices, tiré à part de l'American Academy of political and social science de Philadelphie, est-il fortement anoté et enrichi de cette belle explication autographe de W. Jaffé : « The corrections in ink are those made by Léon Walras himself in a copy of this article sent to Alfred Marshall. The corrections are in W's hand ». Alfred Marshall, dont les théories vont prédominer jusqu’à la crise de 1929, était le principal adversaire idéologique de Walras. William Jaffé est fort conscient de l’importance de cette attention de Walras à son échange avec Marshal, dont il recopie sur son propre exemplaire les corrections qu’il lui adresse.

MANUSCRIT AUTOGRAPHE ORIGINAL EN ANGLAIS DE LA MAIN DE WALRAS de The Geometrical theory of the Determination of Prices.

Plus encore la version anglaise de cet article fondamental, parue quelques mois après l’originale française, est réalisée par Léon Walras lui-même comme le prouve le manuscrit autographe original en anglais de la main de Walras, présenté dans notre ensemble et précieusement gardé par Jaffé qui a inséré dans son exemplaire imprimé plusieurs feuillets de calcul de sa main.

UN NUOVO RAMO DELLA MATEMATICA DELL'APPLICAZIONE DELLE MATEMATICHE ALL'ECONOMIA POLITICA


Un autre ouvrage de ce fonds illustre tant l’internationalisation de la pensée de Walras que l’abandon de la primauté de sa langue d’origine. Il s’agit d’Un nuovo ramo della matematica dell'applicazione delle matematiche all'economia politica parue à Padoue dès 1876 directement en italien et jamais traduit en français du vivant de l’auteur.

BIBLIOGRAPHIE DES OUVRAGES RELATIFS A L’APPLICATION DES MATHEMATIQUES A L’ECONOMIE POLITIQUE et THEORIE MATHEMATIQUE DE LA RICHESSE SOCIALE

Jaffé et Walker ont également conservé un précieux tiré à part, l’unique collaboration entre deux des fondateurs l’économie mathématique qui est également la toute première bibliographie des ouvrages relatifs à l’application des mathématiques a l’économie politique, de Stanley Jevons, avec la collaboration et une introduction de Léon Walras. (La seule autre publication réunissant les deux économistes est une courte Correspondance, parue en 1874 dans le JDE et publié en volume en 1877 dans Théorie mathématique de la richesse sociale, également présent dans notre ensemble).
Dès 1893, l’économiste suédois Knut Wicksell relevait l’importance de cette publication :

« Il existe d’ailleurs diverses bibliographies très riches, quoique incomplètes, des œuvres des économistes qui ont eu recours à l’emploi des mathématiques. La plus ancienne date de 1878, elle a toute une histoire. Elle fut dressée par Jevons et Walras eux-mêmes à la suite de la constatation de la coïncidence des résultats auxquels ils étaient parvenus chacun de son côté. « Il est assez naturel », dit Walras, « que M. Jevons et moi, mis en éveil par cette coïncidence singulière, nous ayons pris soin de nous enquérir des diverses tentatives qui avaient précédé les nôtres, et que nous ayons été ainsi amenés à dresser de compte à demi la Bibliographie des ouvrages relatifs à l’application des mathématiques à l’économie politique. » « Dans ce but, » dit Jevons, « je dressai la liste chronologique de tous les ouvrages mathématico-économiques que je connaissais, alors au nombre d’environ 70 : cette liste fut, grâce à l’obligeance de l’éditeur, M. Giffen, imprimée dans le numéro de juin 1878 du Journal of the London Statistical Society, et adressée aux principaux économistes, aux fins d’additions et de corrections. Mon ami, M. L. Walras, recteur de l’Académie de Lausanne, après y avoir fait lui-même des additions considérables, la communiqua au Journal des Économistes décembre 1878 »[14].


Ce tiré à part sans couverture est donc plus qu’un simple recensement, c’est une revendication de légitimité. Par la recherche de prédécesseurs, ces deux révolutionnaires de l’économie affirment que leur pensée s’inscrit dans une continuité historique et se trouve justifiée par les illustres pairs qui les ont précédés. Ainsi, Walras est-il fier d’ajouter à la liste la première occurrence mathématique dans une réflexion économique, remontant à 1781, c’est-à-dire presque à l’origine de la pensée économique.

THEORIE MATHEMATIQUE DU BIMETALLISME (annoté par Walras)

Cette obsession de la légitimation historique se retrouve sur notre exemplaire de la Théorie mathématique du Bimétallisme en 1881, abondamment annoté au crayon et corrigé par Léon Walras et enrichi de cette longue note autographe en pied de la page 8 :
« Le plus ancien de tous les essais d'application des mathématiques à l'économie politique qu'on ait retrouvés jusqu'ici est un ouvrage d'un économiste italien nommé Giovanni Ceva, publié à Mantoue en 1711 et intitulé De re numinaria quoad fieri potuit geometrice tractata ad illustrissimos et excellentissimos dominos Praesidene, Quaestroresque hujus arciducalis Caesarei Magistratus Mantuae. Cet ouvrage a été signalé et analysé par M. F. Nicolini dans le n° du Giornale degli Economisti d'octobre 1878 ; et d'après cette analyse, il semble que Ceva ait assez clairement aperçu la formule de valeur de la monnaie en fonction inversement décroissante de la quantité. »

NOTE SUR LA REFUTATION DE LA THEORIE ANGLAISE DU FERMAGE DE M. WICKSTEED

L’épreuve datée par l’imprimeur du 21 juin 95 abondamment corrigée de Note sur la réfutation de la théorie anglaise du fermage de M. Wicksteed est également un très important jalon de la théorie marginaliste et de « la querelle qui opposa Walras à Wicksteed sur la paternité du théorème » comme le note Claire Baldin, André Legris et Ludovic Ragni, (« Productivité marginale et concurrence dans les travaux d’Enrico Barone », Revue européenne des sciences sociales). Les trois chercheurs mettent l’accent sur l’importance des réécritures et modifications apportées par Walras notamment dans notre exemplaire :

« La Note de Walras contient également la date de 1895, pour la seconde partie, où il est tenu compte des apports de Barone à la théorie et au théorème des productivités marginales que Walras applique à sa propre théorie de la production et de la répartition. Ces développements le conduisent à proposer la première formulation du théorème des productivités insérée dans la troisième édition des Éléments (1988 [1896]) sous forme d’un appendice qui sera reporté à la 36e leçon pour la quatrième édition (1988 [1900]) et modifié en 1901 pour la cinquième édition (1988 [1926]). »[15]


ECONOMIQUE ET POLITIQUE
L’exemplaire de l’ultime ouvrage de Léon Walras, tiré à part de sa dernière intervention à la Société Vaudoise, Economique et Mécanique est un des précieux livres qui lui furent adressé par Aline Walras lors de leur intense correspondance. Il comporte le nom de William Jaffé de la main de celle-ci sur la couverture.
Mais ce sont surtout les corrections mathématiques autographes à l’encre de Léon Walras enrichies de celles au crayon de William Jaffé qui font la singularité et l’unicité de cet exemplaire qui ne connaitra pas de réédition avec ces modifications essentielles.
A notre exemplaire est également joint la lette de H. Poincarré qui autorise Walras à adjoindre sa lettre revenant sur sa critique de la quatrième édition des Eléments d’Economie Pure.
 
Les très nombreuses annotations de Jaffé sont elles aussi d’un grand enseignement sur la réception complexe de la pensée de Walras. Cette difficulté sera d’ailleurs à l’origine du travail considérable de reconstitution des archives et de la correspondance de son maitre, afin de traduire ses œuvres :

« I thought of translating the Eléments d'Economie Politique Pure into English. The undertaking proved more difficult than I had anticipated; and, as I wrestled with the obscurer passages in the Eléments, I longed for something like the Memorials of Alfred Marshall, edited by A. C. Pigou, in which several published letters and republished papers of Marshall threw added light on his Principles of Economics. Thus I came to search for Léon Walras's letters and literary remains.”[16]

C’est ainsi que Jaffé entame une correspondance avec Aline Walras pour obtenir les copies des lettres de son père et qu’il découvre à Lausanne « un fonds dans le plus grand désordre », littéralement oublié par les conservateurs.

ELEMENTS D’ECONOMIE POLITIQUE PURE 1926 (enrichies de corrections manuscrites voulue par Walras)


Notre ensemble comprend également l’objet final de cette immense aventure intellectuelle : l’exemplaire de William Jaffé, paraphé en tête, de l’édition de 1926 des Eléments d’économie politique, à partir de laquelle il établira l’édition américaine. Réputé être l’édition définitive comportant toutes les modifications voulues par Walras (la prochaine ne sera publiée qu’en 1976), notre exemplaire est cependant annoté par Jaffé en rouge avec cette précieuse mention autographe sur le premier plat : « Specially marked copy with correction indicated by L.W. for ed. def. – not carried into this edition. »
Parue en 1954, la traduction de Jaffé, établie à partir de cet exemplaire tient compte des corrections « indiquées par Walras » et reportées à l’encre rouge. Elle deviendra donc, bien que personne n’ait mentionné cette particularité, la première édition définitive de l’œuvre maitresse de Walras, 22 ans avant la 6eme édition française.
Hormis une traduction japonaise contemporaine de celle de Jaffé, les autres traductions de l’œuvre du fondateur de l’Ecole de Lausanne, ne paraitront qu’en 1966 en chinois, 1974 en italien et 1987 en espagnol. Tandis que l’édition américaine sera éditée 5 fois (1954, 1969, 1977, 1984 et 2003) soulignant l’importance accordée à Walras outre Atlantique.
 
La quasi-totalité des tirés à part, revues, et ouvrages de notre ensemble comportent ainsi de nombreuses annotations soulignements ou sélections de chapitres au crayon de la main de William Jaffé. Utilisant plusieurs codes graphiques (pointillés, double soulignement, précisions en marges, références bibliographiques…) qui éclairent sur les intérêts et les questionnements du scoliaste devant les nombreuses énigmes walrassiennes.
 
LES MANUSCRITS 


THEORIE DE LA CAPITALISATION ET DU CREDIT

Parmi les précieux et uniques manuscrits contenus dans notre ensemble, on notera les cinq feuillets autographes et le bon à tirer de la 23eme leçon de la section V des Eléments pour l’édition de 1900. Or aucune de ces corrections et notes ne semblent avoir été prises en compte dans la version finale des Eléments puisque sur notre édition de 1926, le texte de cette lecçon est celui du bon à tirer sans les modifications de Walras. Nous ne sommes bien entendu pas compétents pour juger des spécificités de ce manuscrit d’équations mathématiques et de texte abondamment corrigé, mais il n’est pas difficile de savoir pourquoi William Jaffé l’a conservé précieusement. Voici en effet ce qu’il écrit en 1953 dans Économie appliquée, d’Avril-Septembre 1953 (« La théorie de la capitalisation chez Walras dans le cadre de sa théorie de l'équilibre général. ») :
 

« La partie la plus difficile des Éléments d’économie politique pure est probablement la Section V de l’édition définitive, qui s’intitule « Théorie de la capitalisation et du crédit ». La preuve de la difficulté qu’elle présente, même pour ses lecteurs les plus érudits, réside dans la rareté des commentaires publiés sur cette section et dans l’abondance de la correspondance non publiée qui traite de cette partie du système walrasien. Qu’elle ait constitué pour Walras lui-même une véritable pierre d’achoppement, j’en vois également la preuve dans les nombreuses révisions qu’il a faites de sa théorie de la capitalisation au cours des éditions successives des Éléments qui ont paru de son vivant. Ces révisions, non seulement concernaient la substance mais affectaient même la position de la théorie dans le cadre du système d’équilibre général. En fait, si l’on veut accéder à une meilleure compréhension de la théorie, il faut la suivre dans les changements qu’elle a subis dans ses versions successives et la considérer du point de vue de la place qu’elle occupe dans l’ensemble du système. »[17]


Le bon à tirer de cette leçon (p. 241 à 256) est daté à la main du 6 avril 1900 et signé par Léon Walras, comme la page 3 du manuscrit.  Etonnamment, Walras l’a intitulé à la main : « Equations du taux du revenu net » (un manuscrit portant ce titre joint à notre ensemble est décrit plus loin). Il comporte également plusieurs corrections et des ajouts autographes qui, elles non plus, ne seront toujours pas répercutées sur l’édition définitive des Eléments de 1926 !
 
NOTE SUR LA SOLUTION DU PROBLEME MONETAIRE ANGLO-INDIEN (plusieurs versions plus traduction anglaise autographe et corrections)

« L. Walras [a] été l'un des premiers à recommander l'utilisation d'un indice de prix pour guider la politique monétaire. Son étalon multiple fournit les informations qui déterminent les interventions destinées à éliminer les variations de la valeur de la monnaie. Cet étalon multiple n'est rien d'autre qu'un indice de prix utilisé à des fins particulières. L'utilité d'un tel indice, qui était loin de faire l'unanimité au moment où L. Walras en montrait l'intérêt, est aujourd'hui reconnue. »[18]

Dans le manuscrit de note sur la solution du problème monétaire anglo-indien, Walras, - sans se soucier des concurrences impérialistes qui conduiront bientôt l’Europe à sa perte - « propose la mise en place de son système pour résoudre les problèmes monétaires des principales puissances économiques » en offrant une solution d’équilibre économique à l’Empire britannique. « Il espère organiser de meilleurs rapports monétaires entre le Royaume-Uni et l'Inde. Son plan est censé stabiliser simultanément la livre et la roupie, mettant ainsi fin à la dévalorisation permanente de la monnaie indienne par rapport à la livre sterling »[19]
 « La question de la monnaie m'intéresse [...] parce qu'elle se prête à une des premières et des plus décisives applications de mon système d'économie politique pure. » écrira Walras en 1893[20].
Or notre manuscrit, loin d’être une simple copie autographe de cette communication fondamentale pour Walras qui espère ainsi voir ses théories mises en application à l’échelle internationale, présente plusieurs versions et de nombreuses corrections.
Ainsi le manuscrit initial ne comporte pas le dernier paragraphe et est signé et daté du « 3 juillet 1887 » juste après : « cette 0).
Ces manuscrits sont également enrichis de trois pages autographes de calculs (sur deux feuillets) intitulés « vérifications » et une copie tapuscrit avec note de Walras.
Plus étonnant encore, sur autre feuillet autographe, Léon Walras a réalisé lui-même la traduction anglaise de ce dernier chapitre additionnel.
Joint à cet ensemble unique, le double feuillet du tiré à part, Extrait de la Revue d’Economie Politique de novembre-décembre 1887.
 
 
EQUATIONS DE LA CIRCULATION

Autre manuscrit essentiel, Equation de la circulation comprend 8 feuillets, sans doute rédigés en 1899, il fait pendant au manuscrit de 19 ff. conservé à Lausanne et intitulé « Sur les équations de la circulation ». La même année, Walras fait paraitre un article éponyme de notre manuscrit dans le Bulletin de la Société vaudoise des sciences naturelles (vol 35, n°132). Ce qu’il développe ici est un concept novateur de la circulation de la monnaie par lequel il crée, selon Schumpeter, « la théorie moderne de la monnaie ». Absent des premières éditions, ce concept constituera la section VI des Éléments d'économie politique pure à partir de l’édition de 1900. La théorie de la monnaie, c’est-à-dire du « capital circulant » est en effet, pour Schumpeter, l’ultime pièce fondatrice de sa théorie générale de l'équilibre, avec la théorie du marché des biens de consommation et celle de la production et du marché des services producteurs.
Sont joints deux tiré-à-part, sans doute parus uniquement pour l’auteur et ses proches. Ils sont tous deux annotés au crayon par William Jaffé qui ajoute des corrections et relève notamment les passages omis de l’Edition 1900 des Eléments.
 
EQUATIONS DU TAUX DU REVENU NET

Le dernier manuscrit de cet ensemble s’intitule Equations du taux du revenu net, abondamment corrigé, il comprend quatre pages sur trois feuillets et demi. Rédigé en 1900, un an après le précédent, il en est la continuation et vient parachever sa grande œuvre les Eléments d'économie politique pure, juste avant sa dernière publication de son vivant. L’importance de ce dernier manuscrit est soulignée par Léon Walras lui-même dans son autobiographie :

« En 1900, je donnai la 4e édition des Eléments d'économie politique pure, qui contenait une théorie de la détermination du taux de l'intérêt déduite rationnellement, pour la première fois, d'équations d'échange et de satisfaction maxima et qui parut en décembre sous le titre de : " Note sur l'équation du taux du revenu net ", dans le Bulletin de l'Institut des actuaires français, lequel m'avait élu membre correspondant en 1893 ; et une théorie de la valeur de la monnaie déduite, elle aussi rationnellement, pour la première fois, d'équations d'échange et de satisfaction maxima et qui avait été communiquée en 1899 sous le titre d'" Equations de la circulation " à la Société vaudoise des sciences naturelles, laquelle m'élut, à cette occasion, membre émérite. Cette 4e édition des Eléments d'économie politique pure, avec les deux volumes des Etudes d'économie sociale et des Etudes d'économie politique appliquée, peut, je crois, donner une idée suffisante de ma doctrine économique et sociale. »

Notre manuscrit, rédigé initialement sur trois feuillets, est enrichi d’un demi-feuillet supplémentaire de texte à insérer dans le premier paragraphe. Cette composition et les nombreuses ratures, suppressions et ajouts indiquent clairement un travail de premier jet en pleine élaboration dont les repentirs sont sans aucun doute aussi instructifs sur la formation de la pensée walrassienne que son contenu définitif.

L’ENGAGEMENT SOCIAL ET PACIFISTE
 
Aux premières heures de la mondialisation industrielle, de la naissance d’une conscience de classe à l’échelle internationale, de l’essor des Etats-Unis d’Amérique et de l’expansion territoriale des pays occidentaux, la maitrise de l’équilibre économique devient un enjeu capital.
Loin de contribuer à l’escalade impérialiste, les théories économiques de Walras, que l’on réduit généralement aux assises de l’économie capitaliste et libérale qui fera flores en occident au dépend des classes défavorisées et des pays du sud global, sont, pour l’économiste engagé, un gage de justice et de paix internationale.
Parmi les documents conservés par Jaffé se trouvent quelques-uns de ses premiers tirés à part et épreuves issus de cette « volonté de Léon Walras de réaliser une synthèse entre le socialisme et le libéralisme. » comme l’explique Claude Hébert :

« De 1864 à 1870, Léon Walras participe au mouvement coopératif. (…) En tant que praticien, il fonde avec Léon Say, la Caisse d'escompte des associations populaires et le journal Le Travail. »[21]

Toutefois C. Hébert précise l’enjeu pour Walras de ces écrits précoces qu’il qualifie de « véritable profession de foi ».
L’économiste humaniste voit en effet dans ces mouvements une alternative à sa réforme de l'impôt pour « la résolution du problème de la répartition des richesses » :

« Par l'approche théorique qu'il va développer dans trois leçons publiques au début de l'année 1865, Walras se distingue de ses contemporains en voyant dans l'association un moyen pour les classes laborieuses d'accéder à la propriété du capital par l'épargne. Les associations de crédit et de production permettent de rompre le cercle vicieux,— le travailleur n'a que de garanties personnelles à proposer alors que le capitaliste demande des garanties réelles—, en interposant une société qui fournit une garantie collective. Léon Walras est attiré naturellement par la catégorie des associations de crédit qu'il considère comme la forme la plus complète et la plus accessible à un économiste. Il participe à l'extension du mouvement en fondant, avec Léon Say, en 1865, une association populaire de crédit et en 1866, un journal afin de faire prévaloir ses thèses. »[22]


De l'organisation financière et de la constitution légale des associations populaires présent dans notre ensemble est l’une de ces leçons. Y sont joint également une très rare épreuve corrigée de son journal Le Travail, explicitement sous-titré : Organe international des intérêts de la classe laborieuse, ou le tiré à part de son Projet de loi sur les sociétés à responsabilité proportionnelle qui sera publié dans le n°7 du journal.
 
LA PAIX PAR LA JUSTICE SOCIALE ET LE LIBRE ECHANGE

Tandis que les tensions internationales exacerbées vont bientôt conduire l’Europe dans les deux plus sanglants affrontements de son histoire, Walras conçoit sa révolution économique comme une solution capable de prévenir les conflits et instaurer une paix durable grâce à l’interdépendance entre les peuples. Ainsi en 1907, à peine sept ans avant le déclenchement de la première guerre mondiale, Walras met-il son œuvre au service de l’effort de paix en s’inscrivant dans la pure tradition physiocratique :

« Il est impossible à deux peuples de tirer en partie leur subsistance l'un de l'autre s'ils sont en guerre ; et, réciproquement, il leur est d'autant plus difficile de se mettre en guerre qu'ils tirent en plus grande partie leur subsistance l'un de l'autre. En un mot, le libre-échange, non seulement suppose et exige la paix, mais il la maintient et l'assure. » (La paix par la justice sociale et le libre-échange, tiré à part des Questions pratiques de législation ouvrière et d’économie sociale, n°6, 7-8 et 9-10, juin à octobre 1907).

Cet incipit est la transparente réécriture moderne de ce que Montesquieu proposait déjà dans L’Esprit des Lois :

« L’effet naturel du commerce est de porter à la paix. Deux nations qui négocient ensemble se rendent réciproquement dépendantes : si l’une a intérêt d’acheter, l’autre à intérêt de vendre ; et toutes les unions sont fondées sur les besoins mutuels. ».

Mais en cette veille de cataclysme, c’est aussi un précoce appel à cette grande œuvre de maintien de la Paix que les gouvernements européens ne réaliseront qu’après deux guerres mondiales : L’Union Européenne et son marché commun. Or Walras, ne se contente pas d’appeler de ses vœux cette union, il détaille mathématiquement les conditions économiques nécessaires à sa réalisation.
En plus des trois rares numéros des Questions pratiques, publication originale du texte de Walras, notre ensemble comprend le précieux exemplaire du tiré a part de ce manifeste pour la paix par la science économique que Léon Walras composa pour solliciter l’obtention du prix Nobel, trois années consécutives.
Créé quatre ans auparavant le jeune comité suédois ne décerne pourtant encore aucun Nobel d’économie ou de mathématiques. Le premier prix consacré à cette discipline ne sera attribué qu’en 1969. C’est cependant un économiste qui reçut l’un des deux premiers prix Nobel de l’Histoire pour son œuvre en faveur de la Paix.
Publié trois ans avant la mort de Walras, ce court opuscule est à la fois une synthèse de sa pensée et de la finalité humaniste de ses travaux et l’ultime et vaine tentative de reconnaissance et de conservation de l’intégrité de son œuvre :

« J'éprouve, depuis que je m'occupe de mettre mes livres et mes papiers en ordre, une grande difficulté provenant de ce que je n'ai pas les moyens de les loger de mon vivant, et moins encore après moi, comme il le faudrait pour qu'ils fussent à la disposition de mon école future. Un homme dans ma situation aurait vraiment besoin d'être propriétaire de sa petite maison afin de pouvoir la laisser à ses enfants d'abord, puis à la ville ou à son Université. Sous l'influence de cette préoccupation et de la nouvelle que la Norvège se séparait de la Suède en partie pour être libre-échangiste tout à son aise, l'idée m'est venue de prendre l'espèce de billet de loterie que voici. C'est un Comité du Parlement norvégien qui décerne celui des cinq prix Nobel qui se donne pour "l'œuvre de la paix". J'ai rédigé une note expliquant comment mon ouvrage aboutissait, par la suppression de tous les impôts, au libre-échange absolu et à la paix universelle dans un avenir à poursuivre, comme idéal, par l'humanité. » (lettre à Gustave Maugin, 11 aout 1905)[23]

 
Ce manifeste est une des rares prises de position à la fois pacifiste et pragmatique dans laquelle Walras convie les états à un rééquilibrage du marché et des forces économiques et non à une utopique fraternité entre les peuples.
Walras, qui, selon W. Jaffé, a dilapidé son bien et ses revenus dans la publication de ses tiré-à-part et leur diffusion auprès des économistes du monde entier, a sans doute, avec cette dernière synthèse et vulgarisation de sa pensée, de jouer son va-tout en la publiant à plus grand nombre d’exemplaires, à la fois à Paris et à Lyon et en tentant une diffusion en librairie, au prix modique de 1 franc, comme l’indique la couverture.
Aujourd’hui, hormis quelques exemplaires en institutions, il ne demeure aucune trace en vente de cette apogée tragique de tous les combats walrassiens : l’économie mathématique, la justice sociale, la reconnaissance de ses pairs et la préservation de son œuvre.    

FRANCIS SAUVEUR

Le plus important document de notre ensemble pour comprendre la complexe personnalité du fondateur de l’Ecole de Lausanne ne concerne pas directement ses théories économiques, mais est l’un des deux seuls exemplaires abondamment annoté et corrigé de son unique œuvre littéraire sur la couverture duquel, Léon Walras a inscrit puis signé au crayon : « Avertissement et corrections pour une deuxième édition ».

« Travaillez, réfléchissez. Cherchez sans relâche. Cherchez le principe vivificateur et la formule d'une société idéale. Et quand vous, l'aurez trouvé, rien n'en pourra retarder l'application. Car, dès aujourd'hui, sans secousses, sans révolutions, sans une larme, sans une goutte de sang versées, la société va, sous votre Inspiration, pouvoir se transformer lentement ; et, docile comme le navire à la manœuvre, prendre et suivre la direction du progrès, que tous ensemble, sans exception, et dans un fraternel accord, vous vous efforcerez de lui donner. De ce jour, vous êtes tous citoyens, tous électeurs, tous législateurs, tous égaux. »

Cette parfaite synthèse de son engagement scientifique n’a pas été écrite par Walras au terme de sa carrière mais en préambule de son œuvre de jeunesse : Francis Sauveur, paru quelques mois avant la révélation de sa vocation, « un soir de l’été de 1858 […] pendant une promenade dans la vallée du gave de Pau », lors de laquelle Léon promit à son père Auguste « de laisser la littérature » pour se « consacrer entièrement » à la tâche de « créer la Science sociale ».
Après cette heureuse décision, Francis Sauveur, roman quasi-autobiographique publié à compte d’auteur puis « retiré du commerce » selon Walras lui-même, fut longtemps renié par l’économiste qui dans une lettre à Edouard confie ne l’avoir « communiqu[é] qu'à très peu de personnes ». Il s’abstient même de la mentionner dans son auto-bibliographie rédigée en 1906. Pourtant, dès 1887, comme en témoigne sa lettre à Rod retrouvée et publiée par G.H. Bousquet dans. “Léon Walras, romancier : Une Lettre Inédite.” Revue d’histoire Économique et Sociale, vol. 45, no. 2, 1967, l’économiste reste hanté par « ce petit cas de conscience et d'art ». Il opère en marge de deux exemplaires plusieurs corrections différentes. Si l’on en croit sa lettre à Rod, il ne s’agit pas d’une nouvelle version mais de retrouver l’esprit premier de son roman, avant les conseils littéraires de Maxime Du Camp.
Cette version primitive, si elle s’inscrit dans une conception chrétienne de la bienséance et des mœurs policées de la morale bourgeoise, témoigne également d’une volonté plus ambitieuse et personnelle. « Ce sujet est traité dans la manière idéaliste, en ce sens que tous les personnages sont sympathiques. » confie-t-il à son confrère écrivain. « La mère, en particulier, dont un réaliste aurait probablement fait une bourgeoise étroite, a été conçue par moi comme une personne distinguée, même supérieure. »
Cette prise de position « idéaliste » contre « réaliste » du jeune écrivain de 23 ans est sans doute également une clé d’analyse de son œuvre économique en gestation dès ce premier écrit.
Concevoir une action romanesque sans opposants et presque sans climax, à l’encontre des règles péripatéticiennes les plus élémentaires, est une marque de l’esprit particulier de celui qui tentera de révolutionner la pensée économique en faisant appel au raisonnement mathématique plus qu’à l’idéologie politique.
L’appel à contribution pour le colloque « Contre Walras », organisé par le Centre d’Economie de la Sorbonne en 2015 présentait l’œuvre économique de Walras ainsi :

« La cause est entendue : Walras a laissé un héritage immense. Près d’un siècle et demi après sa première formulation, l’équilibre général reste « le ‘‘camp de base’’ de la plus grande partie de la recherche en théorie économique ». L’héritage intellectuel de Walras est supposé bien connu : il coïncide généralement avec l’histoire de l’équilibre général et une litanie de noms qui va de Pareto à Arrow-Debreu, en passant par Cassel, Zeuthen, von Neuman, Wald, Allais, Hicks et Samuelson. Et en même temps, on peut observer avec Hildenbrandt que, si la théorie de l’équilibre général est une magnifique cathédrale, dont Walras fut le premier architecte, et qui garde aujourd’hui encore toute sa beauté, elle abrite sous ses voûtes plus de touristes admiratifs que de pratiquants fervents. »

L’allégorie de la cathédrale fait écho aux critiques les plus virulentes contre Walras qui stigmatisent généralement l’équilibre général comme une théorie privée de toute pertinence empirique car incapable de résoudre la question de la détermination effective des prix. Pourtant, nul ne songe à reprocher à Walras d’ignorer la complexité du Marché global, puisqu’il est de fait le premier à avoir tenu compte de la multiplicité des interactions.
Une des réponses peut sans doute être formulée à la lumière de ce roman qui s’ouvre sur la fin d’une idylle amoureuse pour transformer la désillusion sentimentale en nouvelle utopie grâce à l’intelligence des personnages et à leur modération les conduisant à un nouvel équilibre : l’amitié.
« Au dénouement, il était bien entendu que l'ami et la maîtresse vivraient comme frère et sœur. »
50 ans après sa première publication, Léon Walras ne renonce pas à ce premier élan. Au crépuscule de sa vie, il modifie son œuvre « défigurée et enlaidie par les changements qu’[il y avait] apportés » pour assumer cette position d’humaniste exhaustif qui entend rééquilibrer le monde par la contribution naturelle de tous.
Son immense « cathédrale » intellectuelle est en effet bâtie sur les mêmes bases et dressée vers le même idéal. Elle ne nie pas l’imperfection du monde mais elle fait confiance à la perfectibilité des hommes.
Outre les nombreuses corrections et ajouts dans le corps du roman, et plus explicitement la réécriture du dénouement, c’est dans la longue note autographe ajoutée à sa longue préface que Walras révèle à la fois la constance de son idéal de jeunesse et la terrible désillusion de sa maturité.
C’est en effet dans ce prologue-manifeste, bien plus ambitieux que son roman, que l’éphémère romancier Walras expose la dynamique de l’éternel économiste :

« Nous vous avons fait apercevoir les vastes horizons ouverts à la pensée. Choisissez de la science ou de l'art. Quand vous aurez choisi, marchez dans votre voie ; et devenez aptes à prêter le secours de votre travail à la société de qui vous attendez le soutien et la sûreté de votre vie. » […] Qu'est donc, à tout prendre, cette société que nous devons servir ? Et quelle révoltante et inique association est donc celle qui divise en deux classes l'humanité : d'un côté la foule des travailleurs, prolétaires méprisés, de l'autre le clan des oisifs, propriétaires heureux du sol où nous sommes nés ? […] Servir cette société ! nous le ferions pour la trahir et la renverser, si nous savions quelle autre édifier à sa place. Mais si l'humanité marche, où va-t-elle ? et comment la diriger ? »

Walras ne fait pas qu’exposer sa profession de foi. Il lui attribue une origine, un fondement politique et social sur lequel élever l’édifice de sa pensée révolutionnaire :

« Dans ce temps-là, se fit une révolution. Un trône s'écroula. Une forme nouvelle de gouvernement se produisit, puis disparut. […] D'autres que moi feront de la république de 1848 le panégyrique ou la satire. Elle a manqué, dit-on, d'hommes et d'idées. A-t-elle manqué d'hommes parce qu'elle n'avait pas d'idées, ou d'idées parce qu'elle n'a pas trouvé d'hommes ? Je ne sais. Nous étions bien jeunes alors ; et de ma génération je suis un des plus jeunes. Dans nos têtes ont fermenté tour à tour bien des terreurs vaines, bien des espérances folles, espérances et terreurs d'enfants oubliées aujourd'hui comme les péripéties d'un rêve. Toujours est-il que si faible et si impuissante, et si justement engloutie qu'ait pu être la république de 1848, elle a droit de notre part a d'autres égards que le vain respect qu'on doit aux morts, puisque d'elle, et d'elle seule, nous avons recueilli comme un héritage sacré le suffrage universel. »

A peine 10 ans après, le tout jeune Walras avait compris les implications de l’un des plus fondamentaux progrès sociaux qui ferait bientôt basculer l’Europe dans l’ère moderne. Mais 10 ans avant que cette Europe ne soit confrontée aux pires conséquences de sa modernité, le vieil économiste de 70 ans, opérait une modification manuscrite désenchantée sur sa préface qui devait résumer son amertume :

« Mon opinion sur le suffrage universel s’est modifiée ensuite de la distinction que je suis arrivé à faire entre la théorie ou science sociale et la pratique ou politique. Je crois toujours que le suffrage universel est une vérité scientifique ne ce qu’il a sa place dans l’idéal social, à la condition d’être organisé rationnellement. Mais je crois aussi que son avènement prématuré et son fonctionnement sous une forme grossière et brutale est un malheur politique dont la démocratie française pourrait ne pas se relever. »

LES AVENTURES DES ARCHIVES PERDUES
Les documents capitaux précieusement conservés et transmis par Aline Walras à William Jaffé puis à Donald Walker, constituent non seulement l’ultime ensemble d’archives de Léon Walras en main privées, mais présentent également une véritable cohérence intellectuelle. Plusieurs de ces pièces autographes semble être restés encore inédites, malgré leur importance mathématique et conceptuelle. Ainsi des corrections de la section V des Eléments, de celles de Francis Sauveur, ou des corrections d’épreuves dont nous avons pu consulter la version définitive publiée. Toutefois notre méconnaissance du sujet ne nous a pas permis d’évaluer l’importance des nombreuses notes de calculs et d’équations ainsi que des ajouts de paragraphes aux textes publiés. Nous n’avons pas pu non plus travailler sur l’extrême rareté des ouvrages imprimés et tirés à part dont beaucoup sont introuvables hors des archives vaudoises.
L’aperçu des pièces mises en exergue dans cette présentation ne se veut ni exhaustif ni nécessairement pertinent et seule une étude approfondie par des chercheurs compétents pourrait révéler la véritable importance de ces documents uniques, qui se trouvent, après recensement, être l’un des cinq plus importants ensemble d’archives de celui que Schumpeter considérait comme le « plus grand de tous les économistes ».
 
 
Principaux documents du fonds (manuscrits, épreuves annotées, tirés à part, revues, livres) : 
  • Projet de loi sur les sociétés à responsabilité proportionnelle 1865
  • "Ruchonnet et le Socialisme scientifique" in La Revue socialiste, n°295 - Tome 50            1909
  • Equations de la circulation           1899
  • Equation du taux de revenu net : Section V Théorie de la Capitalisation et du crédit. 23eme leçon Du revenu brut et du revenu net.       1900
  • Académie de Lausanne - Séance académique du 20 octobre 1871 - Discours d'installation 1871
  • Sur la théorie mathématique de l'échange 187
  • Equations de la capitalisation - Mémoire lu à la Société Vaudoise des Sciences Naturelles        1876
  • Economique et mécanique 1909
  • Un initiateur en économie politique A.-A.Walras             1908
  • De la mise en valeur des biens communaux             1918
  • Le socialisme scientifique             1918
  • La paix par la justice sociale et le libre échange             1907
  • Un économiste inconnu : Hermann-Henri Gossen            1885
  • Des billets de banque en Suisse   1871
  • De l'organisation financière et de la constitution légale des associations populaires 1865
  • De l'assurance sur la vie  1879
  • De la culture et de l'enseignement des sciences morales et politiques       1879
  • Bibliographie des ouvrages relatifs à l'application des mathématiques à l'économie politique             1878
  • Theorie des Geldes         1922
  • "Léon Walras à l'Université de Lausanne" in Revue économique et sociale n°4 - 6ème année - Octobre 1948    1948
  • The Geometrical theory of the Determination of Prices            1892
  • Note sur la réfutation de la théorie anglaise du fermage de M. Wicksteed   1896
  • Note sur la Solution du problème monétaire anglo-indien      1887
  • Théorie mathématique du Bimétallisme   1881
  • Note sur la réfutation de la théorie anglaise du fermage de M. Wicksteed          1896
  • Note on the solution of the Anglo-indian monetary problem             1887
  • "Sur les équations de la circulation"             1899
  • "Equation du taux de revenu net"   1900
  • Un nuovo ramo della matematica dell'applicazione delle matematiche all'economia politica 1876
  • La paix par la justice sociale et le libre échange - Tiré à part          1907
  • De l'échange de plusieurs marchandises entre elles      1891
  • De la fixité de valeur de l'étalon monétaire             1882
  • Théorie de la monnaie    1886
  • Francis Sauveur 1858
  • Note sur la Solution du problème monétaire anglo-indien 1887
  • Théorie mathématique de la richesse sociale - quatre mémoires lus à l'Académie des Sciences morales et politiques, à Paris        1887
  • Eléments d'Economie Politique Pure       1926
  • Epreuve Le Travail             1867
  • La Bourse, la spéculation et l'agiotage       1880
 
Notes : 
 
[1] Blaug Mark. Great Economists Before Keynes, Brighton, Wheatsheaf, 1986
[2] Friedman Milton. “Leon Walras and His Economic System” in The American Economic Review, Vol. 45, No. 5, 1955
[3] Dumez Hervé, L'économiste, la science et le pouvoir: le cas Walras. PUF, 1985.
[4] Potier Jean-Pierre et Walker Donald A, La correspondance entre Aline Walras et William Jaffé et autres documents. Economica, 2004

 
[5] Ibid.
[6] ibid
[8] Dockès, Pierre, et Claude Mouchot. « Lire Walras - Des fonds d'archives à l'édition et à la réinterprétation des Œuvres économiques complètes d'Auguste et Léon Walras », Cahiers d'économie Politique, vol. 57, no. 2, 2009, pp. 197-210.
[10] William Jaffé, Léon Walras, correspondence of Léon Walras and Related Papers. North-Holland Publishing Company, 1965.
[12] ibid
[14] Wicksell Knut, Über Wert, Kapital und Rente nach den neueren nationalökonomischen Theorien, Scientia Verlag, 1969
[16] William Jaffé, Léon Walras, correspondence of Léon Walras and Related Papers. North-Holland Publishing Company, 1965.
[17] Jaffé William. "La théorie de la capitalisation chez Walras dans le cadre de sa théorie de l'équilibre général" in Économie appliquée, tome 6, No. 2-3, Avril-Septembre 1953

 
[18] Jacoud Gilles. Stabilité monétaire et régulation étatique dans l'analyse de Léon Walras. In : Revue économique
[19] Ibid.
[20] Léon Walras, « Le problème monétaire anglo-indien », Gazette de Lausanne et Journal Suisse, 24 juillet 1893
[21] Hébert Claude. “Léon Walras et Les Associations Populaires Coopératives.” Revue d'économie Politique, vol. 98, no. 2, 1988
[22] Ibid.
[23] William Jaffé, Léon Walras, correspondence of Léon Walras and Related Papers. North-Holland Publishing Company, 1965, vol.II p. 276


 
 Bibliographie en ligne : 

 
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