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Signiert, Erste Ausgabe

Richard WAGNER Oper und Drama

Richard WAGNER

Oper und Drama

Verlagsbuchhandlung von J.J. Weber, Leipzig 1869, 14,5x23cm, relié.


| Ce superbe aveu autographe de Wagner recèle une vérité secrète liée à son histoire d'amour contrarié |
*

 


Deuxième édition en partie originale, avec une nouvelle préface (« An Constantin Frantz », datée du 28 avril 1868 à Tribschen bei Luzern). La première édition a été publiée chez le même éditeur en 1852.
Reliure en plein maroquin bordeaux, dos à cinq nerfs, date dorée en queue, gardes et contreplats de papier coquille, encadrement d'une dentelle dorée sur les contreplats, premier plat de couverture conservé, tête dorée, double filet doré sur les coupes.
Quelques rousseurs, plus prononcées sur certains feuillets, une petite res­tauration au coin supérieur droit page IX-XIV sans atteinte au texte, une annotation au crayon pages 116 et 139, habiles restaurations en tête et en pied du mors supérieur.
Exceptionnel et intime envoi autographe signé de Richard Wagner à un ou une mystérieuse dédicataire :



« Hierbei sollst du meiner gedenken, denn alles habe ich ernstlich gemeint. R. W. »
[Tu te souviendras de moi, car tout cela je l'ai pensé sérieusement].



 ***
 


Cette émouvante confidence manus­crite à la tonalité éminemment personnelle, de surcroît sur le plus important de ses écrits théoriques, se distingue radicalement des expéditifs « Zur Erinnerung » écrits par le com­positeur sur ses partitions d'opéra, ou des petits mots qu'il avait coutume de distribuer aux mécènes à l'issue de ses représentations.
Nous n'avons pu référencer aucun autre exemplaire d'Oper und Drama avec envoi passé sur le marché ou dans une institution. L'autobio­graphie et la correspondance du compositeur révèlent cependant l'existence de deux dédicaces sur cette œuvre majeure. Un premier envoi est adressé à Theodor Uhlig sur le manuscrit original du texte, avec une ci­tation autographe inspirée de Goethe. Le second et seul autre envoi mentionné dans une lettre de Wagner aurait été réa­lisé sur la présente édition pour Malwida von Meysenbug. S'il n'est pas impossible que notre exemplaire du « livre de tous les livres sur la musique », selon Ri­chard Strauss, soit celui-ci, le style et la teneur de l'envoi permettent de légitime­ment attribuer cet exemplaire à un dédi­cataire plus prestigieux encore.
 
UN MANIFESTE « TRÈS SOLIDE »
Wagner achève en février 1851 l'écri­ture d'Oper und Drama. Ce « livre très so­lide » – tel qu'il le décrit dans une lettre à Franz Liszt, énonce les principes révolutionnaires du Leitmotiv et de Gesamtkunstwerk, utopie politique et esthétique d'un drame musical syn­thèse des arts. Le texte fait partie de ses Zürcher Kunstschriften, trois essais fondateurs composés durant ses années d'exil suisse, avec Kunstwerk der Zukunft, et Die Kunst und die Revolution. Il y expose la forme qu'allait prendre son célébrissime Ring, futur « festival scénique en un pro­logue et trois journées », et inclut ses ré­flexions sur la relation art et société, ainsi que ses théories sur l'avenir de l'opéra. En 1868, il décide d'achever la composi­tion de cette monumentale tétralogie et travaille simultanément à la seconde édi­tion d'Oper und Drama, qui paraîtra en fin d'année 1868 – et non en 1869 comme l'indique la couverture. Elle ne différera finalement de la précédente que par sa nouvelle préface – le peu de modifications apportant ici la preuve de la permanence de sa vision musicale et artistique près de vingt ans après sa première rédaction. Il ne cessera de la défendre avant de trou­ver la manifestation ultime de son grand œuvre à Bayreuth en 1876.
Cette seconde publication corrigée et en­richie d'une préface repensée, s'inscrit donc dans le processus créatif de l'artiste en élevant sa réflexion au rang de mani­feste politique et musical, comme en té­moigne la dédicace aussi intime qu'énig­matique de notre exemplaire.
 La prééminence de l'ouvrage pour le compositeur, l'absence d'attribution explicite de l'envoi, le tutoiement, et la teneur du mes­sage confirment l'importance du dédicataire et son appartenance au cercle intime de l'auteur.  
Parmi les personnalités gravitant autour du maître à la date de l'envoi, plusieurs ont pu susciter cette dédicace :
 
 FRIEDRICH
Friedrich Nietzsche est sans nul doute le plus important. Il rencontre Wagner pour la première fois cette même année. Au moment même de la publication de cette édition, il séjourne chez son men­tor à Tribschen, où les deux génies sa­crés connaissent une intense émulation artistique et intellectuelle. On sait que Nietzsche sera durablement influencé par Oper und Drama et, plus encore, qu'il pos­sédait sans doute lui-même cette seconde édition, recommandée à son ami Erwin Rohde dans une lettre du 25 novembre 1868. Il fera l'éloge de l'ouvrage à plu­sieurs reprises dans sa correspondance, notamment dans les mois qui suivirent cette parution.
 
 FRANZ
On pourrait également penser au compo­siteur Franz Liszt, qui demeurera un im­mense soutien artistique et financier, ainsi qu'un ami intime de Wagner qui s'instal­lera définitivement avec Cosima, la fille de Liszt et Marie D'Agoult, en novembre 1868, au moment de la parution de cette édition.
 
 LOUIS
Enfin, le plus important mécène de Wa­gner, Louis II de Bavière, avait lu avec grande attention la première édition d'Oper und Drama dès l'âge de treize ans, comme le révèlent ses journaux intimes. L'année de cette seconde édition si appré­ciée de son ami, Wagner adresse un envoi sur la partition de Siegfried, au souverain mélomane qui lui permettra d'accomplir sa vision artistique à Bayreuth.
 
 ALPHONSE
Provenant directement de la bibliothèque de Léon Daudet, notre exemplaire aurait également pu être dédicacé à Alphonse Daudet lui-même. En effet, Wagner avait une très grande admiration pour Daudet comme le rapporte Hugues Le Roux dans le journal Le Temps du 7 mai 1887 : « Je me suis alors souvenu d'avoir un jour entendu M. de Fourcaud, de retour de Bayreuth, dire à Alphonse Daudet : « Vous savez que Wagner a votre portrait sur sa table. Et, bien que vous ne soyez pas de la confrérie des musiciens, il vous fait l'honneur de te­nir à votre suffrage. Il m'a demandé, une des dernières fois que je l'ai vu : « Est-ce que Daudet m'aime ? ». L'auteur des contes du lundi et inventeur du substantif « wagnérien », partageait cette admira­tion :



« Je trouve le musicien au-dessus de tout. Vous êtes là, assis dans votre fauteuil, baigné de ce brouillard allemand, et tout d'un coup, dans l'orchestre, la vague pro­digieuse, la lame de fond se lève qui vous prend, qui vous roule, qui vous emporte où elle veut, sans résistance possible, avec cent mille pieds de musique au-dessus de la tête. Quelles phrases voulez-vous faire chanter à cette voix d'élément ? Jamais je n'ai si bien senti que la musique est un lan­gage inarticulé ; les seules paroles que l'on pourrait faire clamer par cette bouche d'ombre, ce seraient des mots sans suite, étiquettes de situations ou de sentiments, comme « mer... larmes... deuil... guerre... ».



Si nous n'avons pu relever aucune corres­pondance entre les deux hommes pour étayer cette attribution, cette immense estime réciproque explique la présence d'un tel exemplaire dans la bibliothèque des Daudet, quelles que soient les circons­tances de son apparition au sein de cette prestigieuse famille.

Toutefois, ces hypothèses se heurtent au ton familier et même intime de l'envoi : dans sa correspondance, le compositeur n'a pas l'habitude de tutoyer ses amis, à l'exception notable de Liszt, son intime depuis 1849. Il était en effet connu pour son usage très parcimonieux de la seconde personne du singulier, dont cet envoi est l'une des exceptionnelles occurrences. Tutoyant sans nommer, Wagner fait un choix certainement intentionnel de for­mulation, qui pourrait indiquer le carac­tère scandaleux ou du moins secret de la relation qui l'unit au dédicataire.
On peut ainsi raisonnablement supposer que l'envoi ait pu être écrit à une maîtresse, amante, mécène, ou muse – d'autant que le contenu même d'Oper und Drama est une ode à l'identité musicale de la femme :  « La musique est une femme. La nature de la femme est l'amour : mais cet amour est l'amour qui re­çoit et qui se donne sans réserve dans la conception. »
 
 PAULINE
Une première piste féminine est ouverte par la provenance de notre exemplaire.
Il aurait ainsi pu être dédicacé à Pauline Viardot, qui recevait de Wagner des lettres en allemand et prêta sa voix à Yseut, ac­compagnée au piano par le compositeur lui-même. La cantatrice aurait ensuite of­fert son précieux exemplaire à Alphonse Daudet, lors d'une de ses visites régulières à la célèbre villa Viardot de la Celle-Saint-Cloud, haut-lieu de rencontre de l'intelli­gentsia européenne.
 
 JULIE, MALWIDA
Parmi les autres personnalités féminines qui ont pu recevoir ces précieux mots du compositeur, on peut citer Julie Ritter, première mécène des années zurichoises, ou bien la fameuse Malwida von Meysen­bug, présente à la première des Maîtres chanteurs de Nuremberg (1868) et à qui Wagner annonce justement l'envoi d'un exemplaire de la seconde édition d'Oper und Drama dans une lettre du 11 janvier 1869, mais il vouvoie son amie dans cette missive.
 
 JUDITH, MATHILDE VAN W.
Il est également possible que cet exem­plaire soit celui de Judith Gautier, avide wagnérienne qui rencontra Wagner à Tribschen peu après la publication de cette édition. Enfin, Mathilde van Wesen­donk apparaît également comme une des­tinataire possible : inspiratrice de Tristan et Yseut, elle lui fournit les textes de ses Wesendonk-Lieder et reçut une partition avec envoi des Maîtres chanteurs en 1868.

Ces quelques amis, mécènes, amantes et complices sont tous et toutes susceptibles d'être les prestigieux récipiendaires de cet ouvrage d'exception. Cependant au­cun n'est régulièrement tutoyé par l'au­teur dans sa correspondance avec Wagner, hormis Liszt qui connaît déjà parfaitement l'œuvre.
 
 MATHILDE M.
L'une des seules personnes que le compo­siteur tutoie avec certitude à cette période était son amour contrarié, Mathilde Maier, fille d'un notaire rencontrée chez son édi­teur à Mayence en 1862. Wagner avait entretenu une passion dévorante pour la jeune femme, qui avait catégoriquement refusé de se donner à lui et ignoré ses chimériques promesses de vie commune, tant que sa femme Minna était encore en vie et refusait le divorce. L'époque de cet envoi, 1868-1869 marque un tournant dé­cisif dans la vie du compositeur qui, délais­sé par Maier, s'installe avec la fille de Liszt, Cosima, à l'issue du divorce de cette der­nière avec le chef d'orchestre Hans von Bülow. Désormais en ménage à Tribschen où il rédige sans doute cet envoi, le com­positeur demeure encore attaché à Ma­thilde, cette jeune beauté allemande tragiquement inaccessible, inspira­tion du personnage d'Eva dans les Maîtres chanteurs.
Il continuera d'échanger avec Maier, son « meilleur trésor » (« besten Schatz »), une correspondance pour le moins en­flammée. Leurs échanges prouvent que Wagner avait l'habitude de lui envoyer ses textes récemment publiés et prenait à cœur son opinion : « Maintenant, j'ai hâte d'entendre ce que tu diras sur le Ju­denthum [son essai publié immédiatement après cette seconde édition d'Oper und Drama] » lui envoie-t-il le 27 février 1869. Malheureusement, seules les enveloppes des lettres à Maier contemporaines de notre envoi – fin 1868 – ont subsisté. Ces lettres furent certainement victimes de la censure de Maier, connue pour avoir biffé d'autres passages sulfureux de leur corres­pondance.

De tous les intimes de Wagner, Mathilde Maier est une des seules que le composi­teur tutoyait avec certitude en 1868. La parfaite coïncidence entre le style de l'en­voi et celui des lettres à sa muse, la date de l'ouvrage, l'importance de la confidence, la pertinence d'adresser cette seconde édition à une femme trop jeune pour avoir lu l'originale, sont autant d'éléments qui nous conduisent à privilégier Mathilde Maier parmi les rares dédicataires poten­tiels de cet exemplaire unique : Nietzsche, Liszt, Louis II de Bavière, Pauline Viardot, Julie Ritter, Malwida von Meysenbug, Ju­dith Gautier ou Mathilde van Wesendonk.
Wagner, le premier et le plus cé­lèbre commentateur de sa propre œuvre musicale, a ainsi probable­ment adressé « le plus important de ses écrits théoriques » à sa muse et inspiratrice des Maîtres chanteurs de Nuremberg : Mathilde Maier. Ainsi, ce superbe aveu autographe recèle une vérité secrète liée à leur his­toire d'amour contrarié et renoue, par-delà le tumulte amoureux de la vie du compositeur, un lien unique et inaltérable entre deux êtres sépa­rés par les circonstances, mais unis par leur amour de la musique et des idées.

Provenance : Bibliothèque Léon Daudet.


30 000 €

Réf : 83415

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