Un portrait inédit par Edmund Engelman, signé par le photographe
Réalisé en mai 1938, ce portrait inédit ne fut tiré qu’après-guerre lorsque les négatifs de cette incroyable et ultime séance photographique, organisée malgré la surveillance constante de la Gestapo, furent retrouvés grâce à Anna Freud.
Ce très rare portrait photographique du fondateur de la psychanalyse, pourtant pris quelques jours avant son exil à Londres et laissant apparaître les stigmates d'un cancer qui lui sera fatal, est l'unique image de lui laissant apparaître un sourire.
Cent-six clichés furent réalisés lors de cette visite clandestine du jeune photographe juif Edmund Engelman au 19 de la rue Berggasse à Vienne. Parmi celles-ci, on connaît beaucoup de photographies représentant le cabinet et les œuvres d'art du psychanalyste, mais l'artiste ne réalisa que quelques portraits du maître. Cette séance photographique fut réalisée à la demande d'August Aichhorn et témoigne des derniers instants du berceau de la psychanalyse, discipline désormais interdite sous le régime nazi : « Le dimanche 13 mars, une séance du comité de direction de la Société Viennoise de Psychanalyse a lieu et deux décisions sont prises : tous les membres de la Société doivent quitter le pays le plus rapidement possible et le siège de la Société devra se trouver à l'endroit où Freud s'installera. » (« August Aichhorn et la figure paternelle : fragments biographiques et cliniques » in
Recherches en psychanalyse n°1, 2004)
Edmund Engelman dans son ouvrage intitulé
La Maison de Freud Berggasse 19 Vienne paru en 1979 raconte : « Je me rappelle à la fois ma surexcitation et ma peur, ce matin pluvieux de mai 1938, comme je marchais dans les rues désertes de Vienne en direction du 19, Berggasse. Je transportais mes appareils, mon trépied, mes objectifs et mes pellicules dans une petite mallette qui paraissait s'alourdir à chacun de mes pas. J'étais persuadé que n'importe qui saurait à me voir que j'allais chez le Dr Sigmund Freud, pour accomplir une mission dont les nazis n'auraient guère apprécié la teneur. […]
J'avais peur qu'il n'y eût pas assez de lumière pour bien photographier l'intérieur de la maison de Freud. Recourir au flash ou aux projecteurs était hors de question, puisque la Gestapo maintenait la maison sous surveillance constante. Ce document unique sur l'endroit où Freud avait vécu et travaillé au mois des quarante années passées, il faudrait l'exécuter sans éveiller le moindre soupçon. Je craignais pour ma propre sécurité comme pour la vie des Freud, et ne voulais pas me compromettre par un faux pas, alors qu'ils étaient si près de quitter Vienne sains et saufs. […] Un weekend de 1933, j'eus le plaisir de rencontrer dans la résidence d'été d'un ami, en dehors de la ville, un certain August Aichhorn qui s'intéressait de près au champ extrêmement controversé de la psychanalyse et était, à ma vive curiosité, un intime du célèbre professeur Freud. […] Nous fûmes très vite bons amis. […] Il me confia que Freud, après un terrible harcèlement (perquisition des nazis chez lui, détention de sa fille Anna), avait finalement reçu la permission de partir pour Londres, grâce à l'intervention de hautes personnalités et de diplomates étrangers. Les Freud, me dit-il, se mettraient en route dans les dix jours.
Le célèbre appartement et ses bureaux allaient être bouleversés à l'occasion du déménagement et du départ des propriétaires. Nous tombâmes d'accord sur le fait qu'il serait du plus grand intérêt pour l'histoire de la psychanalyse de réaliser un témoignage précieux et détaillé de l'endroit où elle avait vu le jour, afin, selon l'expression courageuse d'Aichhorn, qu'« on puisse ériger un musée quand l'orage des ans sera dissipé ». […] Connaissant mon intérêt et ma qualité de photographe, il me demanda si je m'estimais en mesure de prendre des clichés de la maison de Freud. Je fus enthousiasmé […] Par-dessus tout, j'étais impatient de connaître Freud qui s'était alors retranché dans sa vie privée et entretenait peu de relations avec le monde extérieur. » (Engelman,
La Maison de Freud Berggasse 19 Vienne, 1979) Le photographe explique ensuite que Freud, très affaibli par la maladie, était censé être absent lors de la séance photographique, pourtant « Le lendemain – troisième jour – tandis que je m'apprêtais à prendre quelques clichés complémentaires du bureau (éprouvant là pour la première fois un sentiment de routine), j'entendis de petits pas rapides se rapprocher. C'était Freud. Il avait modifié son trajet habituel inopinément et, revenant dans sa pièce de travail, m'y avait trouvé. Nous nous regardâmes avec un égal étonnement.
J'étais troublé et confus. Il parut inquiet, mais demeura calme et placide. Je ne savais tout simplement pas quoi lui dire et restai muet. Fort heureusement, Aichhorn parut alors dans la pièce, et jaugea tout de suite la situation. Il expliqua à Freud l'objet de mon travail et me présenta. Nous nous serrâmes la main, évidemment soulagés. […] Je lui demandai si je pouvais le photographier. Il y consentit gentiment et me pria de continuer mes prises de vue comme il me plairait. […] Je proposais même, si ce pouvait être utile, et pour éviter tracas ou perte de temps, d'exécuter les photos nécessaires aux passeports. […]
Freud à ma demande, regarda légèrement de profil, ôta ses lunettes, et réagit par un sourire à l'une de ces remarques que font les photographes lorsqu'ils se préparent. »
La photographie décrite par Engelman est sans conteste celle que nous proposons. Malgré la description très détaillée de cet inhabituel cliché, il n'a pas été conservé pour l'illustration de l'ouvrage.
Très beau portrait du fondateur de la psychanalyse, réalisé en mai 1938, peu de temps avant son départ de Vienne vers Londres.
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La Maison de Freud, Berggasse 19 Vienne