Maurice BEJART
Journal intime autographe
1969, 16,8x21,6cm, carnet en spirales.
Journal intime autographe de Maurice Béjart écrit sur un agenda de l'année 1969 célébrant le centenaire de la naissance de Mahatma Gandhi. 52 feuillets autographes, rédigés aux stylos rouge et bleu dans un cahier à spirales. Ce journal figure parmi les très rares manuscrits de Béjart en mains privées, les archives du chorégraphe étant partagées entre sa maison bruxelloise, la fondation Béjart de Lausanne et le Théâtre Royal de la Monnaie.
Journal du chorégraphe Maurice Béjart, écrit durant l'année 1969.
Rarissime collection de pensées, d'interrogations, d'introspections sous le prisme de l'hindouisme et de la sagesse bouddhique, que Béjart adopte à la suite d'un premier voyage en Inde en 1967. Le journal constitue un témoignage emblématique de l'époque indo-hippie des années 1960, renaissance spirituelle et artistique qui inspira au chorégraphe de nombreux ballets (
Messe pour le temps présent,
Bhakti,
Les Vainqueurs).
Une sélection de ce journal fut publiée par Maurice Béjart dans le second tome de ses mémoires (
La Vie de Qui ? Flammarion, 1996).
Durant l'année 1969, Béjart prend quotidiennement des notes dans un agenda publié à la mémoire de Mahatma Gandhi. Fasciné par le mysticisme hindou depuis un voyage en Inde en 1967, il remplit ce journal spirituel de nombreux mantras et prières («
Krishna guide mon char, la lumière est au bout du chemin. OM » ; «
Le Bouddha est partout présent » ; «
Laisser Dieu entrer, mais comment ouvrir la porte ? ») et invoque tant les divinités hindoues que les Bodhisattvas Mañjuśrī et Tārā – figures apaisantes du panthéon bouddhique. La « période indienne » de Béjart fut particulièrement riche en chefs-d'œuvre chorégraphiques, dont on suit la progression dans son journal (
Baudelaire en début d'année, la création des
Vainqueurs à Bruxelles et des
Quatre fils Aymon à Avignon, ainsi que le tournage et la projection de son ballet indien
Bhakti). à la croisée du
New Age et du mouvement hippie, la « conversion » de Béjart est symptomatique d'une époque en refus du progrès et en soif de spiritualité : «
Calcutta n'est pas l'Inde mais notre visage occidental. Ce n'est pas la religion ni la pensée traditionnelle qui est coupable mais le capitalisme. L'Inde pays riche avant la colonisation ». La visite des Beatles dans l'āshram du guru Maharishi et le concert de Ravi Shankar à Woodstock en 1969 marquèrent le début d'une véritable passion occidentale pour la musique et la culture indiennes, qui fut déterminante dans les ballets de Béjart à cette époque.
L'Inde s'offre également aux yeux de Béjart comme un lieu où l'art et les traditions ancestrales n'ont pas subi les perversions du positivisme. Il cherchera dans ses créations à exprimer l'esprit d'une culture qui unit intimement le corps et l'esprit, et dans laquelle la danse joue un rôle cosmique et spirituel majeur.
Les systèmes de danse indienne et les chants védiques découverts grâce à l'orientaliste Alain Daniélou furent insérés dans ses ballets – en 1968, il ouvre la
Messe du temps présent par un long solo de vînâ qui dura quinze minutes : « Béjart est dans son quart d'heure hindou. Et là-bas, les quarts d'heure hindous, ça peut durer des heures... » commenta Jean Vilar, directeur du festival d'Avignon. Un vent de mode indienne passera également dans les costumes de la troupe du Ballet du XX
ème siècle : larges pantalons de soie, tuniques, bijoux et yeux orientaux. Dans le journal, Béjart affirme qu'il n'y a «
pas de vérité sans yoga », un art découvert auprès d'un maître indien que l'on trouve dans nombre de ses ballets sous la forme d'exercices de danse à la barre. Il décide également de faire de
Bhakti «
un acte de Foi » en filmant lui-même la chorégraphie du ballet, et prépare pendant l'été les
Vainqueurs, une rencontre insolite entre Wagner et les ragas traditionnels indiens.
Au-delà de l'artiste prolifique, on découvre aussi dans le journal la personnalité troublée du chorégraphe, en proie au doute et à la mélancolie : «
état vague d'apesanteur physique et de vide moral. Léthargie ou paresse. Faiblesse. Vertige. Torpeur. Inconscience ». Malgré les succès, Béjart tentera d'apaiser son état fragile par la méditation et l'enseignement de prophètes et brahmanes indiens, qu'on rencontre au fil des pages du journal (Ramana Maharshi, Swami Ramdas, le Dalaï-Lama, Apollonios de Tyane). Ses amours parfois contrariées avec son danseur fétiche Jorge Donn l'accaparent et le plongent dans l'angoisse – à la veille de la première des
Vainqueurs, il écrit «
Avant-générale. Chaos. [Jorge] Donn parti. Tara absente. Moi perdu. ». Déchiré entre la jouissance et la maîtrise de soi, il voyage à rythme effréné avec sa troupe du Ballet du XX
ème siècle, d'abord aux Pays-Bas puis en Italie à Milan, Turin et Venise : «
Je quitte Venise complètement asservi à la paresse au sexe et à la facilité et pourtant étrange bien-être de la brute qui a bu et baisé ». Pourtant, ces moments heureux ne parviennent pas à satisfaire Béjart, pour qui la «
Joie a un arrière-goût de mort » malgré la «
vie de travail et de discipline » qu'il s'impose durant cette année riche en créations. à la fin de sa vie, Béjart reviendra avec humour sur ses frasques indiennes et le ton résolument sombre de son journal : « Je ne peux pas m'empêcher de rire de cet idiot qui pleure et qui geint, alors qu'il créait des ballets en grand nombre [...] Quand je pense qu'à la fin de ce journal de 1969 je songeais résolument à la retraite ! ».
Rarissime document retraçant la rencontre entre l'Orient et l'Occident dans la vie intime et l'œuvre chorégraphique de Maurice Béjart. Ce journal incarne une époque de contre-culture et de syncrétisme culturel qui marqua durablement le ballet d'avant-garde européen.Provenance : archives personnelles de Maurice Béjart.
8 000 €
Réf : 65528
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