Louis PARROT
Tapuscrit avec ajouts manuscrits autographes de L'intelligence en guerre
1945, 22,3x27,9cm, (24) f., 340 feuillets.
| « On peut dire sans paradoxe que ce souci de la vérité, cet amour de la justice, ne se sont jamais manifestés avec plus d'éclat que pendant ces jours sombres où les Français avaient perdu l'usage de la parole » |
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Tapuscrit de 340 pages de l'ouvrage L'Intelligence en guerre de l'écrivain journaliste résistant Louis Parrot, accompagnées de notes manuscrites concernant les pages de titre, de faux-titre, de préface et de bibliographie en début (4 pages en tout) et de l'index des noms cités en fin de volume (en tout 6 pages). Nombreuses pliures et décharges de rouille dues aux attaches métalliques.
Le tapuscrit comporte des corrections et des modifications manuscrites, notamment 25 pages entièrement autographes, et des ajouts en marge de quelques dizaines de pages, figurant dans leur intégralité dans la version publiée en 1945 aux éditions La Jeune Parque.
Figure de proue de la presse clandestine pendant la Seconde Guerre mondiale, ami d'éluard, Picasso, et Aragon, l'écrivain et critique littéraire Louis Parrot signe avec L'intelligence en guerre un panorama de la pensée française résistante qui rend justice aux oubliés des maquis comme aux écrivains les plus emblématiques de la presse clandestine.
La parution, au sortir de la guerre, de cette anthologie des poètes combattants, au carrefour de la chronique littéraire et du livre d'histoire, est également un acte politique engagé de sélection des « héros » de la résistance intellectuelle et, en creux, une condamnation implicite des attentistes.
En envoyant ce tapuscrit à un ami journaliste lui-même résistant, Parrot confie à ce frère d'armes la somme d'un travail dont les repentirs et les ajouts visibles donnent à voir les choix politiques de son auteur autant que ses inclinations esthétiques. Ce tapuscrit constitue un document unique qui met en lumière l'exigence d'exhaustivité de Louis Parrot, dont l'étude approfondie servira de base à l'historiographie de la résistance littéraire.
Le destinataire du tapuscrit, Auguste Anglès, est un des acteurs majeurs de la presse résistante lyonnaise, créateur du journal clandestin Confluences. Parrot adresse donc à ce juge éclairé, qui connait parfaitement les réseaux intellectuels, un état de son travail qui met en relief la difficulté autant que la nécessité d'exhaustivité de sa tâche, comme en témoigne la note autographe sur la chemise cartonnée :
« Mon cher Anglès,
Voici une copie, malheureusement pas apporté sur les épreuves mêmes de très grosses modifications ou corrections ; elles ont augmenté le livre de plus de 100 pages dactylographiées. Il y avait là beaucoup d'erreurs qui ont été arrangées. Aussi excusez-moi de vous donner une copie sur laquelle rien n'a été rectifié. J'espère qu'elle pourra cependant vous servir. Amicalement à vous
Parrot »
La note manuscrite adressée à Auguste Anglès atteste bien qu'il s'agit d'un document de travail (« une copie sur laquelle rien n'a été rectifié »), antérieur aux épreuves corrigées envoyées à l'éditeur. Le tapuscrit présente deux états du texte, augmenté de nombreuses corrections marginales ou en pleine page, qui, comme l'indique Parrot « ont augmenté le livre de plus de 100 pages dactylographiées », figurant systématiquement dans le texte publié en 1945.
On remarque quelques revirements importants, notamment le remplacement de Georges Duhamel par François Mauriac comme figure de proue de la résistance au sein de l'Académie Française. à cela s'ajoutent d'autres liasses de feuillets dactylographiés, énigmatiquement intitulées « petit blanc », qui ont été intégrées postérieurement – notamment des passages sur les écrivains Antoine de Saint-Exupéry, Jean-Paul Sartre ou Jean Giraudoux (ajoutés au chapitre sur les Lettres françaises dans la version définitive). Ces ajouts tardifs marquent l'intronisation controversée au panthéon de la résistance littéraire d'écrivains comme Saint-Exupéry (désavoué par le général de Gaulle) ou Sartre, dont l'attitude durant l'Occupation a fait l'objet de maintes polémiques et qui doit à Camus, sa participation in extremis à la presse résistante.
Au fil des pages, Louis Parrot peint admirablement ceux qui ont donné une « âme » à la résistance française : écrivains, cinéastes, musiciens et acteurs, ambassadeurs du beau et de la liberté, disséminés en France et à l'étranger. Rédigé en 1945 au moment où les derniers actes de la guerre s'écrivent encore, L'Intelligence en guerre fait preuve cependant d'un extraordinaire recul, malgré la participation active de Parrot à la résistance littéraire : ce travail documentaire acharné occulte en effet largement la propre contribution de l'auteur à la naissance des célèbres Éditions de Minuit et des Lettres françaises. En 1944, Parrot assura en pleine insurrection parisienne la reparution du journal Ce Soir dont il rédigea entièrement le premier numéro.
Bien au-delà d'une chronique historique, le tapuscrit offre surtout une sélection des plus beaux passages de la littérature résistante. Parrot consacre la majorité de cet ouvrage à la poésie du maquis, de la prison, de l'exil. On y retrouve les incontournables comme le Musée Grévin d'Aragon, le Chant des partisans, ainsi que les poèmes publiés par ses soins, comme le célèbre Courage d'éluard, donné aux Lettres françaises en 1941 et cité dans le tapuscrit :
« Paris a froid Paris a faim
Paris ne mange plus de marrons dans la [rue
Paris a mis de vieux vêtements de [vieille »
Figurent en bonne place les œuvres de René Char et Georges Hugnet, notamment son poème Le Non-vouloir illustré par Picasso, qui selon lui était le « premier texte résistant qui ne fut pas clandestin ». Parrot fait publier aux éditions de Minuit le poète allemand Heinrich Heine dont les nazis n'avaient gardé que la Lorelei, et diffuse la fameuse ode « O Star of France » de Walt Whitman, citée dans le tapuscrit :
« Ô Étoile de France
Le rayonnement de ta foi, de ta puis[sance, de ta gloire,
Comme quelque orgueilleux vaisseau qui [si longtemps mena toute l'escadre,
Tu es aujourd'hui, désastre poussé par la [tourmente, une carcasse démâtée ;
Et au milieu de ton équipage affolé, de [mi-submergé,
Ni timon, ni timonier »
Outre la poésie, une grande part est laissée aux textes politiques audacieux, qui ont galvanisé le pays lors de ses heures les plus sombres : le Cahier Noir de François Mauriac, qui valut à son auteur l'admiration de ses confrères, est cité à de nombreuses reprises comme exemple fondateur de discours résistant.
C'est également une œuvre aux couleurs d'oraison funèbre, de panégyrique pour les victimes de la Gestapo dans les rangs des universitaires, étudiants, avocats, poètes et écrivains. Son épais chapitre Premiers de la classe s'attache aux souvenirs les plus douloureux de la chronique de la déportation, dédiant de longues pages à Benjamin Crémieux, Robert Desnos et surtout Max Jacob, « un de ces êtres d'exception pour qui la poésie est la seule raison de vivre et c'est à la poésie qu'il se sacrifia tout entier ». L'écrivain n'oublie pas les étoiles montantes de la littérature, tels René Char et Joël Serge, ni les martyrs de la presse clandestine Jacques Decour, Gabriel Péri, ainsi que les étudiants sacrifiés pour les « bulletins ronéotypés par lesquels s'exprimait la voix de l'Université demeurée libre au milieu de l'oppression ». Par ailleurs, sa chronique suit de près la fracture intellectuelle qui s'opéra dès les premiers mois d'occupation dans le milieu littéraire français, se terminant par l'épuration organisée par le Conseil National des Ecrivains à la fin de la guerre, dont il fut membre et ardent défenseur.
L'Intelligence en guerre invite également le lecteur dans le secret des plus grands esprits de la littérature résistante, que l'auteur publiait depuis la zone libre. Parrot y relate la vie les réseaux de complicité à Lyon, en Provence, dans le Languedoc ou dans le Massif central, tantôt appelés « colonies d'écrivains » ou « îlots spirituels » et qui, en 1945, venaient à peine d'être dévoilés dans la presse américaine et française ; on entre ainsi dans l'intimité du cercle de Paul Eluard, qu'il connut durant les derniers feux de la guerre d'Espagne. Parrot lança et dirigea avec lui les trois numéros de L'Éternelle Revue en juin 1944 et publia la même année une monographie sur son œuvre dans la célèbre collection « Poètes d'aujourd'hui » chez Pierre Seghers. Il laisse une grande place aux agents de liaison entre les deux zones (Francis Ponge en tête), aux artistes exilés et sympathisants dans les derniers chapitres du tapuscrit (La France africaine, La France lointaine, La Voix de l'Europe), ainsi qu'aux fidèles restés à Paris, tel Pablo Picasso qui « par sa seule présence parmi nous, [...] a rendu l'espoir à ceux qui finissaient par douter de nos chances de salut ».
On notera le choix du vocabulaire et de la formulation qui introduit son ami peintre dans la fraternité résistante sans avoir à lui attribuer de « fait d'arme ».
Louis Parrot constitue en effet avec cet ouvrage majeur une véritable « liste blanche » des artistes durant la guerre. L'Intelligence en guerre répond ainsi à la terrible « liste noire » que Parrot a contribué à établir, quelques mois plus tôt, au sein du Comité National des écrivains et qui condamnait une autre forme d'intelligence, honteuse celle-ci, l'intelligence avec l'ennemi.
Dans une France déchirée par la trahison de ses élites, cette chronique de la « contrebande littéraire », est en réalité le dernier combat de Louis Parrot, avant sa mort prématurée en 1948, pour la restauration d'une fierté nationale à travers la reconnaissance de l'incroyable et périlleuse résistance de nombreux artistes, à l'origine d'exploits littéraires : « sous chaque livre publié ostensiblement se dissimulait une autre œuvre, plus violente et parfois plus belle ».
Et sous le livre publié de Parrot aux allures d'anthologie poétique se dissimule un tapuscrit plus complexe et parfois plus révélateur des enjeux politiques de cette nouvelle page du « roman national ».
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4 500 €
Réf : 68621
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