Victor SEGALEN
Double lettre autographe signée adressée à Emile Mignard : "Manga Reva, aux Gambier, ce fut la honte de la mission catholique."
Îles Pomotou 2 & 21 janvier 1904, 11,5x15,4cm, 4 pages sur un double feuillet.
Double lettre autographe signée de Victor Segalen adressée à Emile Mignard. Quatre pages rédigées à l'encre noire sur un double feuillet. Pliures transversales inhérentes à l'envoi, une infime déchirure sans manque de texte à la pliure du premier feuillet.
Emile Mignard (1878-1966), lui aussi médecin et brestois, fut l'un des plus proches amis de jeunesse de Segalen qu'il rencontra au collège des Jésuites Notre-Dame-de-Bon-Secours, à Brest. L'écrivain entretint avec ce camarade une correspondance foisonnante et très suivie dans laquelle il décrivit avec humour et intimité son quotidien aux quatre coins du globe. C'est au mariage de Mignard, le 15 février 1905, que Segalen fit la connaissance de son épouse, Yvonne Hébert.
Lettre écrite en mer alors que le docteur Segalen s'apprête à effectuer une nouvelle tournée médicale aux Îles Pomotou et revient de l'archipel des Gambier :
« Nous venons, mon bien cher Emile, de passer cinq jours aux Gambier ; climat plus tempéré, par la latitude plus basse et les alizés immuables. Je suis, en ces tournées, le gros indépendant du bord, choyé des terriens qui ont besoin de moi car pas de médecin, et libre du bateau, mes vingt minutes de visite passées. Tous les matins un cheval m'attend à terre ; un étrange et solide cheval cagneux, museau court, petit et rond, d'une allure inconnue à Tahiti, et qui m'emmène avec un courage et une sûreté incroyables à travers la montagne. Étonné, je demande ses ascendants : c'est une bête de l'île de Pâques, venue jadis du Chili, un vrai « mustang »de prairies. »Segalen évoque dans cette lettre l'évangélisation des Gambier au milieu du XIX
ème siècle :
« Manga Reva, aux Gambier, ce fut la honte de la mission catholique. Et le despotisme inquisitorial des premiers missionnaires, les P. Laval et Caret, des Picputiens (sic)
, y a laissé de profondes empreintes. Actuellement encore l'élément religieux y est louche. » Les Picpuciens furent envoyés par le Vatican afin de défaire les Polynésiens de l'influence des pasteurs protestants. A Mangareva, ils établirent une théocratie despotique dont les derniers feux flambent encore lors de la visite de Segalen :
« Et j'ai dû, prévenu par le résident, procéder à l'enlèvement sur la Durance, sous couvert médical, d'une religieuse brimée, affamée, éreintée par sa supérieure. »Hormis ses tournées médicales, le docteur Segalen continue de se consacrer à la composition de ses
Immémoriaux :
« J'en ai fini avec ma période d'incubation Polynésienne. Parfois je m'exerce à penser en Tahitien. Puis je vérifie le degré de probabilisme sur les indigènes. Je vais avoir deux mois de tranquillité et vais donner un sérieux coup de collier. À mon départ pour Nouméa j'aurai terminé le 1/3 de mon livre, la partie fêteuse, guerrière, vrai-Maorie de l'ancien Tahiti. Je t'en enverrai, comme primeur, quelques chapitres. » Segalen est également sur le point d'expédier l'article sollicité par Saint-Pol-Roux dans sa lettre du 15 octobre 1903 (« Oh dites-nous quelque chose sur ce malheureux de la Destinée qui fut souvent un grand artiste, et à sa manière un Maître. Comment se fait-il que vous n'ayez pas adressé quelque relation sur cette mort au
Mercure de France qui l'eût accueillie avec enthousiasme ? ... ») :
« D'ici demain, pas un instant ; suis obligé de mener de front : un articulet à expédier au Mercure sur Gauguin, mon courrier et un accouchement interminable qui me vole mes nuits. » Un article apologétique intitulé « Gauguin dans son dernier décor » paraîtra effectivement en juin 1904 dans le
Mercure de France. Segalen y décrit les derniers jours du peintre dans sa Maison du Jouir.
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