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Maurice Blanchot, Thomas le solitaire par Michael Holland, professeur à Oxford

Maurice Blanchot, Thomas le solitaire par Michael Holland, professeur à OxfordMaurice Blanchot, Thomas le solitaire par Michael Holland, professeur à Oxford
Maurice Blanchot, Thomas le Solitaire
par Michael Holland
MA, DPhil
Professeur émérite de français à Oxford
Fellow de St Hugh's College

Oxford, le 19 janvier 2016 (Notes pour la Librairie Le Feu Follet après une première lecture de Thomas Le Solitaire : " C’est un peu long, je m’en excuse, mais ce livre est vraiment extraordinaire. C’est aussi un peu décousu. Mais je vous l’envoie dans l’état.")
 
« Il y a, pour tout ouvrage, une infinité de variantes possibles. » C’est ainsi que Maurice Blanchot présenta en 1950 la nouvelle version de son roman Thomas l’obscur, « écrit […] à partir de 1932, remis à l’éditeur en 1940, publié en 1941 ». Déjà réduite au trois quarts en 1950, cette première version, devenue introuvable du vivant de Blanchot, appartient dans l’esprit de bien des lecteurs à un stade moins évolué de son écriture, et semble mériter la boutade de Jean Paulhan qui disait en 1942 à propos d’Aminadab : « Ce que [Blanchot] écrit est presque insoutenable en 400 pp. et parfaitement beau en 10 pages ». La découverte de Thomas le solitaire nous oblige à réviser ce jugement. Dans ses grandes lignes, ce roman ressemble étroitement au premier Thomas. C’en est donc une première première version. Et ce qu’il permet de constater d’entrée de jeu, c’est que dans le roman qui paraît en 1941, son auteur fait déjà preuve d’un raffinement narratif et d’une concision d’expression qu’on a eu tendance jusqu’ici à négliger. Ouvrage déjà formé mais encore engagé dans des recherches d’affabulation, de mode narratif et de style où les tâtonnements  et les ballons d’essai se multiplient, Thomas le solitaire met constamment en valeur les divers procédés et les décisions littéraires dont Thomas l’obscur est résultat.
 
        Cependant, bien que l’existence d’au moins deux autres versions du Thomas de 1941 montre bien que la référence de Blanchot à « une infinité de variantes » ne fut pas pur hyperbole, Thomas le solitaire est beaucoup plus qu’une version parmi d’autres. Car il existe un lien textuel fondamental entre lui et le Thomas de 1941. Le chapitre IV de cette version n’existe pas sous cette forme dans Thomas le solitaire.  Il débute ainsi : « Thomas demeura à lire dans sa chambre. […] Ceux qui entraient se penchaient sur son épaule et lisaient ces phrases : ‘Il descendit sur la plage, il voulait marcher, etc.’ » (p. 21). Or, la section entre guillemets qui suit (p. 21-22) ne fut pas rédigée comme le reste du chapitre pour la version de 1941 : c’est un extrait (légèrement modifié) du chapitre IV de Thomas le solitaire (pp. 23-25 du tapuscrit). Il y aurait beaucoup à dire sur la signification de cette autolecture que Blanchot fait subir non à Thomas mais au roman lui-même dans ce chapitre inédit, mais dans un premier temps il permet d’établir ceci : Thomas le solitaire est non seulement une version mal dégrossie du roman définitif, mais une sorte de précurseur de celui-ci et même – jouant sur le sens du nom Thomas -- une œuvre jumelle. La lecture du roman définitif passe donc nécessairement par une lecture de cette version. Thomas le solitaire est important pour tout ce que Thomas l’obscur en rejette. L’exemple qu’il offre nous incite et nous justifie à poursuivre cette lecture sur une plus grande échelle.  
*
Thomas le solitaire ainsi que toute la production narrative de Maurice Blanchot trouve son origine dans le désir qui tourmente la littérature depuis les premiers romantiques européens : se savoir mort, ou comme le roman le dit à sa façon : « quitter le monde sans fermer les yeux » (72). Dernier sans doute d’une lignée qui remonte à Novalis et à Jean Paul et qui comprend aussi Poe et plus tard Kafka, Blanchot s’en sépare et de ce fait l’interrompt de manière définitive en faisant de l’art romanesque moins la recherche d’une version plus élaborée de cette condition, qu’une tentative de la faire assumer par la pensée dans ce qu’elle a d’impossible : le fait même de penser la mort remet fatalement à plus tard le moment où la mort devient une réalité. Autrement dit, « se savoir mort » n’est pas d’abord chez lui la situation insolite d’un personnage de fiction (on pense au Mr Waldemar de Poe ou au chasseur Gracchus de Kafka), mais l’élaboration systématique d’un mode de discours dans lequel ce « savoir » pourra arriver à se dire. Bref, le sujet de ce savoir n’est pas en dernière analyse un héros de roman, ni même l’auteur ou le lecteur de ce roman, mais le roman lui-même en tant qu’il prend la relève de la pensée, pour offrir à la conscience qui se « sait morte » un langage pour le dire.  Et en mettant en scène les impasses répétées dans lesquelles la fiction se fourvoie en se servant d’un personnage pour confronter cette condition, Blanchot va mener son roman progressivement vers un point de rupture où il se séparera de lui-même en parlant un tout autre langage. C’est ainsi qu’on doit comprendre le moment d’autolecture du chapitre IV : là, le roman de Thomas, non content de se perpétuer en une infinité de versions, se retourne enfin sur lui-même, s’interrompt, et ce faisant, indique que c’est au niveau de cette interruption que se jouera désormais le sort et du personnage nommé Thomas et du roman lui-même. Au lieu de subir cette interruption comme ce qui met fin à une version du roman et relance une autre, la narration se l’applique à elle-même ; désormais, l’interruption ne se déploiera plus entre deux romans, l’entre-deux qu’elle met en œuvre sera interne à l’œuvre elle-même : roman, Thomas l’obscur est ainsi son propre personnage, Thomas est toujours déjà Thomas, le roman avec tout ce qui le caractérise (personnages, milieu, intrigue…),  ne servant plus qu’à offrir au langage le moyen de ne plus être roman, de s’interrompre et ce faisant, de penser. En 1941 Blanchot est loin d’avoir trouvé le langage qui, sous le nom d’écriture du désastre, inscrira cette interruption à même le discours de la pensée rationnelle. Ce n’est qu’avec la « nouvelle version » de Thomas l’obscur de 1950 qu’il pourra même commencer sa véritable recherche de ce discours. Dans tout ce qui le sépare du Thomas de 1941 donc, Thomas le solitaire complémente et éclaire cette première œuvre dans ce qu’elle réussit et dans ce qui la limite. Tout ce que Thomas l’obscur en rejette ou en modifie appartient toujours de ce fait à Thomas l’obscur.       
 
Les grandes lignes

Thomas le solitaire  a seize chapitres tandis que Thomas l’obscur en a quinze. Autrement il ressemble étroitement au Thomas l’obscur de 1941. Il y  a cependant des différences significatives. Dans les deux cas, l’incipit du roman est le même : « Thomas s’assit et regarda la mer. » Et dans les chapitres II et III, une ressemblance en filigrane relie les deux romans : dans les deux chapitre II, Thomas se trouve dans un bois ; dans les deux chapitre III il revient à l’hôtel pour dîner. Dans le chapitre IV, on l’a vu, les deux romans divergent absolument au niveau diégétique, pour en même temps devenir inséparables grâce à l’autolecture. Comme pour préparer ce moment, dans le chapitre II de Thomas l’obscur Thomas « tourne le dos à la mer » avant de s’engager dans un petit bois comme le fait aussi le Thomas de Thomas le solitaire au chapitre II. Ce geste de « tourner le dos » sera accompli par Thomas seulement dans le chapitre IV de Thomas le solitaire, plus précisément dans la section de ce chapitre qui est reprise dans le chapitre IV de Thomas l’obscur. Ainsi, le geste de tourner le dos à la mer va figurer deux fois dans Thomas l’obscur. Il y a donc téléscopage des chapitres II et IV de Thomas le solitaire dans le chapitre II de Thomas l’obscur, dans une raccourcie qui précipite la rupture avec la continuité narrative créée quand « Thomas s’assit et regarda la mer », et la remplace pour une autre relation entre la narration et elle-même. Dans Thomas l’obscur Thomas est ainsi privé presque d’entrée de jeu du narcissisme scopique qui caractérise sa relation à la mer, en lui tournant deux fois le dos, tandis que la narration, se retournant sur elle-même pour se citer, ne se mire pas mais répercute ce mouvement même de tourner le dos au niveau de sa propre continuité en l’interrompant. Double trope d’interruption et de tournant qui va déterminer toute l’écriture de Blanchot à l’avenir. 

Dans le chapitre V des deux romans  tout semble revenir à la ressemblance et à la continuité: « Au village habitait un homme étrange » (Thomas le solitaire) ; « Au village un homme habitait sous la forme de Il » (Thomas l’obscur).  Et cela se poursuit dans les deux chapitre VI : « La nuit commençait de venir. Antoine [le hôtelier] sortit pour surveiller le crépuscule » ; « L’aubergiste sortit avant que le soleil fût couché. Ce n’était pas encore le crépuscule… » (p. 47). Mais comme la substitution d’ « un homme sous la forme de Il » pour « un homme étrange » l’indique, le déplacement vers le langage même de la narration et l’abandon de la fiction est désormais pleinement opératif dans Thomas l’obscur. Et pour créer le chapitre VI de ce roman Blanchot va opérer de grandes coupes dans le chapitre VI de Thomas le solitaire, éliminant presque tout ce qui concerne Antoine l’hôtelier pour arriver rapidement à ce qui termine ce chapitre : l’apparition d’Anne. « Anne souriait » qui marque le début du chapitre VII de Thomas le solitaire devient ainsi le début du deuxième paragraphe du chapitre VI de Thomas l’obscur. C’est cela qui fait qu’il y aura jusqu’à la fin un décalage entre les chapitres des deux romans. À partir de ce décalage, cependant, les chapitres des deux romans vont correspondre assez étroitement, à l’exception du chapitre VIII de Thomas l’obscur qui, avant de s’aligner sur le chapitre IX de Thomas le solitaire,  débute par une deuxième section entièrement nouveau : la séquence du chat presque aveugle. À partir d’ici, les chapitres correspondants des deux romans débuteront et finiront de la même manière. Seul le dernier manifestera deux variantes importantes : Thomas le solitaire présentera le monologue de Thomas dans l’avant-dernier chapitre comme des extraits de ses Carnets ; la dernière phrase de Thomas l’obscur contiendra un écho de la fin du Procès de Kafka (« comme si la honte eût commencé pour lui »), ce qui n’est pas le cas dans Thomas le solitaire.  Pour résumer : à partir du moment dans le chapitre VI (Thomas l’obscur) et dans le chapitre VII (Thomas le solitaire) où « Anne souriait », les deux romans s’alignent pour ce qui est de leur ordre narratif. Mais avant d’en arriver là, Blanchot aura modifié assez radicalement d’un texte à l’autre la manière dont son roman met en place son sujet principal : la rencontre entre Thomas et Anne.

Genre
[Les références à Thomas l’obscur sont à l’édition Gallimard de 2005]

Si Thomas l’obscur frappe ses lecteurs en 1941 par son caractère insolite – Claude Roy le compare à un OVNI – Thomas le solitaire appartient en surface du moins au genre peu original et assez répandu  du roman sentimental bourgeois de l’entre-deux-guerres. L’action se situe d’abord sur la Côte d’azur en été, on passe du temps sur la plage, on joue au tennis, on mange à l’hôtel, on joue au casino de Monte Carle. Thomas s’allonge sur la plage, observe les jeunes femmes qui se baignent, tente d’entrer en relation  avec certaines d’entre elles. On rencontre Geneviève, Éveline, Louise, Mme Taillegloire et Mme Renetour, on apprend l’histoire des Ruffeteau dont le domaine est abandonné et où Thomas voudrait aller se promener. On croise Desrousseaux et son échec électoral, les Guilleminet et les Métadier, familles de la région, Antoinette, Jeannette, Françoise et Angéline les domestiques.

Par la suite, l’action se déplace vers Paris dont les rues, les monuments et les lieux chics sont évoqués de manière à situer le roman dans un monde familier. Tandis que dans Thomas l’obscur Thomas ne rencontre dans la foule où Anne l’entraîne que « tous ceux qui ont une passion, une manie… » (p. 161) dans Thomas le solitaire ces gens sortent « de l’Opéra, du Paramount, de la Comédie française » (p. 161). En rentrant le soir, tous les habitants de la ville rentrent chez eux « avec leur part au millionième des monuments célèbres » dans le roman de 1941 (162), tandis que dans Thomas le solitaire ce sont des Parisiens, et ils rentrent « avec leur part au millionième du Louvre, de la Sainte-Chapelle, du Trocadéro » (163). On s’arrête devant « les devantures de Nicolas et de Guerlain » dans Thomas le solitaire (165) mais seulement « devant les devantures » dans Thomas l’obscur (164). « Une salle de spectacle » dans ce dernier est « le Gaîté-Cinéma » dans Thomas le solitaire (177). Dans le premier roman on rencontre même « une publicité d’une gaine ‘Scandale’ » (169) et ailleurs il est question de « femmes qui s’habillent chez Patou » (17) (au-dessus, écrit à la main sur le tapuscrit, il y a « rue de la Paix »). On passe « au Weber, au Florian […], au bar du Dante » (175).Quel que soit le  milieu qu’il évoque, Thomas le solitaire maintient ainsi un enracinement réaliste qui est systématiquement éliminé dans Thomas l’obscur en faveur de la généralité et de l’abstraction. 

            L’histoire et l’actualité jouent un rôle dans cette démarche réaliste. « Ses illusions de jeunesse, c’était la vertu de M. Thiers, la probité de Fouquet » apprend-on de Thomas (21). Si celui-ci évoque dans son monologue « l’assassinat de l’homme le plus inoffensif » dans Thomas l’obscur (292), dans le Carnet que reproduit Thomas le solitaire il s’agit de « l’homme le plus inoffensif, M. Lebrun, président de la République » (323). Cette référence permet au moins de savoir à partir de quand Blanchot écrivait Thomas le solitaire, puisque Albert Lebrun fut élu à la présidence le 10 mai 1932 ; il est resté président jusqu’en 1940. D’autres allusions permettent de situer plus précisément le roman : au début du chapitre IV Thomas apprend dans les journaux « la fin du dumping russe, la fin du déficit », questions d’actualité entre 1931 et 1933 ; il s’agit aussi de « la prochaine réconciliation de la France et de l’Allemagne », idéal qui ne survécut pas à la mort d’Aristide Briand en mars 1932. Enfin on lit que Thomas décide de ne plus lire les journaux, « par crainte d’apprendre que l’Amérique annulait les dettes de guerre » (15). Entre 1932, date de la Conférence de Lausanne et 1934 où l’Amérique indique qu’elle  est prête à négocier, la question des dettes interalliées aura préoccupé des gouvernements successifs. Enfin, un indice très clair que ce roman n’a pas été rédigée avant 1934 se trouve dans la présentation de l’émeute à laquelle Thomas et Irène se trouvent mêlés au chapitre XII (le même épisode se trouve au chapitre XI de Thomas l’obscur). « L’émeute approchait de l’Elysée » lit-on. « Si la République était renversée ce soir, […] il était possible qu’Irène parvînt avenue Marigny […]. Mais l’émeute fut vaincue. […] On n’entendit à l’instant décisif, crié par les chefs, que merde, parole de vaincu […]. Irène descendit de voiture. La garde mobile, refoulant les manifestants, la livrait brusquement au  froid, […] déjà défigurée comme l’émeute, devant l’histoire » (176). Bien des détails de cette épisode sont gommées dans Thomas l’obscur selon le même mouvement qui substitue au détail réaliste une abstraction ou une généralité (par exemple on lit « L’émeute approchait du centre » non « de l’Élysée », et à « Si la République était renversée » est substitué « Si les essences subissaient leur défaite tragique » (174)). Mais dans Thomas le solitaire il semble très clair que ce qui est évoqué, c’est la soirée du 6 février 1934.      

            Les références littéraires d’époque sont nombreuses dans Thomas le solitaire. Anne lit « des romans des Veillées des chaumières qu’elle dissimulait dans sa chambre comme d’autres Paris-Flirt ou L’Initiation sexuelle » (95). Thomas avait conduit Anne « dans un roman de Zenaïde Fleuriot » (90). Irène est habituée à vivre « parmi des gens qui se faisaient présenter Cocteau avant de lire Les Enfants terribles , et nommaient Christian Bérard Bébé » (190). Pour Anne lectrice « Des livres eux-mêmes, miroirs ardents, le tain avait été enlevé, et  l’admiration, la curiosité qui étaient destinées à Anne passaient sans réfraction à travers… » : ici Thomas le solitaire et Thomas l’obscur divergent de façon remarquable : pour le premier c’est à travers « le destin de Thérèse Desqueyroux, à travers la mort de Bella » (140), tandis que pour le second c’est à travers « les destin d’Électre, à travers la mort de lady Madeleine Usher » (145).

Tout aussi familiers sont les sentiments et la psychologie des personnages, que Thomas le solitaire expose avec les moyens du roman d’analyse traditionnel. C’est un roman d’amour qui rappelle Jacques  Chardonne. Quand Thomas s’approche d’Anne on lit : « Thomas allait faire l’apprentissage de l’amour » (75). Dans Thomas l’obscur les sentiments ont disparu : Thomas va « vers le point le plus précieux de la vie » (79).  Si les sentiments se montrent à l’analyse avec une profondeur et une complexité parfois déroutantes, ils ne débordent pas le cadre du roman sentimental contemporain. À bien des égards, Thomas le solitaire est donc bien de son époque, il veut être lu comme on lit les romans de l’entre-deux-guerres.

Le second roman
Il  devient rapidement évident que si Thomas le solitaire se donne pour un roman conventionnel, il s’agit d’un piège : en absorbant le premier roman avec son intrigue et ses personnages, le lecteur se trouve exposé à une fiction qui déborde le cadre familier qui se maintient néanmoins fermement. C’est la fiction non seulement d’un individu d’une étrangeté parfois monstrueuse, mais de l’effort de forger un langage  capable de reconnaître et de donner voix à cette étrangeté au cœur de l’individu. Dans un double mouvement, le roman accentue le caractère insolite de la personne et du monde de Thomas, et remplit ce monde de figures dont le rôle est de refléter allégoriquement l’effort du roman et de son lecteur de rendre compte de ce personnage et de ce monde. Sans quitter le domaine du roman sentimental, Thomas le solitaire contraint donc son lecteur à une réflexion qui déplace la signification du roman de la fiction au récit. Narration et analyse subissent ainsi un divorce : là où le roman symboliste, ou simplement symbolique transforme les événements et les personnages d’un récit banal en les supports d’un sens inexprimable, en poursuivant le même but Thomas le solitaire opère une fracture décisive, en rendant impossible le maintien d’une lecture simple et continue. Entre l’histoire qui se déroule sur la Côte d’Azur puis à Paris, et l’allégorie de la pensée dont cette même histoire est le véhicule ; entre le triangle amoureux créé par Thomas, Anne et Irène et la réflexion sur l’être et le langage qui s’élabore à l’intérieur de ce même triangle, le lecteur ne passe qu’en subissant un renversement de perspective hautement désorientant. Et si ce renversement dépasse le cadre du roman tout en ne le quittant jamais, c’est que le véritable agent de cette fiction qu’est Thomas le solitaire n’est pas le roman mais le langage. Le langage est le vrai acteur, le personnage principal de cette fiction ; c’est lui qui mène le jeu, fournit le pont entre les deux niveaux du roman, s’entremettant en tiers entre le roman sentimental et la réflexion allégorique, sortant le lecteur de l’un pour l’exposer à l’autre dans un perpétuel renversement et une désorientation calculée. Pour jouer ce rôle, le langage du roman est toujours prêt à se séparer de la fiction dont il est le véhicule en l’interrompant par des métaphores dont l’incongruité est la règle.

La méthode narrative
Il n’y a pas à proprement parler d’intrigue dans Thomas le solitaire. Ni le ménage à trois formé par Thomas, Anne et Irène, ni la présence d’amants de passage tels que Paul, Gabriel ou Li n’oriente le roman vers le type de dénouement que son genre apparent semble prescrire. Si ce qui se passe semble tourné vers un avenir, le roman reste néanmoins pris dans un perpétuel présent, qui se répète à travers les combinatoires créées par les trois personnages, en attendant de trouver la faille qui videra le temps de sa substance chronologique en précipitant le roman vers sa fin. Car c’est cela le véritable rôle du personnage nommé Thomas : non pas d’être le héros d’un roman  sentimental, ni d’être la figure allégorique d’une fable de la pensée, mais en défaisant la figuration à la fois réaliste et symbolique du roman traditionnel, de faire coïncider le langage et ce qui suspend le langage : le hiatus de la conscience qui est la mort devenue pensée.

            Dans ce projet un rôle original et décisif est dévolu aux métaphores, qui constituent une partie importante de la substance narrative du roman. Tandis que ces figures contribuent normalement à enrichir la compréhension d’un être ou d’une situation leur rôle dans ce roman est tout le contraire. Au lieu de surajouter à la réalité de l’histoire racontée une autre réalité qui l’éclaire, dans ce roman où ce qui est racontée se réduit constamment à la même situation-limite, les métaphores s’en détachent, soit en obéissant à une prolifération autonome dont la seule loi est l’incongruité, soit en se divisant elles-mêmes entre éléments hétéroclites dont la discordance finit par devenir la seule signification. Un exemple de la première tendance : « le fonctionnaire le plus vacciné risquait d’attraper une de ces maladies honteuses qu’on nomme le dégoût de vivre, la tendresse, la syphilis » (165), et de la seconde: « homme gras, déjà voûté, le ventre flasque, il lui semblait avoir devant lui l’Hermès de Praxitèle ou Ramon Novarro » (41).  De cette manière, les métaphores deviennent métaphoriques au second degré : ce qu’elles signifient, c’est leur hiatus interne qui l’indique, offrant au fil de la narration un exemplaire répété de l’interruption que celle-ci cherche vainement à atteindre.

                Cette pratique de la métaphore n’est pas originale, et Blanchot le sait. Comme il l’indique dans son étude sur Lautréamont en 1940 et a maintes reprises par la suite, elle remonte aux romans de l’auteur allemand Jean Paul (1763-1825) et se poursuit chez Jean Giraudoux. Ces deux romanciers sont de l’aveu de Blanchot ses précurseurs et ses modèles, et Thomas le solitaire subit très largement leur influence, tout comme Thomas l’obscur. Mais les révisions répétées que ce dernier roman fait subir aux métaphores contenues dans Thomas le solitaire, les amenuisant et les modérant, mettent en valeur le caractère fantaisiste, saugrenu et parfois magnifiquement loufoque du tissu métaphorique de l’écriture romanesque du premier Blanchot. Il est significatif que dans un article postérieur à la publication de Thomas l’obscur, « De Jean Paul à Giraudoux » (1944), Blanchot réaffirme son admiration pour le rôle joué par la métaphore chez ces deux auteurs, mais dit sa préférence pour Giraudoux, qui soumet à une progression dialectique graduelle ce qui chez Jean Paul tend à s’épandre en « une véritable frénésie », « une effusion d’ivresse et une puissante incohérence » en produisant  « les harmonies les plus étranges »,« les coïncidences les plus chimériques ». 

            Ce qui permet de dire que Thomas le solitaire est écrit sous le signe de Jean Paul, tandis que Thomas l’obscur s’oriente vers Jean Giraudoux. La métaphore dans ce premier roman relève presque de la compulsion, surgissant au détour de la plupart des phrases sans motivation autre qu’elle-même. Elle accompagne ainsi le roman d’une espèce de feu roulant, feu d’artifice permanent où sans arrêt le langage de la narration anticipe sur la fin souhaitée par le roman en le réalisant ponctuellement au détour de presque chaque phrase, et ce faisant, se désignant par son auto-suspension momentanée comme la véritable scène sur laquelle la pensée cherche à penser son interruption.
            Quelques exemples supplémentaires : 
« Et la licorne elle-même apparaissant tout à coup dans cette campagne se serait mise tranquillement à brouter l’herbe, quittant la fable comme un bourgeois se retire et déjà prête pour l’abattoir » (45) ;
« Thomas se trouvait soudain jeté dans une énorme cuve de radium, où bombardé de coups de coude, de coups de tête […] il recevait tous les atomes d’une grande vie » (161) ;
« Tout ce qu’il y a d’énergie vitale, de passion d’orgueil, dans les dernières secondes avant que le coureur du Marathon / Manthinée nr tombe, avant que le membre du club des 100 n’abandonne son pari de manger cent saucisses avant la mort, soufflait là » (160-161) ;
« ayant épuisé tous les sujets insignifiants, la peinture moderne, les histoires de famille, l’immortalité de l’âme… » (166) ;
« À ses pieds venaient mourir toutes les puissances qui font qu’Œdipe épouse sa mère, que le failli se suicide le jour même où il gagne à la loterie nationale » (167) ;  
« seuls restaient pour se battre des bouchers et des normaliens qui parlent de poésie » (175) ;
« ses parents, les amis de son mari, les statues de Phidias, le curé de la Madeleine venaient à elle [Irène] »  (177) ;
« Il y avait dans les objets les plus déshérités, tire-lire dans un hôtel de millionnaire, l’assurance qu’ils ne pouvaient disparaître avec la fin du monde. L’impudence suprême était atteinte par les vide-poches, les éléphants-fétiches, les assiettes en Nevers fixées au mur… » (322) ;
« Cette nuit […] où il y avait une recrudescence ridicule de cancer, d’artério-sclérose dans l’organisme, de fêlures dans les vases » (322) ;
« avec n’importe quelle agonie, couvert d’ulcères ou pilote de l’avion-torpille, je mourais… » (323) ;
« Tous les Thomas […] étaient là […]. Quelques diplomates, un escroc, un romancier, un neurasthénique et, témoins des jours de mauvaise humeur et de vertu, trois commis-voyageurs. […] Le romancier, suprême gloire, était devenu ministre, le neurasthénique aussi, suprême catastrophe, et le commis-voyageur rencontrait Mme Bovary » (93-94) ;
« une troupe de Mussolini, de Napoléon […], de Pasteur courait la rue » (110) ;
« On avait absolument besoin d’un Philémon et Baucis cul-de-jatte, d’un Job tuberculeux, d’un Landru amoureux » (154).

Noms propres
Les noms propres sont assez nombreux dans Thomas le solitaire  par rapport à Thomas l’obscur. Trois jeunes femmes, Geneviève, Éveline et Louise s’intéressent à Thomas au début. Dans la version tapuscrite vers la fin du chapitre III on lit « Éveline se tenait un peu à l’écart ». Dans la version manuscrite Blanchot a d’abord écrit « Louise » puis l’a barré en le remplaçant pas « Éveline ». Dans le chapitre V où Thomas est devenu « l’étranger » on lit « Louise s’était promenée avec lui », mais dans la version manuscrite Blanchot a d’abord écrit « la plus jeune fille s’était promenée avec lui » avant de barrer « la plus jeune fille » et y substituer « Louise ». Ce nom qui est l’un de ceux dont Blanchot se servira régulièrement dans ses fictions ultérieures.

Quatre noms principaux figurent dans Thomas le solitaire 

Anne
Dans Thomas l’obscur Anne est une figure mystérieuse et difficile à déchiffrer. Elle apparaît tout à coup dans le chapitre IV où Thomas a pris la forme de « Il » : l’aubergiste, se retournant, voit devant lui  « une jeune fille habitant l’auberge, du nom d’Anne », qui le regarde en souriant (51).  Celui que Thomas l’obscur nomme « l’aubergiste » se nomme Antoine ou « l’hôtelier » dans Thomas le solitaire, et comme on le verra plus loin, sa présence sert allégoriquement à éclairer la signification de ce que Blanchot tente de faire dans le roman.  Et dans ce roman, c’est Antoine l’hôtelier qui sourit d’abord à Anne, souriant « pour la première fois depuis plusieurs années » (27), et c’est en réponse qu’Anne sourit. Il y a donc transfert d’initiative et aussi réciprocité : dans la distance créée par la transformation de Thomas en « un homme étrange », celui qui représente allégoriquement le romancier, voire le roman lui-même, engendre une intimité spéculaire avec l’autre personnage principal.  Beaucoup plus clairement que dans Thomas l’obscur donc, le roman établit entre Thomas et Anne une distance infranchissable qui compromet d’emblée leur recherche d’une relation. L’un et l’autre n’habitent pas la même dimension : un sourire embrasse Anne et Antoine seulement quand Thomas est absent ; quand il est là, Anne ne peut que dépérir lentement, pour finalement quitter le roman en mourant comme la suite des deux romans le montrera. C’est dire qu’Anne n’existe pas vraiment, elle est déjà morte, pure survivance, résidu visuel, rémanence vouée à se dissiper à mesure que le roman avance dans sa recherche d’une pensée de la mort. Ceci est beaucoup plus clairement exprimée dans Thomas le solitaire où, complémentant le sourire qui réunit Anne et Antoine, un élément absent de Thomas l’obscur entre en jeu.
Thomas s’installe à l’hôtel « selon les règles » ; mais, lit-on : « Ce fut à partir de ce moment qu’Antoine fut convaincu / sentit qu’il se passait quelque chose d’insolite » (27). Alors, il se met à humer l’air, cherchant à « respirer son inquiétude ». D’abord c’est « l’odeur lointaine des prairies » qui arrive, et cela le rassure. Ensuite on lit : « Le parfum d’Anne entra, puis Anne honnête femme » (28). Et c’est à ce moment qu’Antoine sourit, à la suite de quoi Anne à son tour, quoique « un peu surprise », sourit et continue de sourire. Il l’est dit très clairement : Anne n’est pas d’abord une présence visible, c’est une odeur, une pure sensation qui ensuite devient figure. Comme chez Proust et surtout chez Mallarmé, dans le Néant auquel le temps expose la conscience en posant la destruction de tout, surnage la sensation. La célèbre phrase de Mallarmé « Je dis : une fleur !... » sera adaptée par Blanchot en 1947 pour se lire « Je dis : cette femme… » (La Part du feu, p. 313). Nul doute que par ce rappel il ne se rapporte à la première grande figure féminine de sa fiction, au seuil de la grande transformation qu’il fera subir à Thomas l’obscur en 1950.     

Irène
Tout comme Anne, Irène remplit essentiellement le même rôle dans Thomas le solitaire et Thomas l’obscur. Beaucoup plus qu’Anne par contre, elle est prise dans les événements et la psychologie du roman traditionnel auquel Thomas le solitaire se conforme. Ce qui explique sans doute qu’elle disparaîtra totalement de la nouvelle version de Thomas l’obscur en 1950. On peut dire qu’ainsi, elle enracine Thomas et Anne dans le « premier » roman que Thomas le solitaire élabore et que Thomas l’obscur amenuisera systématiquement. Cela est visible dès son arrivée sur la scène dans le chapitre XIII (le chapitre XII de Thomas l’obscur). Dans ce dernier roman Anne commence à désespérer de pouvoir jamais se rapprocher de Thomas. La pensée lui vient qu’elle n’est pas faite pour lui, qu’il lui faudrait d’autres femmes. Ce que cela implique la dépasse, « Tout ce qu’elle put faire, fut de se rapprocher de la jeune femme qu’elle avait soudain choisie », et dans un jeu d’éclairage digne d’une scène de théâtre, le roman nous mène dans la chambre d’Irène, qui dort d’un sommeil lourd (166). Dans Thomas le solitaire, l’action et les sentiments ont pour cadre le monde réel que ce roman dépeint. Anne, lasse de l’indifférence de Thomas constate que devant cette « ombre froide » même les prostituées se découragent et détournent leurs yeux. Elle décide donc de lui faire faire la connaissance d’une amie, qui s’appelle d’abord au moins non pas Irène mais Hélène, « qui habitait l’appartement le plus froid […] qu’on put trouver à Paris. C’était le seul d’où il fût impossible d’apercevoir, par aucune des fenêtres, la Tour Eiffel, Notre Dame ou une maison délabrée avec du linge, toujours le même, séchant aux croisées » (167).

Chose remarquable, cependant, à un certain moment dans le tapuscrit de Thomas le solitaire  (p. 170), le nom d’Hélène est remplacé inopinément par celui d’Irène, tandis que dans le manuscrit le nom d’Hélène continue de figurer pendant assez longtemps, avant de céder à son tour à Irène à la page 177, donc presque en fin de chapitre.  

Dans les deux livres, Hélène-Irène a un mari et des amants. Dans Thomas le solitaire son mari la trompe avec Solange, avec Berthe et elle le trompe avec Li, avec Gabriel qui l’attend dans sa garçonnière, en préparant le thé pendant l’émeute se prépare. Ce roman met ainsi l’accent sur l’aventure sentimentale d’Irène avec plusieurs hommes et enfin Thomas, tandis que Thomas l’obscur souligne la distance que Blanchot établit entre la narration et le genre romanesque traditionnel, en qualifiant ces sentiments d’ « abstraites et monstrueuses allégories ». Comme dans Thomas l’obscur, en allant à sa rencontre avec Thomas Hélène-Irène se trouve mêlée à l’émeute. Mais dans Thomas le solitaire un lien très précis est créé entre elle et l’événement : « Elle allait à son rendez-vous amoureux, empruntant tout naturellement les voies que lui frayait la révolution » (176). Elle est même « le seul révolutionnaire ». Quand enfin elle s’assoit à côté de Thomas dans le cinéma, devant «les images les plus insignifiantes du cinéma » (180), il est beaucoup plus clair dans  ce roman que dans Thomas l’obscur qu’entre la révolution et l’image il existe une relation que Blanchot évoque dès 1937 dans son premier texte de critique littéraire pour L’Insurgé, « De la révolution à la littérature ». Explicitement dans le roman, cependant, il adopte une perspective demeurée implicite dans son texte critique mais qui correspond certainement à son jugement au lendemain des événements du 6 février 1934 : que la révolution est d’essence imaginaire, que comme dans L’Éducation sentimentale de Flaubert elle a sa ressource dans l’image, et que négliger cette vérité première c’est condamner la révolution à échouer.       
 
 
Thomas
Comme pour séparer d’entrée de jeu le roman du personnage dont il porte le nom, Thomas le solitaire s’ouvre avec la décision de Thomas pour la première fois de ne pas se baigner, mais, « toujours étendu sur les galets de la plage », d’entrer dans la mer en esprit et, « merveilleusement soutenu par une pensée », « la mer ayant atteint son plus haut degré de puissance qui est d’être conçue par l’esprit et réfléchie en images matérielles» (2), de s’abandonner et de se laisser noyer. Le lien entre ces deux niveaux fondamentaux : la réalité, l’esprit, est ainsi tranché dès le départ dans ce roman. On se croirait dans le roman de Jean Cocteau, Thomas l’imposteur (1923), dont le héros, atteint d’une balle, dit « je suis perdu si je ne fais pas semblant d’être mort ». Mais au moment où, dit le roman, « la fiction et la réalité ne formaient qu’un », Thomas meurt vraiment et le roman est fini.  Le Thomas de Blanchot arrive au même stade : « Dans cet instant où il rêvait les apparences de la mort, il ne s’aperçut point qu’il venait de souffrir une mort véritable ». Mais son ignorance va offrir un nouveau départ au roman par rapport à ce que Cocteau en  fait, en devenant le foyer même du roman de Blanchot : ce dont Thomas ne s’aperçoit pas, en le poussant à continuer à chercher la mort qu’il a déjà subie, devient le principe générateur d’une fiction où l’impossibilité de se savoir mort, simple aporie pour la pensée, devient la recherche de ce qui constitue cette impossibilité, et la déconstruction systématique de toute l’armature rationnelle de la pensée qui cherche à se mesurer à cette réalité. 

            C’est dire l’importance catégorique du roman de Blanchot non seulement pour la fiction mais surtout pour l’évolution de la pensée au vingtième siècle. Ce roman accompagne et même devance les immenses changements qu’on associe avec la philosophie d’Emmanuel Levinas, de Jacques Derrida, de Jean-Luc Nancy mais aussi de Martin Heidegger dont Blanchot sera un des critiques les plus tenaces. Mais là où Thomas l’obscur présentera dès son premier chapitre la situation paradoxale de mort vivant dans lequel son héros est pris, il faudra les six premiers chapitres de Thomas le solitaire pour arriver au même point. Impatient dans Thomas l’obscur d’en venir aux rencontres féminines, avec Anne, avec Irène, à travers lesquelles son roman se défera systématiquement des ressources de la pensée, Blanchot semble avoir eu besoin dans Thomas le solitaire de préparer ce mouvement dans beaucoup plus de détail et parfois assez laborieusement. Ainsi, si l’indifférence émerge très vite comme l’état d’esprit auquel renvoie le nom de Thomas, le faisant avancer entre les deux modes de son nouvel état, elle se dégage avec difficulté d’une histoire individuelle assortie d’une psychologie conventionnelle qui maintient ce premier roman dans le cadre du roman traditionnel. Ainsi par exemple quand Thomas se relève après sa noyade, il voit « des corps qui n’étaient que des membres et des têtes qui n’étaient rien », tandis que sa propre figure « gardait de son rêve une sorte de fixité marine qui expliquait la fixité glauque de ses yeux » qui lui donne l’air inhumain d’un poisson. « Mais lui-même », lit-on, « n’éprouvait rien ». Il n’est rien qu’un regard. Mais ce qu’il y a d’insolite de ce regard, par exemple quand il se pose sur trois jolies femmes et qu’une d’entre elles le regarde en retour, reste encastré dans l’histoire personnelle de Thomas : 
« Jamais depuis deux générations, un homme de la famille de Thomas n’avait négligé de comprendre les promesses de ce discours ; et la mimique d’indifférence et de dédain qu’il fit, pour s’y refuser, le détacha d’un seul coup de toute une lignée de gens aimables, infidèles et galants, pour ne lui laisser de lien qu’avec un lointain aïeul, du temps du premier Empire, hypocondre et misogyne » (4).
Et l’indifférence d’où il émane, « cette indifférence si merveilleuse dont il éprouvait la naissance dans son cœur » (4), reste quelque chose dont Thomas demeure conscient, sur lequel son esprit continue de réfléchir et qui comme le début du chapitre II le montre, s’inscrit dans le temps au même titre que son histoire familiale : « Il se souvint longtemps de cette après-midi où le bonheur lui fut offert […] comme un sentiment inépuisable d’indifférence » (6).

            Pendant encore quatre chapitres la mort de Thomas va se transformer en un mourir systématique et lucide. La logique qui dicte que se savoir mort signifie ne pas l’être tout à fait, va être mise en scène et peu à peu opposée en préparation de la rencontre avec Anne et ensuite Hélène-Irène, à laquelle Anne présentera « son ami mort » (181). Dans le chapitre II c’est donc le monde qui s’en va, la terre et la mer, comme dans l’Arche de Noé, laissant Thomas comme « le dernier survivant dans cette débâcle dont il voyait frappée la nature » (9). Les trois jeunes femmes parlent : « ‘Nous ne le verrons plus’ dirent-elles en chœur. Thomas connut ainsi qu’il avait quitté le monde » (9). Mais ce n’est pas fini : maintenant, il s’agit de le priver de son moi. Il revient à l’hôtel pour dîner et trouve à sa place « un jeune homme timide qu’il ne connaissait pas » (10). Les longues jambes de celui-ci, ainsi que ses yeux bleus et cheveux blonds font penser à un bref autoportrait destiné à mettre en valeur l’éloignement fantomal de Thomas, qui tourne autour de ce jeune homme et des autres pensionnaires « recherchant avec désespoir, au moment de quitter la terre, les dernières traces de l’homme » (14).  

            Mais il ne quitte pas encore la terre. Très clairement à ce stade du roman on voit que Blanchot  suspend le dernier moment qui n’arrive pas à être le dernier, afin de le dégager de toutes les représentations dont la pensée l’entoure. Maintenant, le monde et le moi physique ayant été congédiés, c’est le raisonnement et la psychologie qui prennent le dessus dans le chapitre IV : « Thomas le lendemain et le surlendemain n’éprouva qu’un sentiment qui l’occupait tout entier, mais qu’il ne pouvait définir » (15). Il se retourne vers son enfance à la recherche d’une explication des « aptitudes monstrueuses » qu’il sent naître en lui (18). Mais ses souvenirs se défont, il est, « au milieu de ses souvenirs défigurés et contrefaits, comme un étranger » (21). Il descend sur la plage : nous voilà non seulement au moment où « il brisa avec lui-même, au moment où il cessait de s’en séparer par une pensée » (23), mais arrivés à la section de Thomas le solitaire qui sera repris dans la scène de lecture du chapitre IV de Thomas l’obscur. Pour lui-même et pour le roman qui le remplace il s’agit d’un tournant. C’en est fini du Solitaire, et chacun à sa façon, la suite du roman et le roman qui lui fait suite, s’éloignera radicalement dans son prochain chapitre du personnage originel, soit en le transformant en « un homme étrange », soit en le présentant « sous la forme d’Il ». Dans le court paragraphe (non repris dans Thomas l’obscur) qui clôt le chapitre IV et avec lui la phase d’exposition du roman, la narration se met au présent pour signaler que mort et pensée vont enfin coïncider: « Thomas enfin a compris quelle lente mort peu à peu le saisit. Immobile sur la rive, il est seul : les choses s’écoulent devant lui » (25) (le tapuscrit disait s’écroulent à l’origine, mais le « r » est barré à l’encre. Dans la version manuscrite on lit s’écoulent). C’est le moment de faire entrer celui que Thomas le solitaire appelle l’hôtelier et Thomas l’obscur l’aubergiste. 
    
Antoine

C’est un indice de l’importance capitale de ce qui se passe au début du premier roman de Blanchot que pendant les six premiers chapitres, Thomas le solitaire et Thomas l’obscur diffèrent fondamentalement l’un de l’autre. Autrement dit, si le déroulement du roman est le même en dépit de plusieurs différences considérables, pour en arriver là Blanchot a entrepris un grand travail de transformation entre Thomas le solitaire et Thomas l’obscur.

La différence entre les deux romans se concentre dans la figure de l’aubergiste. Dans le chapitre V de Thomas l’obscur,  celui-ci a une fonction assez limitée qui est de recevoir Thomas et de charger une jeune servante de l’accompagner  jusqu’à sa chambre, et ensuite d’accueillir Anne. C’est un homme fatigué, absent, ébloui par le soleil, à peine maître de sa fonction et préoccupé par « l’impression qu’il aurait prochainement à faire davantage, quelque choses dont il n’avait nulle envie et ne présageait rien de bon » (50). Au début du chapitre VI il sort avant le crépuscule, « s’engage à travers les hautes herbes du pré, se couchant parfois et laissant derrière lui des empreintes profondes ». Il n’est déjà plus qu’une ombre fuyante, « mais plus épaisse qu’un corps lorsque tout commença à disparaître autour de lui » (55). Il voit le soleil disparaître, la lune l’éclaire, il voit tomber une étoile puis Anne sourire. « La nuit brillante l’enveloppa » : sa tâche est finie, la mise en train du roman est achevée, on ne le verra plus.

Le rôle de l’aubergiste dans Thomas le solitaire est tout sauf épisodique. Si Thomas s’impose d’entrée de jeu comme le personnage principal, pendant plusieurs chapitres celui que le roman désigne comme l’hôtelier et qui s’appelle Antoine (et par deux fois Martin dans la version manuscrite) sera mêlé à l’histoire au cours de laquelle le roman réaliste amènera d’abord Thomas et Anne vers une rencontre au niveau du symbole, pour ensuite laisser mourir d’Anne et lâcher Thomas  (« homme sous la forme d’Il ») dans l’écriture même (« Il… »). Plus précisément, dans l’élaboration de l’histoire au cours de laquelle Thomas rencontrera Anne, Antoine aura non seulement un rôle mais un point de vue sur ce qui se passe. Bref il sera un personnage à plein titre auquel l’étranger s’adressera en l’appelant M. Pannetier.   C’est constater l’immense progrès dans l’art romanesque qui marque le passage de Thomas le solitaire à Thomas l’obscur de voir la manière dont le personnage d’Antoine se réduit à être l’aubergiste du roman de 1941. Là où, en quelques traits choisis, celui qui figure le roman lui-même se réduit réflexivement à n’être qu’une impression laissée sur le monde du roman par « une ombre fuyante, mais plus épaisse qu’un corps » (55), on assiste dans Thomas le solitaire à un procédé assez laborieux de mise en scène et de mise en train, où les rouages s’embraient et les leviers grincent pour permettre à l’allégorie de dépasser sa fonction habituelle et, allon agoruein, d’amener ce qui est vraiment autre sur la scène du roman. Une psychologie générale des hôteliers, leurs ruses, leur âpreté au gain et la mesquinerie de leurs rapports avec les gens sont évoqués avec la complaisance et la délectation du romancier dont le but principal est de peindre les mœurs. Et le point de vue de l’hôtelier sert à doter Thomas d’une épaisseur romanesque des plus conventionnelles : « Ses manières bourgeoises étaient rassurantes » lit-on. « Mais c’était un homme étrange » (26).

Mais c‘est dans le chapitre VI qu’Antoine vient vraiment sur le devant de la scène. Comme au début du chapitre VI de Thomas l’obscur, l’aubergiste sort au moment du crépuscule. Mais dans ce dernier roman il a rempli son rôle, il ne lui reste qu’à partir. Dans Thomas le solitaire au contraire il passe par une série de métamorphoses qui approfondissent la signification allégorique qu’il porte. D’abord, l’étranger commence à n’être guère plus qu’un fantôme, une ombre et, devenant de plus en plus obscur, finit par perdre toute ressemblance humaine pour ressembler à un monstre. Antoine le suit, le perd  de vue, se trouve heureux de ne pas partager son être avec un fantôme et commence à jouir d’avoir un corps. Mais très rapidement, il commence à sentir que c’est lui-même l’étranger. Ce déplacement de rôle s’accompagne de la découverte que sa présence physique est celle du langage. C’est le début de la métamorphose qui dans Thomas l’obscur réduira Thomas à « la forme d’Il ». « Pour la première fois il s’avisait que les mots parlent. Découverte terrible » (36) ». Mais les mots sont doubles, frappés d’une maladie inconnue qui entraîne leur décomposition, et comme si Blanchot anticipait sur ce qu’il allait écrire sur Les Fleurs de Tarbes de Jean Paulhan, on lit « il mouvait à tort et à travers une machine infernale qui à chaque instant éclatait en silence et anéantissait peut-être une partie invisible de l’univers » (36). 

Désormais, l’histoire d’Antoine va devenir la fable de la création romanesque dont Thomas le solitaire se veut l’aboutissement en faisant du langage le véritable « héros » du roman. Il continue de remplir son rôle d’hôtelier et donc de personnage de roman traditionnel. Mais le site du roman a changé : « Il se préparait à recevoir en lui un hôte illustre » (39). Tout lui est donc interne. Ainsi, il arrange la chambre 12, mais abstraitement, de manière géométrique, pour « accueillir un personnage à deux dimensions,  pensant par triangles et se mouvant / déplaçant à angle droite ». Puis il se regarde dans la glace, souffle sur le verre et y voit une image tout à coup formée : « Procédé mis à la mode par Dieu il y a dix mille ans, un homme venait soudain de naître » (le manuscrit et le tapuscrit montrent que Blanchot a hésité avant de se fixer sur cette phrase plutôt désinvolte pour un homme de son milieu). Mais la « création » ici est déjà minée par le principe de décomposition qui habite le langage. Ce qu’Antoine voit, c’est un monstre, sans nez, sans bouche, sans oreilles, avec à leur place « une topographie monstrueuse » (40). Et désormais c’est cela sa tête : il respire « avec une trompe de chair », parle par « un trou misérable » dont on devine l’identité. Entre les mots et le corps il y a eu divorce : « les yeux ne sont pas les yeux mais de petits corps suintants et malpropres » (41). Sa tête n’est qu’un « moignon infirme ». 

On peut se demander si cette métamorphose ne rappelle pas soit le Loup des steppes d’Hermann Hesse (paru en français en 1931), soit Le Cas étrange du Docteur Jekyll et de Monsieur Hyde de Stevenson (paru en 1924) ou enfin L’Homme invisible de Wells (paru en 1932) dont James Whale a tiré un film en 1933. On pense aussi au Satan l’obscur de Jean de Bosschère (1933)  enfin au Jérôme Bardini de Giraudoux (1930), dont le héros a pour surnom « l’Ombre » et qui offre de nombreuses ressemblances avec le roman de Blanchot. Mais ce que tente Blanchot dans Thomas le solitaire va au-delà de toute ressemblance possible avec d’autres œuvres. Car Antoine après quelques jours s’habitue à ce que le roman appelle « ce nouvel organe ». « Adam pour son propre compte entre quatre murs d’hôtel », il voit sa figure perdre ses ventouses et ses boursoufflures et, « ainsi engendré tout entier à nouveau » (42), Antoine revient au monde, portant désormais en lui la division entre un langage qui se défait et un monde en perpétuelle métamorphose qui va devenir le foyer du roman de Thomas et d’Anne.  La fable finit par ce qui se lit comme un rapide parcours de l’histoire du roman moderne représenté par l’expérience d’Antoine, dont le passé d’hôtelier est évoqué en des termes qui rappellent le réalisme et le naturalisme, tandis que sa nouvelle personne, devenue attentive au langage secrète des choses incarne le moment symboliste : « Il s’était aperçu que chacun des sens est en rapport avec une portion mystérieuse de l’univers » (45). Mais – et c’est ici que le roman de Blanchot signale très clairement l’originalité à laquelle elle aspire – Antoine est arrivé trop tard : la nature ne répond plus, les symboles sont morts avec le monde, au désespoir il se sent « perdu au sein d’une indifférence universelle ». Après ce grand détour qui l’a éloigné de Thomas, le roman se rapproche ainsi à nouveau de lui, et Thomas le solitaire se rapproche de Thomas l’obscur. Entre le roman et le roman du roman il y convergence, pour que désormais cette œuvre en apparence unie et close puisse progressivement s’ouvrir sur une écriture radicalement nouvelle. Antoine traverse la campagne du roman en laissant derrière lui ce que le premier roman appelle des « chrysalides de plus en plus lourdes » (47) tandis que Thomas l’obscur les réduit à « des empreintes profondes » (55). Le monde est déjà mort, elle vit sa fin, Antoine lève les yeux et voit Anne qui lui sourit. «La nuit enfin lui faisait signe » (49). Cette dernière phrase rend beaucoup plus clair que son équivalent dans Thomas l’obscur (« La nuit brillante l’enveloppa » (56)) le sens et la fonction de la figure d’Anne, qui arrive définitivement à ce moment sur la scène du roman. Anne représente l’endurance, pour l’esprit qui pense sa propre extinction, de l’irréductible résidu humain qui continue de faire signe par le fait même que l’esprit continue d’agir. C’est pour cela qu’elle doit être éliminée à son tour pour qu’une pensée de la mort tout à fait nouvelle puisse naître sous le nom de Thomas. La tâche d’Antoine a été d’accueillir les deux figures principales du roman, pour que leur histoire d’amour puisse aller vers son échec.      

Une fois son rôle accompli Antoine disparaît sans cérémonie de Thomas le solitaire. Il surgit momentanément dans le chapitre VIII, où son âme éprouve « un mouvement étrange d’inquiétude » (63). Mais c’est comme par mégarde,  cela n’a aucune suite, on n’en entendra plus parler.        

La fin
Thomas le solitaire finit comme Thomas l’obscur  avec la fin de tout. Cependant, dans un changement décisive, Thomas l’obscur emprunte le schéma du Cantique spirituel de Saint Jean de la Croix, tandis que dans Thomas le solitaire ce qui arrive rappelle le livre de l’Apocalypse. Ce changement marque un tournant décisif chez Blanchot dans son travail de romancier, en introduisant la figure d’Aminadab autour duquel il construira un deuxième roman en 1942. Il témoigne aussi et plus généralement d’un revirement décisif par rapport à la spiritualité chrétienne, qui débouchera sur l’athéisme radical auquel Blanchot consacrera toute son activité d’écrivain et de penseur. On peut spéculer que ce fut la rencontre avec Georges Bataille en 1940 qui aurait précipité ce revirement. Mais lauréat en 1939 du Prix Henri-Dumarest, décerné par l’Académie Française à un auteur « dont l’attitude témoigne de préoccupations plus spécialement spirituelles », Blanchot est présenté comme un auteur qui termine une étude sur des écrivains mystiques tels que St Jean de la Croix, et qui va bientôt faire ses débuts de romancier. Cette évolution semble donc bien avoir été inspirée par un changement intérieur. Que ce changement soit encore à venir lors de la rédaction de Thomas le solitaire semble évident d’abord quand on lit la métaphore suivante : « elle [Irène] atteignait à cette transparence idéale à travers laquelle Saint Jean de la Croix en se voyant voyait la Trinité sous la forme la plus divine, la forme de rien, comme on voit en regardant dans un porte-plume acheté à Plougastel une cathédrale et la mer » (283). Et à la fin du roman, c’est sur une sorte d’hymne dont les tonalités font penser à Péguy ou à Claudel que le monde et les hommes trouvent leur fin : 

« O avalanche d’images grossières dont ils profitent dans un plaisir suprême qui les abouche avec la pure joie. O fleuve irrésistible de Dieu qui s’engouffre jusque dans leurs intestins et roule dans leur cavité de suaves sensations. […] C’est qu’ils ont découvert que la mer, immense fadeur, cette mer, cristal vivant, fond sous leur corps de sel. O vendange saccagé maintenant tarie, affreuse vendange qui se boit. L’abîme lui-même se confond. Le néant prépare sa fin. L’univers est perdu. » (323) 
(La version manuscrite contient plusieurs révisions et alternatives, par exemple ceci, écrit au-dessus de la ligne : « Le néant se prépare sa fin. L’abîme se confond. Le véritable univers est perdu ». Cette conclusion semble avoir exigé un certain travail avant de satisfaire son auteur).

             Et le roman  conclut : « Il est temps, o Thomas, de faire comme les hommes qui arrachent leur tête de leurs épaules [+ en manuscrit : « et  dispersent leurs membres »] d’entrer avec eux dans la mort seconde ». Phrase obscure, énigmatique. Toutefois cette « mort seconde » semble renvoyer au livre 20 de l’Apocalypse, dont le verset 13 dit « La mer rendit les morts qui étaient en elle, la mort et le séjour des morts rendirent les morts qui étaient en eux », et le verset 14 : « Et la mort et le séjour des morts furent jetés dans l’étang de feu. C’est la seconde mort, l’étang de feu ». Un grand travail d’exégèse serait nécessaire pour élucider ce que la fin de Thomas le solitaire signifie. Mais le rapport au livre de l’Apocalypse semble évident.
Note sur les deux versions 
Les deux versions du roman correspondent l’une à l’autre sans aucun doute. Le texte manuscrit est identique dans sa diversité au texte du tapuscrit.
Il apparaît clairement que Blanchot composait Thomas le solitaire en écrivant. Le texte dans la version manuscrite contient un très grand nombre de ratures, de faux départs, de versions alternatives au-dessus de la ligne, de divers codes indiquant le statut de tel mot ou de telle expression (soulignement en pointillé ou avec une ligne ininterrompue, emploi de /…/ pour isoler un mot ou une phrase…). C’est vraiment à la naissance du roman qu’on assiste en déchiffrant ces pages.
            Il semble fort probable que Blanchot a fait taper son texte par quelqu’un d’autre. À la différence de la version manuscrite, le tapuscrit ne témoigne d’aucun travail de composition. Par ailleurs, il reproduit fidèlement les alternatives et les symboles contenus dans le manuscrit, remettant donc à plus tard le choix définitif ; des coquilles mais aussi des erreurs de lecture sont corrigées de la main de Blanchot. Les omissions sont rectifiées. Plusieurs pages du tapuscrit correspondent sans doute à de faux départs ou au besoin de retaper un passage.
 
Michael Holland   
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