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Supplément bibliographique sur l'édition originale des Fleurs du Mal de Baudelaire

Supplément bibliographique sur l'édition originale des Fleurs du Mal de BaudelaireSupplément bibliographique sur l'édition originale des Fleurs du Mal de Baudelaire
Supplément bibliographique sur
l'édition originale des Fleurs du Mal de Baudelaire


 
L’édition originale de cette œuvre majeure de la poésie française est une des pièces bibliophiliques les plus universellement recherchées et, par conséquent, de plus en plus difficile à acquérir. Ce fut le cas dès sa parution, comme le révèle une note sur l’exemplaire de Poulet-Malassis précisant que le prix des Hollande avait sextuplé en quelques mois à peine. 

A l’instar de quelques autres jalons de la littérature, l’importance capitale de ce sommet de la poésie ont conduit les amateurs - en quête de la condition originelle de l’œuvre - à s’intéresser à la complexe aventure éditoriale de sa première parution.
Si un remarquable travail bibliographique a déjà été accompli sur le sujet, on aurait tort de croire que la question est définitivement close. 

Il est aujourd'hui encore complexe de comprendre toutes les nuances caractérisant les étapes du tirage de l'édition originale des Fleurs du Mal.
Nous proposons ici à l'attention des chercheurs et bibliophiles de nouvelles informations bibliographiques qui permettront de distinguer d'autres états que ceux définis jusqu'à aujourd'hui. 
 
***
 
 
  • Etat actuel des connaissances bibliographiques générales

L'édition originale des Fleurs du mal a été imprimée en 1857 chez Poulet-Malassis et De Broise à 1300 exemplaires sur vélin d'Angoulême, dont au moins 200 ont été expurgées de six pièces à la suite du procès intenté à Baudelaire et Poulet-Malassis pour « outrage aux bonnes mœurs et à la morale publique ». 
 
Les pièces condamnées dans les Fleurs du mal de Charles Baudelaire : Lesbos. Femmes damnées. — Delphine et Hippolyte. Le Léthé. À celle qui est trop gaie. Les Bijoux. Les Métamorphoses du Vampire.

Elles ont été découpées directement dans les exemplaires en librairie. Il n’y a pas eu de nouvelle impression.
Il a été en outre tiré 20 exemplaires sur papier de Hollande, la plupart dédicacés par Baudelaire.
Un petit nombre indéterminé d’exemplaires a été imprimé à la date de 1858 (mais sans doute en même temps que les autres exemplaires).
 
Le corps du texte. Le tirage de l'édition originale présente des fautes typographiques qui sont souvent décrites comme des caractéristiques du premier tirage, bien qu'elles soient en réalité communes à l'ensemble du tirage :

- "feurs du mal" aux pages 31 et 108 :

                Faute à Feurs du Mal Baudelaire Fleurs du Mal 1857


- Erreur de pagination p. 45 marquée 44 :

                Erreur de pagination Baudelaire Fleurs du mal 1857
 
- Plusieurs fautes dans le texte que Baudelaire a découvertes au fur et à mesure du tirage et qu’il a corrigé à la main sur quelques précieux exemplaires.

Il n'a été détecté jusqu'alors qu'une seule variation en cours de tirage, qui concerne la faute d'impression "s’enhardissent" pour "s’enhardissant". Corrigée presque immédiatement, cette coquille ne subsiste que dans un nombre infime d’exemplaires.

 
Fleurs du mal 1857 correction manuscrite de Baudelaire
Faute à "s'enhardissant" corrigée
à la main par Baudelaire
Exemplaire du tirage courant avec
la coquille "s'enhardissent" corrigée



C’est, comme à son habitude, au crayon, que Baudelaire corrigea immédiatement cette coquille sur les premiers exemplaires qu’il eut en main, avant de faire modifier l’impression.

Cette coquille, absente des épreuves corrigées conservées à la BN, est le fait des imprimeurs qui ajoutèrent sur ce premier cahier de nombreuses erreurs dont la plupart furent notifiées avant impression par Baudelaire, comme en témoignent plusieurs lettres à Poulet-Malassis : « Je viens de recevoir la première feuille. J’espère qu’elle n’est pas tirée, car vos ouvriers y ont introduit des fautes nouvelles, telles que points pour poings, etc. » (4 avril 1857) (« Décidément ne faites pas corriger une feuille avant de me l’envoyer. Cela ne sert qu’à introduire des fautes » (14 mai 1857)
La faute à « s’enhardissant » dut échapper, dans un premier temps, à sa vigilance et elle ne fut corrigée qu’après le début du tirage.


Les couvertures. Louis Carteret, et à sa suite Robert Desprechins ont distingué quatre états des couvertures, à partir desquels ils ont déduit une chronologie :

- 1er état : le prix au dos est de 5 francs au lieu de 3 francs. Sur le second plat, "Henri" au lieu de "Henry" de la Madeleine. Dates de Jean de Schelandre sont "1385-1636" au lieu de "1585-1636". Le prix de l'Histoire du sonnet est en caractères ronds et non anguleux. Le "f" de Odes funambulesques est composé en capitales et non en petites capitales.
"Olympe" est orthographié "Olymphe".

- 2ème état : fautes similaires, prix de 3 francs.

- 3ème état : sans les fautes du premier et du deuxième état.

- le 4ème état est une refonte totale du deuxième plat, qui comprend quatre paragraphes et intègre l'annonce des Fleurs du mal dans le paragraphe "Bibliothèque moderne".

- Carteret précise que sur le dos des exemplaires sur Hollande le prix est de 6 francs sans préciser l'état du deuxième plat de ces exemplaires. Il s'agit en fait du "troisième état" comme on peut le voir sur l'exemplaire numérisé de la BN.
 
 
BAUDELAIRE Fleurs du mal sur Hollande Exemplaire Pincebourde
Deuxième plat de couverture
Exemplaire Pincebourde
 

Carteret mentionne également que les exemplaires sur vergé sont plus grands que ceux sur papier ordinaire (195 mm au lieu 184 mm). Cependant dans les exemplaires sur papier courant que nous possédons - qui sont reliés - les pages et les couvertures mesurent 189 mm.

Tels sont les éléments bibliographiques qui ont été jusqu'alors répertoriés pour différencier les états de l'édition originale des Fleurs du mal de Baudelaire.

 
  • Quelques éléments nouveaux

Le corps du texte. Les bibliographes annoncent généralement la rectification de « s’enhardissant » comme la seule réalisée en cours de tirage.
Or il apparaît que certains exemplaires, et notamment ceux du premier tirage, présentent d’autres particularités qui n’apparaîtront plus sur la plupart des 1300 exemplaires de l’édition originale.

Ainsi, au revers de la page de faux-titre, quatre éléments présents par exemple dans l'exemplaire de premier tirage sur lequel nous avons travaillé vont disparaitre successivement pendant le tirage :
 
Baudelaire Fleurs du mal premier tirage 1857 avertissement Baudelaire Fleurs du mal sur Hollande 1857 avertissement
Avertissement de l'exemplaire
de premier tirage
Avertissement de
l'exemplaire Pincebourde


- « Les Editeurs » porte un accent sur le « E ».
- Un espace sépare « Ils poursuivront » de la virgule qui le suit.
- « toutes contrefaçons et toutes traductions » deviendra par la suite « toutes contrefaçons et traductions ».
- « Les traités » ne prend pas encore de capitale.

Les corrections typographiques n’apparaîtront pas toutes en même temps. Ainsi certains exemplaires présentent toutes ces caractéristiques sauf l’espace avant la virgule, d’autres sont entièrement corrigés mais cet espace est réapparu et un autre espace est ajouté après « Lois » (ce qui homogénéise la charte typographique de la page).


   
Fleurs du mal Charles Baudelaire 1857 Fleurs du mal Charles Baudelaire 1857
Un état précoce des
corrections de l'avertissement
Avertissement avec
fautes corrigées

     

De même, la page de titre présente plusieurs variantes plus ou moins nettes :

- L’absence de point et de parenthèse fermante après « Les Tragiques, liv. II » qui caractérise notre exemplaire sera corrigée sur la plupart des exemplaires.

                            

- L’espace entre le « 4 » et la virgule de l’adresse de Poulet-Malassis n’est pas encore présent sur ce premier tirage, mais apparaitra indépendamment de la correction précédente sur d’autres exemplaires.
- Enfin l’approche (espacement des caractères) du nom de l’éditeur diffère selon les pages de titre. Sur le premier tirage, la mention « Poulet-Malassis et De Broise » s'étend sur 4,6 cm tandis que dans les tirages suivants elle occupe 4,8 cm.


                               
                               

Les autres exemplaires que nous avons pu consulter ne présentent pas une homogénéité des corrections, et l’on constate plusieurs états de la page de titre avec l’une ou plusieurs corrections.

                          
Baudelaire Les Fleurs du mal 1857 Page de titre        Charles Baudelaire Fleurs du Mal
Exemplaires du tirage courant


Un recensement complexe de ces modifications reste donc à entreprendre. Notons seulement que l'exemplaire sur Hollande que nous avons consulté présente les caractéristiques typographiques de notre exemplaire à l’exception de la faute à « s’enhardissant ».

                                      

Les couvertures. Les couvertures présentent également d'autres différences que celles relevées entre autres par Carteret :

Sur le deuxième plat, en plus des cinq fautes déjà évoquées, on constate dans le deuxième état des caractéristiques qui sont absentes du troisième.

- les parenthèses qui encadrent "d'après ses papiers et sa correspondance", ligne 2, sont séparées de leur contenu par un espace
- accent circonflexe sur "numérotés", ligne 9
- pas d'espace entre le point et le tiret, ligne 12
- seulement trois points ligne 13, et 17 points ligne 18
- espaces avant les virgules ligne 14
 
Le premier plat comporte également des différences que n’ont pas relevées les bibliographes.

Ainsi, certaines des caractéristiques de la page de titre que nous avons listées  se retrouvent à l'identique sur le premier plat des couvertures du « troisième état » à savoir : absence de parenthèse fermante, absence d'espace après le 4 dans l'adresse, approche des caractères du nom de l'éditeur de 4,6 cm.
Notons que ce « troisième état » semble toujours couvrir les exemplaires de première presse et les exemplaires sur Hollande (à cette différence que sur le dos des Hollande le prix  est de 6fr - au lieu de 3fr -).

                    
Couverture des Fleurs du Mal de Baudelaire 1857, premier tirage Couverture des Fleurs du Mal de Baudelaire 1857 sur Hollande
Couverture exemplaire
de premier tirage
Couverture d'un exemplaire sur
papier de Hollande


Les couvertures ayant été tirées après le corps de l’ouvrage – du moins, si l’on se fie à la correspondance de Baudelaire – il est difficile de tirer des conclusions de cette corrélation entre le premier tirage et le troisième état de la couverture.
Mais cela ouvre aux conjectures.

Pourrait-on supposer que la succession des états n’est pas celle que l’on croit et qu’à l’instar du premier cahier, les fautes n’ont pas été corrigées durant le tirage mais, au contraire, « introduites » par les ouvriers de l’imprimerie, comme elles l’ont été dans le corps du texte, après les épreuves ?
S’il apparaît évident que la couverture présentant Les fleurs du mal dans ses annonces constitue bien un dernier état, qu’en est-il des trois autres ?
Si la succession n’est déterminée que par l’hypothèse que la version fautive précède nécessairement la version « corrigée », on peut s’étonner qu’une nouvelle imposition ait pour motivation des corrections aussi minimes tout en ajoutant des coquilles plus importantes comme la parenthèse non refermée sur le premier plat.
De même, la question du prix sur le premier état devrait être résolu. Il parait peu probable que 5 francs fut un prix décidé par les éditeurs pour le tirage courant alors que le Hollande était à 6 francs. Un franc d’écart pour un tirage à 1300 exemplaire et un tirage à 20 exemplaires, serait pour le moins surprenant. Donc si la couverture à 5 francs est un premier état, il s’agit vraisemblablement d’une « erreur de prix » qui aurait alors été corrigée par l’éditeur indépendamment des autres « fautes ».

Une autre hypothèse peut être avancée :
L’ordre des états n’est pas celui qu’on pense. La composition la plus rigoureuse de la couverture serait la première version (avec pour seule erreur véritable l’absence de fermeture de parenthèse) et les autres fautes auraient été ajoutées lors d’une deuxième composition réalisée pour une raison annexe à la qualité typographique de cette couverture. Cette raison reste à trouver mais elle pourrait avoir un lien avec le procès des Fleurs du mal.

De nombreuses questions restent en effet en suspens à propos de l’impression et de la diffusion de cette œuvre, pourtant majeure dans la littérature française. Ainsi présente-t-on souvent les exemplaires non expurgés comme des exemplaires vendus avant la « ridicule intervention chirurgicale » (pour reprendre l’expression de Baudelaire) opérée par Poulet-Malassis sur les 200 exemplaires encore disponibles. En réalité, la correspondance de Baudelaire, comme celle de Poulet-Malassis, révèle que la vente fut loin d’être aussi fulgurante et que la plupart des exemplaires ont tout simplement été retirés et « mis en lieu sûr » par l’auteur et l’éditeur : « Vite cachez, mais cachez bien toute l’édition ; vous devez avoir 900 exemplaires en feuilles.  – Il y en avait encore 100 chez Lanier ; ces messieurs ont paru fort étonnés que je voulusse en sauver 50, je les ai mis en lieu sûr […]. Restent donc 50 pour nourrir le Cerbère Justice. » écrit Baudelaire à Poulet-Malassis le 11 juillet 1857. Son éditeur s’est exécuté immédiatement en répartissant son stock chez divers « complices » dont Asselineau auquel il écrit, le 13 juillet : « Baudelaire m'a écrit une lettre à cheval que j'ai reçue hier et dans laquelle il m'annonce la saisie. J'attends à le voir pour le croire, mais à tout événement nous avons pris nos précautions. LES EX. SONT EN SURETE et profitant de votre bonne volonté nous mettrons aujourd'hui au chemin de fer... une caisse contenant 200 ex. en feuilles que je vous prie de garder jusqu'à mon prochain voyage... »

Nous n’avons pas trouvé de trace du retour à la vente de ces exemplaires mis en réserve.
Pourrait-on établir un lien entre ces exemplaires non brochés (« en feuilles ») et les divers tirages de la couverture ? Une réimposition liée à cet évènement nous parait une raison plus congruente que les corrections à peu près insignifiantes entre lesdits « deuxième » et « troisième » états.

Ainsi serait remis en cause l’ordre chronologique des états de la couverture qu’aucun élément concret ne permet d’établir avec certitude. La corrélation entre les états de la page de titre que nous avons relevés et ceux du premier plat de couverture constitue peut-être une bonne piste de réflexion. 

Les exemplaires cachés ont-ils d’ailleurs tous été remis en vente intacts, malgré le jugement l’interdisant ? La rareté des exemplaires de l’édition originale des Fleurs du Mal pourrait laisser soupçonner une disparition, au moins partielle, des exemplaires non vendus et soustraits à la censure. 
L’étude approfondie reste à mener et nécessiterait de comparer les exemplaires dédicacés par Baudelaire et ceux qu’il a corrigés que l’on pourrait éventuellement dater. De même, une comparaison des couvertures des Fleurs du mal avec celles des autres publications de Poulet-Malassis en 1857 permettrait peut-être de déterminer si le type d’erreurs du deuxième plat sont récurrentes ou accidentelles. Enfin une comparaison plus systématique des revers de page de faux-titre et de pages de titres permettrait sans doute de relever le nombre d’état de ce cahier et l’ordre des impositions.

Cependant la raréfaction des exemplaires rend le travail de comparaison - indispensable à cette recherche - de plus en plus difficile à conduire.

 
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