Camille SAINT-SAENS
Partition autographe signée et inédite proche des mélodies persanes
novembre 1870, 33,2x24,5cm, un bifeuillet.
Partition autographe signée et inédite de Camille Saint-Saëns. Deux pages de musique manuscrite pour voix seule et piano à l'encre noire sur un bifeuillet oblong à vingt portées, enrichies d'un envoi autographe signé de Saint-Saëns sur la première page, avec sa signature et date autographe ("nov. 1870") à nouveau sur la seconde page.
Trace de pli vertical, avec une minuscule déchirure le long du pli, une petite déchirure marginale sur 1 cm de la première page, sans atteinte au manuscrit.
Exceptionnel manuscrit autographe d'une mélodie inédite pour voix et piano proche des Mélodies persanes, composée par Camille Saint-Saëns pendant le siège de Paris en novembre 1870, enrichie d'un envoi signé : « A Geneviève Bréton / Hommage de respectueux dévouement », signé et daté sur la deuxième page « Nov 1870 C. Saint Saëns ». Les paroles de l'oeuvre sont directement inspirées par sa dédicataire, la fiancée du peintre et ténor Henri Regnault, « le plus musicien de tous les peintres » (cf. Saint-Saëns, Ecole buissonnière) qui fut le premier interprète de plusieurs autres Mélodies persanes.
***
Geneviève Bréton, femme cultivée et passionnée, fréquentait les salons littéraires et artistiques des compositeurs, peintres, et jeunes poètes parnassiens de sa génération. Saint-Saëns fit probablement sa connaissance par l'intermédiaire de son ami le peintre orientaliste Henri Regnault, lauréat du prix de Rome, dont elle était tombée éperdument amoureuse en 1867 en Italie.
Beau jeune homme déjà célèbre pour son pinceau, Regnault fascina le compositeur par son « exquise voix de ténor, voix au timbre enchanteur, à l'irrésistible séduction » se souviendra Saint-Saëns en 1913. Regnault crée plusieurs de ses compositions : « En 1868, Regnault avait été le premier à incarner le rôle de Samson dans le deuxième acte du célèbre opéra
Samson et Dalila, créé lors d'une soirée privée. Saint-Saëns renouvelle leur collaboration en confiant à l'artiste deux des
Mélodies persanes composées pour voix de ténor » (Manon Bertaux).
Les Mélodies persanes op. 26, sur des vers du poète parnassien Armand Renaud, se composent dans leur version publiée, de trois œuvres pour ténor (
Sabre en main,
Au Cimetière,
Tournoiement) et trois pour contralto (
La Brise,
La Splendeur vide,
La Solitaire). Elles forment l'un des plus célèbres cycles de Saint-Saëns et viennent s'inscrire dans la période de l'âge d'or de la mélodie française.
Le présent manuscrit pour voix et piano, au ton ardent et coloré, peut indiscutablement être rattaché à cet ensemble de mélodies débuté en juin 1870, vendu par Saint-Saëns à son éditeur Hartmann peu après. Cependant les recherches de Manon Bertaux ont démontré que « le compositeur a vendu à Hartmann un cycle incomplet, ayant composé ses dernières mélodies au début du siège de Paris [à partir de septembre] ».
Datée de novembre 1870, notre mélodie – à notre connaissance inconnue des biographes et musicologues – fait partie de ces compositions réalisées en pleine guerre franco-prussienne : « Engagé en tant que garde national pendant le siège de Paris, [Saint-Saëns] continue son activité de musicien et de compositeur parallèlement à ses missions à la garde des remparts ». Il semble que l'ensemble, parole et musique, de cette composition soit demeuré totalement inédit et n'ai jamais été communiqué à Hartmann.
De son côté, le peintre Henri Regnault, engagé comme franc-tireur, risque aussi sa vie pour tenter de briser le siège, au grand dam de Geneviève qui confia son inquiétude dans son journal intime devenu célèbre (Ramsay, 1985). Les jeunes amoureux venaient finalement de se fiancer après de longues années d'opposition de la mère de la jeune femme.
Saint-Saëns a probablement adressé cette délicieuse mélodie à Geneviève Bréton comme cadeau de fiançailles. Un morceau de chaleur revigorante pour la jeune femme éplorée,
dont voici le premier des deux couplets :
« Ka-douja la chanteu-se
Au manteau noir
Qu'on trouve sous l'y-eu-se
Quand vient le soir,
chante au guerrier mo-ro-se,
Prompt au courroux,
Un chant couleur de ro-se »
Le compositeur s'est inspiré de leur dramatique situation, transposant dans un cadre oriental l'attente quotidienne de Geneviève, guettant le « guerrier » Henri de retour de ses patrouilles dans la capitale. En sus de s'inscrire parfaitement dans le thème des mélodies persanes déjà connues, les horizons lointains de cette œuvre reflètent les goûts de Geneviève, avide voyageuse et grande amatrice des toiles orientales de Regnault, qui avait offert à sa fiancée des scènes de Harem et des architectures mauresques. Lors de leurs rares moments ensemble, elle rêve avec lui de s'échapper de la capitale affamée et gelée : « Le danger est proche, pourtant Paris joue de la musique. Il faisait froid à geler un homme sur les quais, le vent coupait comme un couteau. Mais nous pensions à Tanger, le patio blanc, la chaleur revigorante, notre prochaine maison, la liberté » écrira-t-elle dans son journal le 10 décembre, peu après l'écriture de ce manuscrit daté de novembre 1870.
On ne sait si le morceau a été chanté par le peintre-ténor pendant ces mois de siège, lors de soirées dont Geneviève garde le souvenir dans ses notes. Il est attesté qu'il interpréta deux mélodies persanes confiées par Saint-Saëns : « Au cimetière », et « Sabre en main », œuvre belliqueuse au rythme carré et vocalises conquérantes, que le compositeur dédiera à la mémoire du jeune artiste, lorsque paraîtra l'édition originale des
Mélodies persanes en 1872.
Cet émouvant cadeau de Saint-Saëns est composé à l'aube du plus grand malheur de la vie de la jeune dédicataire - Henri Regnault tombera deux mois plus tard à 27 ans d'une balle dans la tempe, « tué par les prussiens à Buzenval, quelques jours avant l'armistice signé le 28 janvier. Saint-Saëns est accablé par la perte de cet ami si cher, peintre talentueux, bon chanteur avec lequel il avait partagé tant de moments musicaux » (Société Camille Saint-Saëns). A l'annonce de sa mort, il est dit que le compositeur pleura trois jours durant. Lors de ses funérailles, Saint-Saëns jouera lui-même à l'orgue sa
Marche héroïque qu'il lui dédiera, ainsi qu'
Au cimetière, mélodie persane chantée par Regnault peu de jours avant sa mort, comme s'il avait interprété sans le vouloir sa propre élégie funèbre : « Qui se serait douté, alors qu'il chantait : ‘Aujourd'hui les roses / Demain les cyprès' que cette prophétie dût sitôt se réaliser ! » écrira Saint-Saëns dans
Ecole buissonnière, notes et souvenirs.
Magnifique offrande musicale inédite de Saint-Saëns, pianiste virtuose et compositeur de génie, redécouverte pas moins de 154 années après son écriture. Cette « septième » mélodie persane encore inconnue réunit par sa dédicace deux amants au tragique destin : Bréton et Regnault, la « chanteuse » éprise de son « guerrier ».
Camille Saint-Saëns, « Les Peintres musiciens », Ecole buissonnière, notes et souvenirs, p. 354-355.
Manon Bertaux, Camille Saint-Saëns et la guerre de 1870 : des Mélodies persanes à l'hommage à Henri Regnault (1843-1871), Circé. Histoire, Savoirs, Sociétés, Numéro 15, 2021/2.
Musical Memories By Camille Saint-Saëns Translated by Edwin Gile Rich, 1919
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