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Roland DORGELES Bouquet de bohème

Roland DORGELES

Zig BRUNNER & Gus BOFA

Bouquet de bohème

Albin Michel, Paris 1947, 13,5x19cm, relié.


| « C'est la guerre ! avons-nous assez crié, cette nuit-là, le mot terrible. Cela nous a porté malheur... Nous étions en 1913: l'année suivante, il fallait remettre sac au dos. Cette fois, pour de bon. Et tous les invités ne sont pas revenus. » |

 
Edition originale, un des 6 exemplaires numérotés sur hollande, tirage de tête, celui-ci le numéro 1.
Reliure en demi maroquin bleu marine à coins, dos très légèrement éclairci à cinq nerfs, date dorée en queue, plats, gardes de papier marbré, gardes et contreplats de papier à la cuve, tête dorée sur témoins, infimes frottements sur les coupes. couvertures et dos conservés, reliure signée Lavaux.
Exemplaire à toutes marges agréablement établi.
Ex-libris encollés sur une garde.
Exemplaire personnel de l'auteur, abondamment truffé, de cette magnifique chronique montmartroise. On y a monté sur onglet un portrait original de Roland Dorgelès à l'encre noire par Gus Bofa humoristiquement légendé : "Monsieur Roland Dorgelès dans son uniforme de rédacteur à la petite semaine"

ainsi que deux photographies originales, représentant le célèbre montmartrois Francisque Poulbot dans son théâtre de Guignols (Agence Rol, 1910) et une très rare photographie de la mémorable « Fête des Dernières Cartouches » organisée par Poulbot le 23 mai 1913. Nous n'avons trouvé qu'une seule autre photographie de cette soirée. On y voit la joyeuse bande des participants, chez Poulbot rue de l'Orient, déguisés en soldats de la guerre de 1870. Cette fête qui eut un retentissement considérable, est immortalisée par Dorgelès dans ce livre :


« Un jour pourtant -ou plutôt une nuit -le charivari dépassa toute mesure : lorsque Poulbot donna sa fameuse fête des Dernières Cartouches. L'idée lui était venue à la suite d'un différend avec son propriétaire de la rue de l'Orient. Celui-ci refusait de lui renouveler son bail. Or, emménagé depuis trois ans à peine, le dessinateur avait fait construire à ses frais un atelier dans le jardin.
-Il ne croit pas que je vais lui en faire cadeau ? s'indignait-il. Il peut crever la gueule ouverte ! Je me barricade dedans et j'attends qu'on m'expulse.
A la minute, nous jurâmes tous de nous joindre à lui pour tenir tête à la police, comme cela s'était passé au Fort Chabrol. Mais déjà notre grand diable améliorait le projet :
- mieux que cela ! Nous nous costumerons en soldats de 70 et nous nous défendrons comme la Maison des Dernières Cartouches ! » p. 333



Cette maison était une auberge de Bazeilles où s'étaient retranchés des soldats français pendant la défaite de Sedan. Leur sacrifice héroïque avait inspiré une très célèbre peinture d'histoire d'Alfred de Neuville.


 «  - En tirant par las fenêtres !
- En faisant tout sauter !



Le plan des opérations fut dressé sur-le-champ. On lança des ordres de route timbrés de l'aigle impérial et les mobilisés se composèrent vite un équipement. Sans louer chez le costumier : c'eût été trop facile. On exhuma des reliques, on pilla les fripiers, on rafla sur le Marché aux puces tout ce qu'on put trouver de culottes rouges : en moins de quinze jours, le bataillon était sur pied. étaient d'époque rien que des chassepots, comme à Gravelotte. Les armes même étaient d'époque. Et cette fois encore il ne manquerait pas un bouton de guêtre […]
Comme la soirée commençait, des coups de crosse ébranlèrent les portes. La police? Non : du renfort. Les mobiles  de Montparnasse arrivaient, trempés de pluie, ayant traversé tout Paris par quatre, baïonnette au canon,  salués au passage par les agents ahuris.  On but, on chanta, on hurla. Puis nous partîmes en patrouille, gonflés à bloc et les braves gens qui revenaient du cinéma virent surgir  aux coins de rue des soldats menaçants qui les mettaient en joue :
- Halte là! Qui vive!
Quelques-uns comprenaient mais d'autres bégayaient de peur :
-Qu'est-ce qui se passe ?
-Comment ? Vous ne savez pas ? La guerre est déclarée...
Il y a pourtant des sujets avec lesquels on ne devrait pas blaguer
... Quand nous fûmes las de ces exploits guerriers, nous nous engouffrâmes au Lapin Agile, où l'on se remit à chanter Le Père la Victoire, tous en chœur. Ce n'était pas d'époque, mais tant pis. Puis, à la fin de la nuit, comme le ciel pâlissait, nous nous massâmes rue Lepic, les officiers tirèrent leurs sabres, le clairon sonna la charge et sous primes d'assaut le Moulin de la Galette, en jetant des pétards. Une fois maîtres de la position, nous lâchâmes des pigeons voyageurs, comme pendant le Siège - un vol funèbre dans le ciel pluvieux - puis une montgolfière, à défaut de ballon. Tout cela avec accompagnement de tam-tam et de clairon. Les voisins furieux, vociferaient aux fenêtres: vingt fusils se braquèrent.
 - Cachez-vous ! C'est la guerre !
L'avons-nous assez crié, cette nuit-là, le mot terrible. Cela nous a porté malheur... Nous étions en 1913: l'année suivante, il fallait remettre sac au dos. Cette fois, pour de bon. Et tous les invités ne sont pas revenus.» p. 334-335



suivi du dessin original et une épreuve de la vignette de couverture par Zyg Brunner encollés sur un feuillet. On joint : une photographie du peintre et illustrateur Raoul Dufy, avec la mention "Dufy à remettre p. 149 de Bouquet de B" au crayon au verso, deux lettres manuscrites de félicitations reçues par Dorgelès, ainsi qu'une belle "Ballade pour Roland Dorgelès" écrite par un membre du Dernier Carré, groupe des défenseurs du Vieux Montmartre dont l'auteur faisait partie. 

Exceptionnel exemplaire enrichi de l'une des seules photographies d'une mythique fête montmartroise – sonnant le glas d'une fabuleuse et exubérante ère artistique et populaire, à l'aube de la première Guerre Mondiale.

3 000 €

Réf : 87360

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