En ces temps d'incompréhension entre l'Europe et le monde musulman, si le souvenir d'Isabelle pouvait rapprocher les deux rives de la Méditerranée…
Nous proposons une courte notice sur la vie et l'œuvre passionnantes d'Isabelle Eberhardt, femme, écrivain et convertie à l'Islam (Genève, 1877 - Aïn Sefra, 1904)
A propos des écrits et des biographies d'Isabelle Eberhardt , femme, écrivain et convertie à l'Islam (Genève, 1877 - Aïn Sefra, 1904)
« Un droit que bien peu d’intellectuels se soucient de revendiquer, c’est le droit à l’errance, au vagabondage.
Et pourtant, le vagabondage, c’est l’affranchissement, et la vie le long des routes, c’est la liberté !
Rompre un jour bravement toutes les entraves dont la vie moderne et la faiblesse de notre cœur, sous prétexte de liberté, ont chargé notre geste, s’armer du bâton et de la besace symboliques, et s’en aller!
Pour qui connaît la valeur et aussi la délectable saveur de la solitaire liberté (car on n’est libre que tant qu’on est seul), l’acte de s’en aller est le plus courageux et le plus beau.
Egoïste bonheur, peut-être. Mais c’est le bonheur, pour qui sait le goûter.
Etre seul, être pauvre de besoins, être ignoré, étranger et chez soi partout, et marcher, solitaire et grand à la conquête du monde. »
Aventurière, mystique, écrivain, journaliste, Isabelle Eberhardt est morte noyée à vingt-sept ans dans la crue d'un oued en plein désert. Souvent comparée à Rimbaud, elle suscite les passions depuis un siècle.
Ses écrits, plus de 2000 pages, témoignent du parcours étonnant et du talent de conteuse de cette jeune humaniste éprise de liberté qui se convertit à l'Islam et parcourut le Maghreb en habit de bédouin sous le nom de Mahmoud Saadi.
Pourtant, l’œuvre et la vie d'Eberhardt ne sont pas simples à reconstituer dans leur intégralité comme leur intégrité.
Isabelle Eberhardt a très peu publié de son vivant, hormis dans quelques revues littéraires dont
La Revue Blanche (Cf. notre référence :
Heures de Tunis. In La revue blanche N°218) et dans des journaux locaux comme
El Akhbar (dirigé par Victor Barrucand) ; la plupart de son œuvre a été exhumée des ruines boueuses d'Aïn Sefra après l'inondation qui lui coûta la vie.
Une partie fut retrouvée par le général Lyautey et remise à Victor Barrucand, très proche ami et mentor littéraire d'Eberhardt, qui les publia dès 1905, contribuant ainsi à sa renommée posthume. On compte parmi ces œuvres :
Dans l’Ombre chaude de l’Islam (1906),
Notes de route (1908),
Pages d’Islam (1920) et
Trimardeur (1922).
On reprocha cependant à Barrucand d'avoir très fortement remanié les textes de Eberhardt, au point d'ailleurs de cosigner plusieurs de ses œuvres. Ses intentions étaient pourtant louables: « Je donne mes soins à une œuvre de femme pour qu'elle vive […] j'ai signé en second et me tiens à ce rang. Le nom et la place des auteurs n'ont qu'une importance secondaire. Ils sont à la première page, mais le livre est derrière et parle seul
. » Mais plus qu'une simple "caution littéraire", il transforma l'œuvre de son amie, gommant certains aspects de sa personnalité pour en faire une « Isabelle idéale, sainte du désert, nimbée de mysticisme » (cf. C. Drouot :
V. Barrucand, un indésirable à Alger)
En 1913, l'anarchiste et anticolonialiste Vigné d'Octon s'empara à son tour de cette figure hors du commun en publiant une nouvelle inédite,
Mektoub, prétendument d'Eberhardt. Barrucand en dénonce immédiatement la supercherie, aujourd'hui avérée.
De fait, le reste de l'œuvre, récupéré par Slimane Ehnni, le mari d'Eberhardt, fut conservé jusqu'à ce que ses descendants le cèdent à la veuve du maire de Bône, Chloé Bulhiod, qui charge en 1922 l'éditeur René-Louis Doyon de les publier.
Les documents récupérés par Doyon lui permirent de réaliser la première édition respectant l'intégrité du texte d'Isabelle Eberhardt :
Mes Journaliers, composé à partir de ses carnets de routes et croquis en 1923, puis
Contes et paysages en 1925.
La même année 1923 paraissait également dans la collection des Amis d'Edouard une nouvelle, cette fois authentique :
Amara le forçat.
Parallèlement, la fascination qu'exerce, encore aujourd'hui, la jeune femme sur le monde littéraire suscite de nombreuses biographies plus ou moins documentées accompagnant presque toutes les publications de ces œuvres.
Le destin tragique, la vie à contre-courant du siècle qui s'annonce, l'engagement, la spiritualité et la dualité de cette femme travestie en homme, tout contribue à la mythification de son histoire.
Un premier article biographique (dont nous ne connaissons pas la teneur) paraît dès 1906 dans la revue littéraire marseillaise
Le Feu sous la plume de Francis de Miomandre :
Isabelle Eberhardt et le préjugé des races.
En 1910, la notice biographique par Jean Moréas dans
Variation sur la vie et les livres témoigne des envolées lyriques qu'inspire la jeune femme. Elle s'achève ainsi : « Pauvre charmante Isabelle ! Lorsque pressant les flancs de sa jument blanche, elle galopait dans le désert avec le vent, il lui semblait briser du coup les plus rudes entraves. O misère ! La liberté à cheval ! ».
Bien plus engagée sera celle de Vigné d'Octon,
Isabelle Eberhardt ou la Bonne nomade, lui attirant les foudres de Barrucand et de Doyon comme l'atteste cette appréciation :
« M. Vigné d'Octon, avec la pauvre brutalité du médicastre, la peint à tout prix en nouvelle Héloïse. [...] Aucune de ses assertions ne mérite créance et il suffit d'avoir établi publiquement ses grossières inventions pour ne lui accorder plus d'attention ». (René-Louis
Doyon,
La vie tragique de la bonne nomade, 1923)
L'anarchiste ne manquera pas de lui retourner la politesse :
« Une limace sur la rose. Ancien commis de librairie chez un éditeur en faillite, un cacographe et pisseur d’encre qui se prétend homme de lettres […] un certain M. Doyon, marchand de papier, vaguement éditeur, vient de publier, après les avoir tripatouillé à sa façon une partie de ces papiers. Comme Barrucand, il empochera, sans scrupules, de la galette, beaucoup de cette bonne galette, qui devient de plus en plus rare et précieuse par le temps qui court. » (Pierre Vigné d’Octon, in
La Revue anarchiste, octobre 1923)
En effet, René-Louis Doyon qui, le premier, eut en sa possession les documents permettant de retracer plus objectivement la vie d'Eberhardt, lui consacra de nombreux écrits très documentés et pourtant parfois étonnamment contradictoires. On lui reprocha ainsi de modifier l'ordre des faits et de « varier souvent ses portraits, d'en faire ici une solitaire tragique, là une fille pitoyable, là encore une démente ». (Simone Rezzoug,
Etats présents des travaux sur Isabelle Eberhadt.
En 1930, Raoul Stephan réalise une nouvelle biographie, sérieusement documentée, mais composée comme une fiction à partir des œuvres d'Eberhardt. Son projet est en effet de « conter une histoire pathétique [...] et surtout découvrir l'âme [de] cette fille spirituelle des Chateaubriand et des Loti ».
Etrangement, il faut attendre 1945 et le précieux témoignage de l'écrivain Robert Randau (alias Robert Arnaud) :
Isabelle Eberhardt. Notes et souvenirs pour découvrir une Isabelle moins idéalisée. L'ouvrage cependant très subjectif puisqu'il est composé à partir des propres souvenirs de l'auteur retrace pourtant les quelques moments de la vie d'Eberhardt dont il a été témoin avec plus d'objectivité et plus de modestie que ses prédécesseurs.
Aujourd'hui encore la personnalité d'Eberhardt n'en finit pas de passionner et d'intriguer ses nombreux biographes. Mais en cherchant à percer le mystère de la Bonne Nomade, c'est sans doute plus souvent le biographe qui se révèle que l'insaisissable Isabelle "Mahmoud Saadi" Eberhardt.
Lors de la sortie de la biographie
Nomade j'étais, les années africaines d'Isabelle Eberhardt par Edmonde Charles-Roux, une critique pourtant élogieuse notait à propos de l'ouvrage : « Biographie? Roman? on ne distingue plus les deux genres » et, en guise de conclusion : « Son livre est fascinant parce que c'est aussi elle-même que nous y cherchons – et que nous y trouvons ».
A l'occasion de l'excellente émission Semelles
de vent - Sur les traces d'Isabelle Eberhardt diffusée sur France Culture le 25 juillet 2011, Marie-Odile Delacour remarquait à propos de la liberté de pensée d'Isabelle Eberhardt qu'elle avait fait l'économie du XX
è siècle
e et notamment de ses idéologies. Gageons que sa spiritualité trouvera au XXI siècle un écho qui fera encore couler beaucoup d'encre.
Eléments Bibliographiques d'Isabelle Eberhardt
Nombreux articles dans
El Akhbar entre 1902 et 1904 sous la direction de Barrucand.
Lettre sur son agression à Behima. Publiée le 6 juin 1901 in
La Dépêche algérienne.
Maghreb et Printemps au désert. 19 et 20 juillet 1901 in
Les Nouvelles d'Alger.
Yasmina. En feuilleton à partir du 4 février 1902 in
Le Progrès de l'Est.
Heures de Tunis. Juillet 1902 in
La Revue blanche.
Un article autobiographique sur sa vie et ses aventures publié le 23 avril 1903
in La Petite Gironde.
Fatima-Zohra, danseuse du Djebel Amour. Décembre 1903 in
La Dépêche algérienne.
Une lettre datée du 15 octobre 1901, écrite à l'hôpital d'Aïn Sefra, publiée le 24 octobre 1904 in
Gil Blas.
POSTHUMES:
Dans l'ombre chaude de l'Islam. Paris, E. Fasquelle, 1906. 367 p.
Notes de route : Maroc, Algérie, Tunisie. Paris, E. Fasquelle, 1908.
Pages d'Islam. Paris, E. Fasquelle, 1920.
Trimardeur. Paris, E. Fasquelle, 1922.
Mes Journaliers. La Connaissance, Paris 1923.
Amara le forcat. Edouard Champion, Paris 1923.
Contes et paysages. La Connaissance, Paris 1925.
Rakhil, un roman inédit. La boîte à documents, Paris 1996.
Premiers écrits biographiques sur Isabelle Eberhardt
1906 - Francis de Miomandre.
Isabelle Eberhardt et le préjugé des races, in
Le Feu, Marseille.
1910 - Jean Moréas.
Variation sur la vie et les livres, Mercure de France, Paris.
1913 - Pierre Vigne d'Octon.
Isabelle Eberhardt ou la bonne nomade, Eugène Figuière, Paris.
1923 - René-Louis Doyon.
Sincérité d’Isabelle, préface de
Amara le forçat, Edouard Champion, Paris. 1923 - René-Louis Doyon.
La Vie tragique de la bonne nomade préface de
Mes journaliers, La Connaissance, Paris.
1925 - René-Louis Doyon.
Avant-lire de
Contes et paysages, La Connaissance, Paris.
1930 - Raoul Stephan -
Isabelle Eberhardt ou la révélation du Sahara, Ernest Flammarion, paris. 1938 - Ernest Mallebay -
Isabelle Eberhardt et Victor Barrucand, 50 ans de journalisme, Fontana, Alger.
- - Infortunes et ivresses d’une errante, préface de Au pays des Sables, Sorlot, Paris.
- - Robert Randau - Isabelle Eberhardt: notes et souvenirs, Éditions Charlot, Alger.
1953 -
Isabelle Eberhardt In Encvclopédie mensuelle d'Outre-mer, vol. Ill. fasc. 31. mars 1953.
1956 - Cecily Mackworth -
Le Destin d'Isabelle Eberhardt, Éditions Fouque, Oran.
1961 - Jean Noel -
Isabelle Eberhardt, l'aventureuse du Sahara, Éditions Baconnier, Alger.
1968 - Françoise D'Aubonne -
Vie d'Isabelle Eberhardt, Éditions Flammarion, Paris.
- - Simone Rezzoug - Isabelle Eberhardt, Éditions OPU, Alger.
- - Marie-Odile Delacour et Jean-René Huleu - Sables, ou le roman de la vie d'Isabelle Eberhardt, Liana Levi, Paris.
1988 - Annette Kobak
Isabelle Eberhardt, Vie et mort d'une rebelle, Éditions Calmann-Lévy, Paris. 1989 - Edmonde Charles-Roux -
Un désir d'Orient, la jeunesse d'Isabelle Eberhardt, Éditions Grasset, Paris.
1991 - Mohammed Rochd -
Isabelle Eberhardt, le dernier voyage dans l'ombre chaude de l'Islam, ENAL, Alger.
1995 - Edmonde Charles-Roux -
Nomade j'étais, les années africaines d'Isabelle Eberhardt, Éditions Grasset, Paris.
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