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René CHAR Affiche originale - "On ne nourrit pas un village avec des ordures" placardée à Céreste.

René CHAR

Affiche originale - "On ne nourrit pas un village avec des ordures" placardée à Céreste.

Imprimerie Nouvelle, Forcalquier s.d. (12 janvier 1946), 30,9x42,2cm, une feuille.



« On assiste depuis quelques mois à une chasse passive en règle des patriotes, trop bien notés, il semble, au temps où risquer sa vie et celle des siens n'était pas un article de devanture.
L'odieux de cette façon d'agir est qu'elle rappelle étrangement les hitlériens. Déshonorer, ensuite on attend et on voit. Quelle que soit l'estime dont un être est entouré, une visite policière laisse toujours un relent d'équivoque,  pense-t-on.
Plus que jamais vigilance, solidarité. » (7 décembre 1945 (texte adressé par René Char à Francis Ponge)




Édition originale de cette affiche mythique de « l'Affaire de Céreste » imprimée par René Char à quelques exemplaires et placardée dans le petit village de Céreste, cœur de son réseau de résistance.
D'une insigne rareté, cette affiche est absente de toutes les institu­tions et des salles de ventes. La BNF, elle-même, ne dispose que d'une reproduction offerte par Pierre-André Benoit.
 
Ce célèbre placard marque la fin de la relation amoureuse et combattante entre René Char et le village de Céreste qui fut pourtant le Q.-G. du capitaine Alexandre, et le berceau d'une de ses plus émouvantes aventures amoureuses avec « la Renarde ».
C'est en effet dans ce village isolé de Haute-Provence que René Char s'installe pour organiser son réseau de Résistance, la S.A.P. (Section Atterrissage Parachu­tage), chargée de récupérer les livraisons d'armes parachutées dans les Basses-Alpes et de les redistribuer aux maquisards. Fi­dèle hôte de Céreste depuis 1936, René Char put fédérer rapidement les villageois jusqu'aux gendarmes qui le protégeront et l'aideront à constituer son réseau.
Avertis, les Allemands envoient une com­pagnie de S.S. à Céreste pour le débus­quer, perquisitionnant toutes les maisons et interrogeant violemment les villageois qui tous connaissaient Char et son amante chez qui il logeait. La réaction héroïque des villageois marquera durablement René Char qui composa en leur honneur un des plus longs et beaux feuillets d'Hypnos :
« Le village était assiégé, bâillonné, hyp­notisé, mis dans l'impossibilité de bou­ger. Deux compagnies de SS et un déta­chement de miliciens le tenaient sous la gueule de leurs mitrailleuses et de leurs mortiers. Alors commença l'épreuve. Les habitants furent jetés hors des maisons et sommés de se rassembler sur la place cen­trale. […] Marcelle était venue à mon vo­let me chuchoter l'alerte. […] Des coups me parvenaient, ponctués d'injures. Les SS avaient surpris un jeune maçon qui re­venait de relever des collets. Sa frayeur le désigna à leurs tortures. Une voix se pen­chait hurlante sur le corps tuméfié : « Où est-il ? Conduis-nous », suivie de silence. Et coups de pied et coups de crosse de pleuvoir. […] Alors apparut jaillissant de chaque rue la marée des femmes, des en­fants, des vieillards, se rendant au lieu de rassemblement, suivant un plan concerté. Ils se hâtaient sans hâte, ruisselant littéra­lement sur les SS, les paralysant « en toute bonne foi ». […] Furieuse, la patrouille se fraya un chemin à travers la foule et porta ses pas plus loin. Avec une prudence infi­nie, maintenant des yeux anxieux et bons regardaient dans ma direction, passaient comme un jet de lampe sur ma fenêtre. Je me découvris à moitié et un sourire se détacha de ma pâleur. Je tenais à ces êtres par mille fils confiants dont pas un ne de­vait se rompre.
J'ai aimé farouchement mes semblables cette journée-là, bien au-delà du sacri­fice. »
Une relation fusionnelle unit le poète à son village d'adoption et, dans le contexte de haine et de violence nazie, Céreste représente pour René Char le symbole vivant des valeurs humanistes à défendre et la nécessité de son combat.
Cette passion trouvait son incarnation en son amante cérestoise : Marcelle Sidoine devient pour lui l'image même de Céreste, de ce nouveau pays dans lequel il creuse sa mine et entend enfouir les galeries d'où partira la reconquête. Elle est « l'âme de la montagne aux flancs profonds » écrit-il. Tout est dit. Elle sera l'amante, l'hôte, l'intendante, la messagère, l'agente de liai­son. Une femme courage. » (René Char, Laurent Greilsamer)
Marcelle sera aussi sa faiblesse, et la voie par laquelle, à la Libération, ses ennemis de l'intérieur régleront leur compte avec le trop célèbre ca­pitaine.
Puisqu'il est impossible de salir la répu­tation héroïque de Char, un traître de son réseau, Georges Dubois, dénoncé par Char et devenu journaliste d'un or­gane communiste, trouvera en Marcelle une cible parfaite pour accomplir sa ven­geance. Accusée d'avoir détourné du linge à destination du maquis, Marcelle est salie par des rumeurs parfaitement orchestrées et voit sa maison perquisitionnée par la police.
Le bien prétendument détourné s'avéra être au contraire une cargaison de che­mises de nuit en laine, offertes par deux résistants marseillais, détricotées et trans­formées en pull pour les maquisards de la S.A.P. par Marcelle et sa fille Mireille.
Bien que sa « Renarde » ait été entière­ment blanchie par la justice, Char de­meure profondément blessé par le succès qu'obtinrent les propos diffamatoires au­près des villageois.

Son affiche est à la fois une ultime déclaration d'amour pour son « vil­lage glorieux » « qu['il] aime et que ces mauvais n'aiment pas » et une lettre de rupture avec un Céreste « déshonoré […] par les grenouilles […] ignobles ».



Rompant avec les communistes, le résis­tant désabusé quittera également définiti­vement son village tant aimé, jusqu'à en éradiquer les traces dans la construction de ses Oeuvres complètes en 1983.
Malgré l'insistance de Char, Marcelle et sa fille, que le poète voulait adopter, ne le suivront pourtant pas dans la vallée. Elles demeureront fidèles à leur village natal, tour à tour glorieux et ignoble, et finale­ment simplement humain.
Impossible accord entre idéal et réalité, comme Char lui-même le pressentait déjà en 1945 : « N'était-ce pas le hasard qui m'avait choisi pour prince ce jour-là plutôt que le cœur mûri pour moi de ce village. »
 

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