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Hoc volumine continentur ou : Qu'est-ce qu'une librairie ancienne?

Une conception très personnelleUne conception très personnelle

Hoc volumine continentur … 
 
Au cœur du Ve arrondissement de Paris, berceau de l’édition française, la Librairie Le Feu Follet et son site internet Edition-Originale.com proposent 30.000 livres de 1480 à nos jours : une sélection d’ouvrages précieux dans tous les domaines du savoir, qui reflètent leur conception très personnelle de la librairie ancienne.
 
Le Feu Follet est une « librairie de livres anciens ».

Malgré cette appellation spécifique qui nous distingue des libraires classiques, nous ne définissons pas notre profession par l’ancienneté des ouvrages que nous proposons, mais par leur contribution au « patrimoine culturel ». L’expression « livre ancien » ne désigne pas ici celui qui a traversé le temps mais plutôt celui est traversé par le temps, cette dénomination n’exclut donc nullement les œuvres contemporaines.
 
Dans une société qui voit succéder à l’ère de la reproductibilité et de l’hyper-industrialisation celle de la dématérialisation, l’objet livre s’affirme comme le symbole de la pérennité de la pensée humaine et le « livre ancien » comme sa matérialisation physique.
Aussi, l’opposition entre les métiers de libraire de livres anciens et libraire de livres neufs, n’est-elle pas, à notre avis, suffisamment pertinente. Au «neuf» ne s’oppose en réalité que l’«occasion», entendue comme une alternative économique.

Le libraire de livre neuf est un prescripteur autant qu’un diffuseur. Son métier ne se résume pas à présenter l’actualité éditoriale, mais consiste à proposer parmi les publications du moment, un choix de textes dans des éditions plus ou moins luxueuses, selon ses goûts et ceux de sa clientèle.
Le libraire d’occasion procède également comme un sélectionneur de talents : en plus des grands classiques, il offre aussi une seconde chance à des auteurs qui n’ont pas eu l’heur de plaire à leurs contemporains, et qui trouvent ici, en marge de la course à la séduction immédiate, une temporalité plus propice à leur pensée complexe ou décalée.
La librairie ancienne, quant à elle, résulte, selon nous, d’une logique fondamentalement différente. Elle se fonde sur un postulat hérité de l’invention de l’imprimerie : celui de la relation symbolique essentielle qu’entretiennent l’œuvre écrite et son support.

Notre vocation n’est pas de faire découvrir un auteur, ni de diffuser un texte auprès du plus grand nombre. Les livres que nous présentons sont déjà passés par le feu des critiques et ont déjà subi les caprices de la mode et des passions conjoncturelles. Certains des auteurs proposés sont ainsi entrés définitivement dans le Panthéon littéraire, tandis que d’autres sont restés l’apanage de quelques lettrés.
Tous pourtant ont été lus passionnément par l’un ou l’autre de ces lecteurs. Chacun des exemplaires qui nous sont parvenus ont dès lors été précieusement conservés, certains habillés d’une reliure de prestige, d’autres sobrement préservés. Ils ont ensuite été transmis, d’amateur en collectionneur, de chevet en bibliothèque, de génération en génération, souvent de bibliophiles aguerris en jeunes amoureux du livre.
Et si ces exemplaires traversent les époques, résistent aux destructions et se moquent des rééditions, c’est parce qu’ils tissent avec leur auteur et leur lecteur un lien particulier qui les soustrait à l’infini reproductibilité.
Notre travail de libraire consiste donc à rechercher et prélever parmi la multiplicité des ouvrages ces livres particuliers qui incarnent la pensée dont ils sont le support.

A l’heure de la tablette numérique, l’idée que l’œuvre puisse être liée à sa matérialisation peut paraître incongrue.
Pourtant, depuis l’invention de l’imprimerie jusqu’au début du XXème siècle, il s’agissait d’une évidence pour l’ensemble des lecteurs qui, à l’inverse, ne pouvaient concevoir la dichotomie actuelle.
Le livre n’était alors pas un simple « support » de la pensée, il en était le vecteur unique.
De la qualité de cet objet dépendait l'impact de l'œuvre et par là même son « existence » nouvelle. Or, en ces premières années de Renaissance, c’est toute la jeune pensée humaniste qui allait devoir s’inventer une forme.

Les coûts de réalisation d’un ouvrage, les risques financiers et politiques, l’immense incertitude de l’entreprise éditoriale ont placé, dès l’origine, les libraires au cœur d’une des plus grandes aventures intellectuelles de l’humanité. 
A son origine, le métier de libraire ne comprend pas encore de division comme aujourd’hui et englobe également celui d’imprimeur et d’éditeur. Les trois corps de métier resteront intimement liés jusqu’à la révolution industrielle du XIXème siècle qui conduira à une spécialisation des différents acteurs du livre. (Moins perceptible, la scission entre la librairie ancienne et la librairie moderne ne s’achèvera qu’au cours du XXème siècle avec notamment l’apparition du livre bon marché.)

Entre 1455, date approximative de la première impression à Mayence, par Gutenberg Fust & Schoeffer, d’une Bible dont le relatif échec provoquera la séparation des associés (et la ruine de Gutenberg) et 1500, fin de la période de maturation de cette invention, les ateliers d’imprimerie se seront répandus dans toute l’Europe et plus d’un million de livres seront imprimés et vendus dans les échoppes de ces nouveaux détenteurs du savoir.
En moins de 50 ans, de jeunes apprentis imprimeurs, tous novices et tous concurrents, inventent et perfectionnent le livre, jusqu’à lui donner une forme qui restera pratiquement inchangée jusqu’à aujourd’hui.

C’est tout particulièrement autour de la fonte des caractères que se jouent les premières rivalités intellectuelles et économiques. Entre la lettre gothique à l’élégance complexe qui perdurera pendant des siècles en Allemagne, et la police romane, simple et lisible, inspirée des proportions du corps humain, qu’adoptent les humanistes, on dénombre de multiples tentatives d’influer sur l’œil du lecteur, dont la superbe Aldine, ce caractère incliné inventé par le célèbre imprimeur vénitien Alde et que l’on connaît aujourd’hui sous son appellation générique : « l’italique ».
Simultanément apparaît la « page de titre » inventée à la fin du XVème pour remplacer le colophon, qui traditionnellement indiquait aux dernières lignes de l’ouvrage, l’auteur, l’éditeur, la date et même parfois une sorte de titre, puisque celui-ci ne figurait pas en tête des ouvrages qui commençaient généralement par une formule récurrente telle que « Hoc volumine continentur » (« Ce volume contient »).
Cette intronisation en première page des informations techniques du livre révèle l’importance acquise par ces nouveaux acteurs politiques et culturels.

Leur pouvoir n’échappe pas à l’Etat qui va très rapidement prendre des mesures pour contrôler la diffusion des idées nouvelles : privilège, censure, contrôle du papier, interdictions d’exercer, bannissements, autodafés des livres et des libraires. En réponse, ces derniers vont développer de nouvelles stratégies de défense : format de poche, faux noms et fausses adresses d’éditeurs, diffusion transfrontalière…
Aujourd’hui encore, la « forme » d’un livre ancien constitue un des plus précieux renseignements sur le statut de l’œuvre et la relation qu’elle entretenait avec la société contemporaine. Police de caractère, qualité du papier, format de l’ouvrage, illustrations, tirage… les politiques éditoriales différaient entre une édition destinée à l’aristocratie et un opuscule contestataire diffusé sous le manteau.

Lire une œuvre dans sa condition d’origine, voulue ou du moins admise par l’auteur, c’est admirer la Madone des Pèlerins du Caravage dans la chapelle pour laquelle elle fut réalisée. Ce n’est qu’ainsi que l’on découvre que la figure immédiatement accessible de l’œuvre n’est ni le visage de la vierge, ni le corps de l’enfant Christ, mais la plante des pieds sales des pèlerins, devant lesquels les fidèles s’agenouillaient ; hypotypose qui n’est sans doute pas la finalité de l’œuvre mais qui induit un « sens de lecture ». Il en est de même pour le livre ancien dont la forme originelle n’est pas plus fortuite puisqu’elle oriente le lecteur et donc sa réception de l’œuvre.
Quelle que soit la transcendance d’une œuvre, elle s’exprime toujours à travers un corps qui fait sens et influe sur la perception des lecteurs autant qu’il reflète cette société de lecteurs.

Les éditions originales du saltimbanque Jean-Baptiste Poquelin sont de petits in-12 publiés à moindre frais. Dix ans après son enterrement en fosse commune, la première réunion des œuvres complètes de Molière en 1682 n’est pas plus grande et illustrée de gravures anonymes. Mais en 1734, à peine cinquante ans plus tard, la prestigieuse édition de Prault imprimée au format in-4 et illustrée par François Boucher est, aujourd’hui encore, considérée comme l’une des plus belles réalisations éditoriales du XVIIIe siècle. Ces premières éditions – si elles n’ont pas été tardivement réétablies - ne se trouveront qu’en très modestes reliures d’époque, tandis que les dernières seront, dès leur parution, richement habillées des plus belles peaux de veau ou de maroquin.

Les reliures – réalisées par des artisans selon les vœux et la fortune de chaque acquéreur – participent à leur tour du dialogue silencieux qu’entretiennent l’auteur et son lecteur et dont chaque exemplaire porte ainsi la trace unique.
Au lien naturel entre le livre et la pensée se greffe alors un second élément fondamental pour le libraire : le devenir de l’objet livre.

Le livre est, par sa reproductibilité, un objet multiple. Pour nous, les livres deviennent pourtant des objets uniques, des exemplaires ayant chacun leur propre histoire. Exemplaire offert par l’auteur et dédicacé à un proche, établi par un artiste-relieur, d’illustre provenance, sauvé d’un autodafé… Bien entendu, les histoires d’une édition et celles d’un exemplaire constituent la plupart du temps de simples anecdotes qui ne concernent souvent que leur propriétaire : c’est la « valeur sentimentale » qui ne dépasse pas le cadre intime de la relation privée du lecteur avec son livre.
Cependant, lorsqu’un vieil écrivain aviateur exilé de son pays en guerre réalise un conte pour enfant à New-York puis, étant reparti au combat avant même sa publication, trouve dans un pays où tous ses livres sont interdits, un exemplaire rapporté d’Amérique par un aumônier résistant et offre aux enfants de celui-ci l’un des deux seuls exemplaires connus qu’il put dédicacer avant d’être abattu au large de Marseille, l’anecdote d’Antoine et de ces deux gamins d’Alger, rencontre alors l’Histoire de Saint-Exupéry et du Petit Prince, le livre le plus lu et traduit après la Bible. Et ce modeste exemplaire de second tirage devient une trace unique et précieuse de l’histoire littéraire du XXème siècle.
La similitude des exemplaires rend parfois ardu le travail d’investigation qui permet de distinguer ces traces et de restaurer l’unicité d’une pièce et son importance historique. Mais c’est sans doute, avec la quête elle-même de ces œuvres originales perdues parmi la profusion des livres et des bibliothèques, l’une des principales motivations de notre librairie.

Il en est ainsi d’un exemplaire de poésie témoignant de l’humanisme du révolutionnaire le plus injustement décrié, Guillotin. Cet ouvrage, un des très rares vestiges de la bibliothèque personnelle de Guillotin avec son ex-libris manuscrit, est l’œuvre d’un poète allemand qui se révèle être également un scientifique et le premier à avoir effectué des recherches sur les conséquences de la décapitation qui ont inspiré le député pour sa défense du droit des condamnés à mourir sans souffrance.

Le discret « hommage de l’auteur » autographe d’Alain-Fournier sur un des très rares exemplaires de luxe du Grand Meaulnes à une femme mariée cache, quant à lui, l’unique histoire d’amour « partagé » du jeune écrivain fauché par la guerre quelques mois plus tard.

D’autres amours secrets ou interdits affleurent sous d’énigmatiques envois autographes :

- Amour doublement adultère révélé par cette dédicace à Juliette Drouet par son amant Victor Hugo qui, sur le premier exemplaire - toujours le premier - de Actes et Paroles, remplace son habituelle envolée lyrique par une surprenante tristesse… parce qu’elle vient d’apprendre qu’il la trompait depuis des mois.

- Amour de jeunesse, caché sous la simplicité d’une pieuse dédicace d’un vieux franciscain à une comtesse : celui de Franz Liszt et de sa première maîtresse Adèle de la Prunarède qui hantera la relation du compositeur et de sa muse Marie d’Agoult.

- Amours contrariées de Sartre pour la jeune Olga qui lui préfère… Simone de Beauvoir.

- Amitiés particulières de Cocteau pour Radiguet qui, jouant sur le titre de leurs œuvres, lui offre une Carte blanche en échange de ses Joues en feu. Ou de Balzac dont l’une des rarissimes dédicaces est adressée à son ami Laurent-Jan, si proche qu’on leur prête plus que de l’amitié…

Don éminemment signifiant et personnel, l’envoi – comme l’on nomme la dédicace autographe sur une œuvre originale – met à nu la relation intime entre un auteur et son dédicataire.

Orgueil de la dédicace de Proust sur son Swann à Lucien Descaves, éminent membre de l’Académie Goncourt, preuve que, malgré ses dénégations, le modeste Marcel aspirait en fait au Prix dès le premier tome de sa Recherche.
Amitié indéfectible de Camus pour le poète résistant René Char sur l’exemplaire des Justes : « à René Char, frère de ceux-ci, dont il a fait toute la route, avec l'admiration et l'affection de son ami. »
Amitié acerbe de Léon Bloy pour son jeune admirateur Georges Rouault, dont il détestait le style : « Rien pour son art - Il n'y a pas de caricature ».
Ressentiments littéraires de Céline pour son détracteur de la première heure : « A Gonzague Truc qui me déteste... »
Emancipation intellectuelle d’André Gide, ancien disciple de Maurice Barrès, qui après avoir sévèrement jugé son maître lui adresse sur Amyntas un déférent mais définitif « amical souvenir ».

Le travail du libraire n'est donc pas de valoriser une œuvre, mais de mettre en exergue l’exemplaire qui, parmi tous les livres, entretient avec le texte qu’il véhicule un lien historique autant que symbolique.


Valeur dévoilée donc plutôt que valeur ajoutée, le livre, objet d’infinie reproductibilité, se voit ainsi restituer sa singularité d’œuvre d’art. Archéologue du livre, le libraire extrait de la multiplicité un objet signifiant et réintroduit ainsi dans le patrimoine culturel physique la pensée immatérielle dont procède le livre.

 
 
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